Chapitre 16. ConsidéEration positive inconditionnelle

L'empathie et le respect dénués de tout préjugé éprouvés vis-à-vis d'une autre personne.

(Age : seize ans)

“J'ai l'impression que j'oublie quelque chose,” dit Bill alors qu'il fourrait ses dernières affaires dans sa valise. Ils n'étaient restés qu'une nuit pour la cérémonie des Comets, mais Bill avait toujours l'impression qu'il oubliait quelque chose quand ils repliaient bagage.

“Tu dis toujours ça,” dit Tom, levant les yeux au ciel. Cela faisait une heure qu'il avait fini sa valise et il sirotait à présent un coca pendant qu'il regardait son frère faire la sienne.

Bill souffla et se mit à genoux pour aller regarder sous le lit. Il ne savait pas ce qu'il oubliait, mais il le chercherait quand même. “Arrête de faire ton trouduc' et aide-moi à chercher. Je sais que j'ai perdu quelque chose,” geignit-il.

“La seule chose que tu as perdue c'est ta virginité, et c'est pas sous le lit que tu vas la retrouver,” dit Tom avec un sourire espiègle.

“Tom !” cria Bill, les joues soudainement aussi rouges que le t-shirt qu'il portait.

Tom se contenta de rire un peu plus fort et Bill lui lança un oreiller avant de se pencher de nouveau pour continuer de chercher sous le lit.

“Je l'ai trouvé !”

“Ta virginité ?”

“Tom ! Ta gueule. Bon Dieu, t'es un vraiment un gros trou du cul. Je sais pas pourquoi je te laisse me toucher,” marmonna Bill tandis qu'il s'extirpait de sous le lit, un bracelet dans la main. Avant qu'il n'ait pu se remettre sur ses pieds Tom l'attrapa et le jeta sur le lit, lui montant dessus joueuesement.

“Parce que c'est bon,” répondit Tom, écrasant ses lèvres contre celles de son frère avant que celui-ci n'ait pu protester. Bill geignit avec indignation et essaya de repousser son frère, mais il finit par abandonner et par retourner l'agressif baiser. Le jumeau le plus âgé rompit le baiser et sourit à son frère. “Et parce que tu m'aimes,” murmura-t-il contre les lèvres de Bill avant de l'embrasser de nouveau.

“Trouduc',” marmonna Bill contre les lèvres de son frère, les siennes se relevant en un sourire.

Tom s'apprêtait à réduire son frère au silence avec un nouveau baiser lorsqu'il y eut un grand coup frappé à la porte. Il descendit de sur Bill en un bond et remit de l'ordre dans ses vêtements. Se séparer et se forcer à avoir l'air détendus étaient devenus des réflexes maintenant, même si la porte était fermée à clé.

Bill recommença à faire sa valise et Tom alla répondre à la porte. Il l'ouvrit pour trouver David debout là, l'air mécontent et sous pression. “Quoi ?” demanda Tom. Il n'allait pas se rendre suspect en léchant les bottes de David plus que d'habitude. Ils venaient juste de gagner un award. David n'avait aucune raison de le regarder avec cet air renfrogné.

“Il faut qu'on reprenne la route et quand on sera rentrés à Magdeburg il faudra qu'on ait une petite discussion tous les trois,” répondit le manager.

“Et Georg et Gustav ?” demanda Tom, essayant de cacher sa nervosité. C'était bizarre d'avoir une discussion à part et Tom pouvait dire à l'expression du visage de David qu'il se passait quelque chose.

“Ca ne les concerne pas. C'est quelque chose de privé. Contentez-vous de vous dépêcher de finir vos valises. On part dans un quart d'heure.”

Tom hocha la tête et referma la porte. Il n'avait pas besoin de regarder pour savoir que Bill était en train de flipper. Il pouvait le sentir. Le plus jeune des jumeaux se laissa glisser au sol et enroula ses bras autour de son torse. Il hyperventilait.

“Bill, arrête de flipper. C'est rien. Il ne sait pas. On a fait hyper attention.” Tom se mit à genoux aux côtés de son frère et le prit dans ses bras. Bill tremblait maintenant, retenant sa respiration tandis qu'il essayait de réprimer ses larmes. “Calme-toi, Bill. Tout va bien. Tout ira bien,” le calma-t-il. Tout comme Bill avait toujours eu une confiance totale quant au fait que leur carrière musicale décollerait un jour, Tom était totalement confiant quant au fait qu'ils pourraient surmonter toutes les épreuves qui se présenteraient au travers de leur relation.

“Il sait... Oh mon Dieu, Tom. Il sait. Il m'a entendu. J'ai fait trop de bruit,” gémit Bill entre deux halètements. On aurait dit qu'à chaque fois qu'ils arrivaient à se trouver un peu de paix et de sécurité quelque chose se produisait, quelque chose qui leur enlevait tout ça. Tout recommençait et Bill ne pensait pas pouvoir le supporter.

Tom tint son frère un peu plus fort et secoua la tête de façon catégorique. “Ca tu sais pas. Ca pourrait juste être un truc idiot, genre à propos d'argent. Tu peux pas flipper, Bill. Il faut qu'on tienne jusqu'à ce qu'on soit rentrés à la maison. Juste, respire. Quoi que ce soit, on le gérera. Est-ce que tu veux que j'appelle Alan ?”

Bill se tortilla dans l'étreinte de son frère pour lui faire face. Il enroula très fort ses bras autour de lui et pressa son visage dans le creux entre son cou et son épaule. “Je vais bien,” dit Bill, expirant doucement et essayant de se calmer.

Tom éloigna Bill juste assez pour pouvoir croiser son regard. Il embrassa doucement son frère et l'aida à refouler sa frayeur en lui appliquant de doux cercles sur le dos. “Je vais terminer de faire ta valise. Tu devrais retoucher son maquillage. Souviens-toi Bill, on vient juste de gagner un Comet. Ils s'attendent à ce qu'on soit de bonne humeur. Il faut qu'on fasse semblant.”

“Je peux faire semblant,” promit Bill.

Tom hocha la tête et laissa son jumeau aller rattraper son maquillage. Il ne laisserait pas Bill voir à quel point il était secoué. Il était inquiet à l'idée que David sache quelque chose, mais il était encore plus inquiet à l'idée que Bill craque sous la pression durant le chemin du retour. Ce n'était pas quelque chose dont ils parlaient, mais Tom savait que c'était Bill qui avait avoué au docteur Engle ce qu'ils faisaient quand ils étaient enfants. Tom ne le lui avait jamais reproché, mais il avait peur que son petit frère ne craque sous la pression une fois encore.

~**~

Le retour s'était bien passé. Il n'avait pas été génial, mais ils y avaient survécu. Les jumeaux étaient maintenant des pros quand il fallait donner le change et faire semblant devant les autres membres du groupe et leur manager. Personne n'aurait jamais pu deviner que les jumeaux étaient nerveux ; à moins bien sûr d'être assez observateur pour remarquer que les jumeaux s'asseyaient juste un peu plus près que d'habitude, ou que Tom n'arrêtait pas de jouer avec son piercing tandis que Bill n'arrêtait pas d'écailler son vernis.

Les indices révélateurs de leur nervosité étaient facilement dissimulés sous leurs crâneries effrontées. Le voyage se déroula sous les plaisanteries, et ils rêvèrent ensemble de toutes les autres récompenses qu'ils remporteraient, et se moquèrent constamment et sans pitié de leur bassiste. David était resté étonnamment silencieux durant tout le voyage, sauf pour se plaindre de temps en temps et leur demander de faire moins de bruit.

Les rires et les moqueries étaient finis maintenant. Gustav et Georg étaient rentrés chez eux et il ne restait plus que les jumeaux et leur manager. Bill avait les yeux fixés au sol, il déplaçait le tapis du bout du pied. Tom avait les yeux fixés au plafond, il comptait les carreaux. Aucun d'entre eux ne voulait croiser le regard de David.

“Pourquoi vous ne me l'avez pas dit ?” demanda le manager.

“Parce que ça te regarde pas,” marmonna Bill amèrement.

“Tout ce que vous faites me regarde,” répondit David. Travailler avec des ados était un défi, mais travailler avec les jumeaux Kaulitz semblait parfois impossiblement difficile. Une fois qu'ils étaient renfermés sur eux-mêmes comme ça, rien ne pouvait les faire s'ouvrir. C'était mille fois pire que la fois où il avait suggéré l'idée d'avoir un styliste.

“Dans ce cas-là est-ce que tu veux savoir combien de fois j'ai été pissé aujourd'hui ?” claqua Tom.

“Pas de ça avec moi, Tom. J'essaie de vous aider. Tout ce qui pourrait affecter votre carrière me concerne, et ça, ça pourrait très certainement mettre fin à votre carrière,” avertit David.

“Ca ne devrait pas. On est pas dingues,” dit Bill avec conviction, relevant enfin la tête pour rencontrer le regard du manager.

“Alors dans ce cas de quoi d'autre il s'agit ? Ca dure depuis que vous avez cinq ans non ?” demanda David.

Bill haussa les épaules, ne voulant pas entrer dans les détails. “On avait des problèmes à l'école.”

“Des problèmes suffisamment importants pour nécessiter dix ans de consultation psychiatrique ?” demanda David, sidéré.

“Je ne parlais pas,” marmonna Tom pour toute explication.

“On se retrouvait embarqués dans des bagarres,” ajouta Bill.

“Vous vous foutez de ma gueule pas vrai ?” explosa David. Il ne pouvait pas imaginer le charismatique ado de seize ans être silencieux. Bien sûr, il parlait moins que son bavard de frère, mais il était loin d'être silencieux. D'imaginer les jumeaux Kaulitz entrainés dans des bagarres était un peu plus facile, mais on aurait quand même dit que c'était forcément une grosse blague.

Cette fois-ci c'est Tom qui haussa les épaules. “La thérapie a marché.”

“Alors bordel mais pourquoi est-ce que vous continuez à y aller ? Qu'est-ce qui cloche chez vous maintenant ?” demanda David. Il avait déjà fait tout ce qu'il pouvait pour mettre la main sur les dossiers des jumeaux, mais on les lui avait refusés. Il n'avait découvert l'histoire de la thérapie que parce que Simone avait mentionné une séance programmée en passant. Elle ne comprenait pas l'impact que cette révélation pourrait avoir sur la carrière de ses fils. David avait réussi à lui soutirer pas mal d'informations avant qu'elle ne pipe plus un mot. Malheureusement il n'avait pas réussi à savoir ce qui n'allait pas avec les jumeaux.

“Il n'y a rien qui cloche chez nous !” dit Bill sur un ton défensif.

“Alors bon Dieu mais pourquoi vous y allez ? Pourquoi vous avez besoin de parler à ce type ? Vous vous avez l'un l'autre non ?” demanda David. Les jumeaux évitaient de nouveau son regard, et il se sentait frustré au-delà des mots.

“C'est personnel,” marmotta Tom.

“C'est personnel ?” répéta David, “Mais qu'est-ce que ce type sait sur votre vie privée au juste ?”

“Tout,” répondit Bill.

“Alors on va avoir un problème.” soupira David.

~**~

Les adolescents renfrognés qui pénétrèrent dans le bureau du docteur Engle ne correspondaient pas du tout à ce à quoi le docteur Engle s'était attendu cet après-midi-là. Juste quelques jours après les Comets, il s'attendait à ce que les jumeaux soient emplis de cette excitation kaulitizienne si familière qu'il aimait tant voir. Avec les sourires que ces garçons avaient, pas étonnant que les caméras les aiment tant.

Ce jour-là les sourires étaient absents du visage des jumeaux. En fait, ils n'étaient que l'ombre d'eux-mêmes. Tous deux portaient des vêtements unis et des sweats à capuche, ce qui ne leur ressemblait pas, et ils n'abaissèrent pas leurs capuches avant de s'être assis à leur place habituelle sur le divan. Même le maquillage de Bill et la casquette de Tom manquaient à l'appel.

Le docteur Engle les regarda attentivement, essayant d'estimer l'ampleur du problème avant même d'avoir posé sa première question. Sa première inquiétude fut qu'ils aient été découverts. Cela pourrait présenter des tas de problèmes, pour eux tous. Cette inquiétude fut balayée quand il vit les jumeaux s'asseoir aussi près que d'habitude. Ils enlacèrent leurs doigts d'un même mouvement et se penchèrent l'un vers l'autre. Si les jumeaux avaient été découverts il se serait attendu à ce que leur honte les fasse garder une certaine distance.

Aussi abattus qu'aient l'air les jumeaux, ils n'avaient pas l'air de vouloir l'exclure. On aurait dit que pour une fois ils voulaient vraiment parler de ce dont il s'agissait, quoi que ce soit. Ils étaient clairement mal à l'aise, mais pas particulièrement nerveux. Le plus jeunes des jumeaux leva les yeux vers lui, dans l'expectative, et le docteur Engle fut forcé de mettre fin à son observation silencieuse.

“Je vous ai vus dans le journal. Félicitations,” dit le docteur Engle, sautant la formalité de leur demander comment ils allaient. Il savait déjà comment ils allaient, et de le demander ne lui ferait récolter que quelques réponses marmonnées évasivement.

“Merci,” marmottèrent les deux jumeaux. Ils auraient dû être rayonnants et débordant d'excitation, mais cette excitation avait été réduite en cendres par leur manager avant qu'ils aient vraiment eu la possibilité d'en profiter.

Le docteur Engle soupira et regarda les jumeaux avec inquiétude. “Qu'est-ce qu'il se passe, les garçons ?”

“David a découvert qu'on avait des séances avec toi,” répondit Tom quand il vit que son jumeau était trop déprimé pour répondre lui-même.

“Oh ? Est-ce que c'est un problème ?” demanda le médecin, se demandant comment l'information était arrivée jusqu'au manager en premier lieu. Il était très méticuleusement scrupuleux en ce qui concernait la confidentialité.

“Il dit que si la presse le découvre ça sera sûrement un problème,” répondit doucement Bill, désormais incapable de regarder le médecin en qui il avait toute confiance dans les yeux.

“La presse dirait qu'on est dingos,” ajouta Tom.

“Venir consulter ne veut pas dire que vous êtes fous,” fit remarquer le docteur Engle.

“On sait,” commença Tom.

“C'est juste ce que les autres penseront,” termina Bill.

“Je vois,” dit le docteur Engle. Il s'enfonça dans son fauteuil et attendit que les jumeaux continuent. C'était l'une de ces situations où il avait le sentiment qu'il valait mieux juste laisser les jumeaux parler sans les diriger dans une certaine direction, même si cela impliquait d'avoir à supporter de longues pauses pesantes.

“Il voulait savoir pourquoi on te voit,” dit Bill pour briser le silence. C'était toujours le plus jeune des jumeaux qui brisait le silence lors de leurs séances.

“Il a fallu qu'on lui mente. Il n'arrêtait pas de demander,” ajouta Tom.

“Ce qui se passe lors de vos séances est confidentiel. Il n'aurait pas dû demander. Quelle raison lui avez-vous donnée ?” demanda le médecin.

“J'ai dit que c'était des trucs à propos de notre père et qu'on voulait pas en parler,” expliqua Bill.

Tom hocha la tête. “Il s'est tu après ça. Bill avait l'air sur le point de pleurer et David pense probablement qu'il nous a abusés ou un truc du genre.”

Le docteur Engle ne pensait pas que c'était le bon moment pour faire remarquer que la façon dont leur père les avait traités était de l'abus. Il y avait d'autres choses dont s'occuper présentement. “Donc il a laissé tomber le sujet après ça ?” demanda-t-il.

Bill secoua la tête et se tritura nerveusement les doigts. “Il a arrêté de demander pourquoi on venait, mais il voulait pas arrêter d'en parler.” Le chanteur anxieux ne voulait pas dire le reste. Lui et Tom s'étaient disputés pour savoir qui le dirait, mais ils n'avaient pas réussi à se mettre d'accord.

Tom céda. Il ne pouvait tout simplement pas supporter de voir son frère avoir l'air si misérable. Il fallait qu'ils le disent. “David dit qu'on peut plus venir te voir. Il a déjà parlé à notre mère. Il dit que si les gens le découvrent ça ruinera notre image, et il s'inquiète à propos de la confidentialité. De toutes façons on va beaucoup voyager. Entre les tournées et les enregistrements ce serait difficile de continuer à avoir des rendez-vous ici,” se dépêcha d'expliquer Tom.

Bill ne pouvait pas regarder le visage du docteur Engle. C'était comme s'ils rompaient, ou du moins ce que Bill imaginait que rompre était. Le docteur Engle faisait pour ainsi dire partie de la famille, et maintenant ils étaient obligés de se dire adieu. Ils avaient même eu de la chance de pouvoir obtenir cette dernière séance.

Le docteur Engle resta silencieux un moment tandis qu'il remettait de l'ordre dans ses pensées. Evidement il s'était attendu à ce que les jumeaux finissent par ne plus avoir besoin qu'il les guide. Après tout, ça avait toujours été le but. Il voulait qu'ils puissent se débrouiller seuls, mais il ‘était pas sûr de savoir s'ils étaient déjà prêts. Ils entraient dans la phase critique de la puberté et il était sûr que cela ne demanderait que peu de temps avant que cela ne leur pose des problèmes. La pression de la célébrité était déjà suffisamment difficile pour des adultes dans des conditions normales. Il était ridicule de s'attendre à ce que ces garçons affrontent tout ça tous seuls.

“Dites-moi ce que vous ressentez, les garçons. Vous voulez qu'on parle de ça ?” finit par dire le docteur Engle, restant concentré sur les jumeaux et essayant d'éviter de donner des indications quant à ses propres sentiments. De les autoriser à voir ce qu'il ressentait ne serait pas productif, quel que soit le point auquel il était inquiet ou combien il détestait l'idée de les voir partir. Ce n'était que lorsque Tom avait dit que leurs séances devaient prendre fin qu'Alan avait réalisé à quel point il s'était attaché à ces garçons. Ils étaient plus que ses patients et les larmes qui brillaient dans leurs yeux indiquaient clairement qu'il était plus que leur conseiller.

“C'est stupide !” cria Bill, frustré. Il essaya ses yeux du revers de sa manche et renifla doucement, se sentant idiot de pleurer.

“Tu as l'air en colère,” remarqua le docteur Engle.

“Je suis en colère ! C'est tellement stupide,” dit Bill, frappant de la main le bras du divan.

“C'est compréhensible que tu sois en colère. On t'enlève le contrôle et il te faut traiter une situation d'adulte avant que tu n'en sois un,” dit le docteur Engle avec un ton compatissant.

“Ca change pas vraiment de d'habitude,” dit Bill avec un rire amer.

Le docteur Engle tourna son attention vers Tom qui avait l'air plutôt renfermé pour le moment. Cela avait du être difficile pour lui d'être celui qui avait annoncé la nouvelle. “Et toi, Tom ? Qu'est-ce que tu ressens ?” demanda-t-il gentiment.

“J'ai peur,” dit Tom sans hésitation et avec une honnêteté qui laissa le docteur Engle sonné pendant un petit moment. Tom savait que c'était leur derrière séance, et il n'allait pas la gaspiller en esquivant les questions.

“De quoi as-tu peur, Tom ?” demanda le docteur Engle.

“J'ai peur qu'on y arrive pas tous seuls,” avoua Tom.

Le docteur Engle s'y était attendu, mais la confession choqua très clairement le plus jeune des jumeaux Kaulitz. Bill fixa son frère avec de grands yeux, la bouche ouverte. Le docteur Engle attendit, sachant que Bill ne resterait pas très longtemps silencieux quant à ce qu'il ressentait.

“Comment tu peux dire ça ? Tu as dit que tout irait bien, quoi qu'il arrive. Tu as promis !” éclata Bill.

“Je... Je suis désolé,” dit doucement Tom, baissant le regard au sol.

Le docteur Engle décida d'intervenir avant que les choses n'aillent trop loin. “Bill, crois-tu toujours à 100% que tout se passera bien ?” demanda-t-il.

Bill secoua la tête. Beaucoup de séances avaient été consacrées à sa peur d'être de nouveau attrapés. Il ne s'en tirerait pas en mentant quant à ses peurs.

“Mais tu attends de Tom qu'il en soit sûr à 100% ?”

“Tom est plus fort que je le suis.”

“Je pense que Tom est fort parce qu'il y est obligé ; parce que l'un de vous doit l'être. Tu te souviens comme tu parlais pour Tom quand vous étiez en maternelle ? Pourquoi faisais-tu ça, Bill ?”

“Parce que Tom pouvait pas.”

“Et pourquoi est-ce que Tom est toujours fort et toujours confiant en ce qui concerne votre relation ?”

“Parce que je peux pas,” murmura doucement Bill, la compréhension le pénétrant lentement. Tom était toujours à ses côtés, mais il avait l'air lointain. Le plus âgé des jumeaux se sentait exposé, ses émotions mises à nues. Il se repliait mentalement sur lui-même, essayant de se soustraire à cette exposition désagréable.

“Mais Tom pouvait parler. Il lui fallait juste de l'entraînement et que tu lui laisses une chance de parler. C'est la même chose ici, Bill. Tu peux être fort, et Tom, il faut que tu laisses à ton frère l'opportunité de se montrer fort parfois,” expliqua le docteur Engle.

L'expression de la compréhension apparut lentement sur le visage des jumeaux et ils hochèrent lentement la tête. Ca avait du sens, plus de sens qu'ils ne voulaient l'admettre.

Voyant que les jumeaux étaient devenus silencieux, le docteur Engle prit la décision de poursuivre. Le temps dont il disposait pour insuffler de la sagesse aux jumeaux arrivait à son terme, et il sentit fondre sur lui le besoin urgent de leur donner autant de conseils qu'il le pourrait dans le temps qu'il leur restait. “Vous savez, ce n'est pas un problème s'il vous arrive à tous deux d'être faibles parfois. Je vous regarde maintenir cet équilibre entre vous, vous montrant fort pour l'autre à tour de rôle. Cela a marché jusqu'à maintenant, mais il vous faut comprendre qu'il y aura des fois où vous souffrirez tous les deux. Ce n'est pas un problème que vous souffriez tous les deux. Ce n'est pas un problème si vous avez tous les deux peur. L'important, c'est que vous communiquiez.”

Les jumeaux hochèrent tous deux la tête pour montrer qu'ils avaient compris avant que le docteur Engle ne continue. “De n'être pas sûr de ce qui va se passer ne veut pas dire que vous vous aimez moins. Ce n'est pas grave si vous n'êtes pas encore sûrs à propos de tous ces petits détails sur comment ça va se passer, parce que je sais que le fondement de ce que vous avez a une base solide. Je veux que tous les deux vous pensiez à une chose dont vous soyez certains. Bill, tu veux commencer ?”

Bill jeta un coup d'œil nerveux à son frère et réfléchit pendant un petit moment. Ils avaient eu à faire de nombreuses choses en thérapie, qui paraissaient stupides au premier abord, absurdes ou idiotes, mais ça c'était bien l'une des choses les plus étranges qu'ils aient eu à faire. “Je suis sûr que j'aimerai toujours Tom quoi qu'il puisse arriver,” dit-il doucement.

“Dis-le-lui,” le pressa le docteur Engle.

Bill se tortilla nerveusement, se sentant encore plus idiot et mal à l'aise. Il se tourna vers son frère et leurs yeux se rencontrèrent brièvement avant qu'il ne baisse de nouveau les yeux vers son vernis à ongle écaillé. “Je suis sûr que je t'aimerai toujours,” chuchota-t-il.

“Tom ?” incita le docteur Engle.

“Moi aussi je suis sûr que je t'aimerai toujours,” chuchota Tom en retour.

“Bien. Maintenant à toi de penser à quelque chose, Tom,” donna comme instruction le médecin.

“Je suis sûr que je serai toujours là pour toi quoi qu'il puisse arriver,” dit Tom après avoir réfléchi pendant un moment.

“Moi aussi je serai toujours là pour toi,” chuchota Bill en retour, serrant doucement la main de son frère.

“Bien. Maintenant, je veux que vous vous disiez l'un l'autre une chose à propos de laquelle vous êtes incertains ; quelque chose qui vous effraie. Soyez spécifiques,” donna pour instruction le docteur Engle. Il n'aurait jamais cru qu'il finirait par utiliser des techniques destinées à des couples mariés sur des jumeaux de seize ans, mais ça semblait fonctionner.

Cette fois-ci Tom se lança le premier sans qu'on le lui demande. “Je ne suis pas sûr de savoir comment on va pouvoir continuer à réussir à s'en tirer avec ce que l'on fait,” avoua-t-il.

Plutôt que de répéter l'aveu de Tom, Bill confessa son propre doute. “Je ne suis pas sûr de pouvoir le supporter encore une fois si on se fait attraper.”

Les jumeaux se fixèrent en silence. Tous deux se sentaient soulagés d'avoir exprimé leur peur, mais en même temps il y avait maintenant une nouvelle pression, engendrée par la connaissance de la peur de l'autre. Tous deux se sentirent responsables d'apporter encore plus d'inquiétude à l'autre. Ils savaient bien quelle serait l'une des prochaine question du docteur Engle, et ils se serrèrent fort les mains, assurant silencieusement à l'autre quelle serait leur réponse.

“Quelles sont vos options ?” demanda le docteur Engle, tout comme les jumeaux savaient qu'il le ferait.

“On arrêtera pas,” répondit Bill pour eux deux. Bien que ce soit Bill qui ait parlé, il était plus que clair que c'était une décision mutuelle.

Le docteur Engle ne fut pas surpris par leur réponse. A chaque fois qu'il leur avait posé cette question de par le passé, ils listaient cette possibilité comme une option avant de la repousser, et cette fois ils ne l'avaient même pas dite. Plus le docteur Engle les regardait, plus il réalisait que quelque chose avait changé dans leur relation. Il y avait un nouveau degré d'intensité qu'il n'avait jamais vu auparavant et il eut peur de demander des explications. “Alors qu'est-ce que vous allez faire ?” demanda-t-il.

“Il faut qu'on ait un plan,” répondit Bill.

Tom hocha la tête et se tourna vers le docteur Engle, attendant de lui qu'il leur dispense ses conseils comme à l'accoutumée.

Le docteur Engle soupira et tapota son stylo contre son bloc-notes. C'était une habitude nerveuse que les jumeaux ne lui avaient jamais vue depuis dix ans qu'il les suivait. Le genre de planification et de travail dont les garçons allaient avoir besoin allait nécessiter plus de temps que la demi-heure qui leur restait. “N'y a-t-il vraiment aucun moyen de convaincre votre manager que la thérapie est nécessaire ?” demanda-t-il, sans aucune tentative pour cacher son inquiétude.

“Non. On a essayé,” dit doucement Tom.

“Alors c'est votre dernière séance ?” demanda le docteur Engle. Les jumeaux hochèrent la tête à l'unisson et il soupira de nouveau. “Débrouillons-nous pour qu'elle vaille le coup alors. Je vais dégager le rester de mon emploi du temps de la journée. Vous pouvez rester jusqu'à ce qu'on ait trouvé une solution à tout ce à quoi vous pouvez penser pour que nous en discutions. Pouvez-vous vous libérer et demander à ce qu'on vienne vous chercher plus tard ?”

Les jumeaux hochèrent la tête et saisirent leurs portables.

“J'appelle Maman pour lui dire qu'on sera à la maison plus tard que prévu,” dit Bill à son jumeau.

Tom hocha la tête. “Je vais voir si Saki peut rester dans le coin et nous ramener à la maison plus tard que prévu.”

“Demande-lui de ne rien dire à Jost,” ajouta Bill.

“T'inquiète, je me suis déjà mis Saki dans la poche. Il est de notre côté.” sourit Tom.

Bill haussa un sourcil dubitatif. “Qu'est-ce que tu lui as dit ?”

“Um... Eh bien, Saki croit que tu fais des cauchemars maintenant, mais il croit aussi que David est un sacré connard de ne pas te laisser poursuivre ton traitement,” dit Tom honteusement.

“Tom !” cria Bill avec indignation.

Le docteur Engle s'éclaircit la gorge pour que les garçons lui prêtent de nouveau attention et il leur rappela ce qu'ils avaient à faire. Les jumeaux passèrent rapidement leurs coups de fil tandis que le docteur Engle parlait à sa secrétaire et lui faisait reporter ses rendez-vous du jour.

Le docteur était encore au téléphone quand les jumeaux eurent finis avec leurs appels. Il les regarda avec l'air de s'excuser et fit les cent pas dans la pièce tandis qu'il parlait, tournant le dos aux jumeaux. Ils ne l'avaient encore jamais vu passer un coup de fil personnel pendant l'une de leur séance, mais ils pouvaient dire que c'était bien ce dont il s'agissait rien qu'à la façon dont il bougeait. Tout dans son attitude était différent tandis qu'il passait ce coup de fil, et les jumeaux furent abasourdis de voir à quel point il avait l'air humain. Ils n'avaient pas l'habitude de voir en lui autre chose qu'un conseiller.

“Je suis désolé. C'est très important,” dit doucement Alan à son téléphone.

Les jumeaux le regardèrent avec curiosité, se demandant à qui il pouvait bien parler.

“Je te le revaudrai,” chuchota-t-il. Il était évident qu'il n'avait pas l'intention que les jumeaux puissent entendre, mais tous deux tendaient attentivement l'oreille.

“Très bien. Je t'aime aussi. Bye,” dit doucement Alan avant de raccrocher et de reprendre sa place dans son fauteuil. Cette fois-ci son stylo et son bloc-notes furent laissés sur son bureau. Il n'y avait plus aucune raison d'écrire quoi que ce soit. “Désolé pour ça,” dit-il aux jumeaux.

“J'espère qu'on ne vous cause pas de soucis avec votre femme,” dit Bill, essayant de tromper le médecin. Bill avait pourtant bien conscience que le docteur Engle ne portait aucune alliance à l'annulaire.

Le docteur Engle ne tomba pas dans le panneau, mais il sourit légèrement devant la petite ruse de l'adolescent. “Il n'y a pas de problème, et nous ne sommes pas là pour parler de ma vie privée, Bill.”

“Ca valait le coup d'essayer.” dit bill avec un sourire innocent.

Le docteur Engle sourit et hocha la tête. “Si on avait eu plus de temps, j'aurais été heureux de vous en dire un peu plus sur moi, mais nous avons beaucoup de choses à nous dire et il nous reste peu de temps. Où s'était-on arrêtés ?”

Il n'était pas nécessaire que qui que ce soi dise aux jumeaux que la dynamique de l'entretien avait changé. C'était toujours le docteur Engle qui était assis face à eux, mais il y avait clairement quelque chose de différent. Il leur parlait plus comme à des adultes et avait plus l'air d'un ami et d'un confident que d'un médecin. De temps à autre il réendossait son rôle de conseiller, mais la majorité du temps il cherchait plus à mettre les choses au point avec eux plutôt qu'à leur faire la leçon.

Ils passèrent quatre heures à parler d'à peu près tout ce à quoi ils pouvaient penser. Ils parlèrent de l'image publique et des fausses personnalités, et à la grande surprise des jumeaux le docteur Engle avait l'air d'en savoir encore plus long sur la manière de gérer une personnalité publique que leur manager. Ils parlèrent de la discrétion, de la prudence, et de faire paraître les choses normales sans en avoir l'air. A la fin de la séance les choses devinrent plus personnelles, et les jumeaux finirent par décider de confier au docteur Engle ce qu'ils avaient fait après les Comets. Il les surprit un peu plus en réagissant plutôt calmement à la nouvelle. Il n'avait même pas l'air ne serait-ce qu'un peu mal à l'aise quand ils parlèrent de ce qu'ils ressentaient à propos de ce qu'il s'était passé, et les jumeaux eurent l'impression qu'il s'y était attendu.

La conversation finit par s'étioler et Alan surprit les jumeaux en train de jeter un coup d'œil à l'horloge. Aucun d'entre eux n'avait l'air de savoir comment clore la chose, mal à l'aise. Ils avaient été une partie de la vie les uns des autres pendant dix ans et avaient partagé un genre de relation tout à fait unique, qu'ils ne pourraient plus jamais retrouver ailleurs. Il n'y avait aucune règle à leur indiquer pour savoir comment dire adieu.

“C'est presque l'heure,” dit doucement Alan.

Les jumeaux hochèrent la tête, leur expression solennelle prenant de nouveau place sur leurs visages.

“Saki va bientôt venir nous chercher,” dit Tom.

“Je suis pas prêt,” chuchota Bill.

Avant qu'Alan n'ait pu répondre la sonnerie de son interphone retentit. Il bondit et appuya sur le bouton, indiquant ainsi à sa secrétaire qu'elle pouvait parler. “Alan, il y a un monsieur qui est venu chercher Bill et Tom,” dit la secrétaire.

“Dis-lui qu'il n'y en a plus que pour quelques minutes,” répondit Alan.

Bill s'essuyait de nouveau les yeux avec la manche de son sweat et Tom avait placé sa main sur le dos de son frère, le caressant pour l'apaiser. Alan regarda l'aîné des jumeaux chuchoter quelque chose à son frère et ils se levèrent tous deux. Bill n'attendit pas la permission. Il se moquait de savoir si cela se faisait ou non, ou si ça allait à l'encontre d'une des stupides lois des psychiatres. Il traversa la pièce et se jeta sur le médecin, le prenant dans ses bras, le serrant fort. “Merci,” murmura-t-il doucement.

Alan en perdit ses mots. Il ne savait absolument pas quoi dire, mais il enroula instinctivement ses bras autour de l'adolescent qui s'agrippait à lui et il le serra gentiment. Le câlin de la part de Bill avait été une surprise, mais quand Bill s'éloigna et fut remplacé par Tom, Alan se trouva complètement pris au dépourvu. Le câlin de Tom ne fut pas aussi fort, et fut considérablement plus bref, mais l'intention était la même.

Maintenant c'était Alan qui tamponnait le coin de ses yeux. Il ne voulait pas les laisser partir. Les heures passées à discuter avaient apaisé ses peurs quant au fait qu'ils se fassent découvrir, mais il restait terriblement inquiet quant au fait que les garçons devraient gérer la pression de la célébrité tout en continuant à garder un secret aussi dangereux. L'idée de voir leurs visages en couverture des magazines après qu'ils aient été attrapés le terrifiait purement et simplement.

“Si l'un d'entre vous a besoin de quoi que ce soit, vous savez où me trouver. Techniquement je ne suis pas censé avoir d'autre contact avec vous que ce qui concerne notre relation de médecin à patient, même si vous n'êtes plus mes patients désormais, mais cela fait plus qu'un petit moment maintenant que je respecte plus les règles quand il s'agit de vous,” expliqua Alan tandis qu'il se dirigeait vers son bureau et attrapait deux cartes de visite. Il les retourna, notant rapidement son numéro de téléphone ainsi que son adresse personnels au dos. Ce qu'il faisait n'était pas éthique d'un point de vue technique, c'était même probablement dingue, mais il ressentait le besoin de le faire. “De jour comme de nuit, quoi que ce dont il s'agisse, vous pouvez m'appeler,” dit-il, tendant les cartes aux jumeaux.

Les cartes furent rapidement enfouies dans leurs poches et Bill prit une nouvelle fois rapidement Alan dans ses bras avant de faire un câlin à son frère à la place. Ils murmurèrent doucement leurs adieux et les jumeaux jetèrent un dernier regard au sanctuaire de leur enfance avant de reprendre une fois de plus pied dans la dure réalité.

 

FIN CHAPITRE 16

 

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