Chapitre 18. Impuissance apprise
Un type de condition advenant après une période d'événements négatifs, où l'individu commence à croire qu'il perd tout contrôle.
(Age : seize ans)
Les jumeaux sursautèrent lorsqu'une pile de journaux à sensation heurta violemment la table du tour bus. Ils étaient assis à des côtés opposés de cette même table, s'ignorant complètement l'un l'autre, mais leur réaction à l'explosion de David fut la même. Les deux jumeaux assis baissèrent la tête, essayant d'ignorer les hurlements. Georg et Gustav étaient assis entre eux, fusillant David du regard tandis que celui-ci pestait.
“Je sais pas ce qui ne va pas, mais il faut que ça s'arrange,” répéta David. Il avait tendance à se répéter lorsqu'il était en colère, et en ce moment précis il était tout simplement furieux.
“Il y a rien qui doive être arrangé,” marmonna Bill. Les mensonges ne lui venaient plus si facilement ces derniers jours. Il ne s'en souciait pas assez pour continuer à faire l'effort de les chiader. De plus, de la perspective de la plupart des gens, il n'y avait vraiment rien qui doive être arrangé. En fait c'était exactement ce que tant de gens avaient souhaité depuis le tout début. C'était ce que les enfants avaient voulu à la maternelle. C'était ce que Mademoiselle Hahn avait voulu. C'était ce que leur père avait voulu. C'était ce que leur mère avait voulu. Ils étaient à présent séparés ; dans tous les sens du terme.
“Me sers pas ces conneries, Bill. Tu crois que personne a remarqué ? C'est pourtant évident que si !” David ouvrit brusquement l'un des magazines et le fourra sous le nez de Bill. C'était un article en double page qui avait pour titre “Kaulitz en guerre,” complété par plusieurs photos des garçons où ils avaient l'air sombre, et une où Bill était en larmes.
“Les journaux à scandales mentent,” marmonna Bill. Il n'arrivait même pas à regarder l'article.
“Ce n'est pas le cas des autres membres du groupe !” cria David. Georg et Gustav s'enfoncèrent dans leur siège, ayant tous deux l'air coupable. “Est-il vrai que ça fait une semaine que Tom n'a pas prononcé un mot ?”
Bill tourna brusquement la tête vers les G's et tous deux s'enfoncèrent un peu plus dans leur siège, se sentant reconnaissants vis-à-vis du fait que David se trouvait entre Bill et le tiroir rempli de couteaux de cuisine. Ils savaient que Tom aussi était en colère, mais l'aîné des jumeaux Kaulitz représentait une menace moindre. Il n'avait pas l'air d'avoir la moindre énergie, ne serait-ce que pour bouger, donc d'autant moins pour les tuer.
“Putain !” murmura David, sa main montant aux muscles raidis de son cou. Il sentait la migraine arriver. “Donc, c'est vrai. Ecoutez, j'ai aucune putain d'idée de ce qui a bien pu se passer, mais il faut que vous arrangiez ça, et tout de suite. Cette connerie d'histoire de silence passe quand on est en période de concerts, mais demain il y a des interviews et ce n'est pas bon pour votre image. Ta personnalité de bad boy ne s'étend pas jusqu'à la haine de ton propre frère, Tom.”
Bill retint son souffle, attendant que son frère réponde à David avec hargne, ou donne au moins un indice quant au fait que ce n'était pas vrai. Le torse de Bill le brûlait douloureusement lorsqu'il finit par expirer, reconnaissant par là la non-réalisation de son attente. Tom resta silencieux tandis qu'il se levait, dépassait David et partait se barricader dans sa couchette.
“Tom, on a pas fini de parler !” hurla David. La seule réponse qu'il reçut fut le bruit du rideau de la couchette que l'on refermait d'un coup sec. Il se dirigea vers les couchettes, avec l'intention de ramener Tom par la peau du cou pour qu'ils finissent leur conversation. Sa poursuite de l'aîné des jumeaux fut avortée par le bruit de la porte du tour bus violemment claquée. David se retourna juste à temps pour pouvoir jeter un œil par la fenêtre et apercevoir Bill en train de courir.
“Surveillez-le !” aboya David à Georg et Gustav tandis qu'il faisait un geste vers la couchette de Tom. La porte du tour bus claqua de nouveau. Plutôt que de courir lui-même après l'adolescent, David alla trouver le plus proche des membres de l'équipe de sécurité et l'envoya courir après Bill. Le manager en furie n'était vraiment pas d'humeur à avoir à faire avec des adolescents irrationnels en ce moment. Son temps serait consacré à réparer le bordel qu'ils avaient foutu. Il était généralement vrai que toute publicité était une bonne publicité, mais cet adage perdait en véracité lorsque des fans ados en venaient à redouter une séparation de leur groupe fétiche.
“On a fait une erreur,” murmura Georg.
“Comment on aurait pu savoir que c'était ce qui allait se passer ?” demanda Gustav, faisant un geste vers la pile de journaux qui recouvraient la petite table.
“On aurait dû savoir qu'ils remarqueraient le silence de Tom. Il n'est pas toi. Ils font attention à s'il parle ou non,” dit Georg avec un sourire en coin. Il était plus facile de plaisanter que d'avoir à faire face aux unes qui annonçaient une séparation imminente.
“Tais-toi,” grogna Gustav, frappant Georg avec l'un des journaux.
“Peux pas faire ça. Parce qu'alors les fans n'auraient plus personne d'autre que Bill à écouter,” rit Georg.
“De toutes façons tout le monde s'en bat de ce que tu dis. Bill insiste pour qu'on te garde juste pour qu'il puisse avoir quelqu'un avec qui parler démêlants et produits coiffants,” contra Gustav.
Tandis que les membres de son groupe se harcelaient à l'autre bout du bus, Tom était allongé sur sa couchette, essayant de se convaincre que le bus était bel et bien à l'arrêt. Cela faisait une semaine entière et le brouillard ne s'était toujours pas dissipé. En fait, maintenant on aurait plus dit un fluide dense qu'un brouillard. Ses propres mouvements lui paraissaient lourds et lents, comme s'il était sous l'eau.
Quand Tom essayait de donner un sens à tout ça, l'image qui lui venait à l'esprit était qu'il était en train de se noyer. La pression de l'eau qui l'entourait engourdissait ses sens, et il avait la sensation que s'il tentait d'ouvrir la bouche pour parler, peut-être bien qu'il se noierait vraiment. De toutes façons, qu'il avait-il à dire ? Il avait détruit la seule chose dans sa vie qui avait du sens et à présent il plongeait dans la folie ; pourquoi ne pas capituler et s'y laisser entraîner ?
Tom aurait aimé pouvoir mettre un nom sur ce qui n'allait pas avec lui, quoi que ce soit. Il fut frappé par l'ironie du fait que, après dix ans d'analyse, il n'avait jamais appris le nom d'aucune maladie mentale. Il se demandait ce qu'il avait et ce qu'Alan lui dirait s'il lui parlait de la mystérieuse eau qui l'entourait. La main de Tom glissa dans l'une de ses nombreuses poches, en sortant son portefeuille. Pliée au fond se trouvait une petite carte de visite bleue. Il la retourna dans ses mains, lisant le numéro de téléphone, encore et encore, tandis qu'il essayait de se décider.
Alan aurait des réponses... C'était vraiment dommage que Tom n'ait pas la voix pour lui poser les questions. Il rangea la carte dans son portefeuille et laissa retomber sa tête pour regarder par la fenêtre. De sombres nuages s'amoncelaient dans le ciel, faisant paraître ce ciel de milieu d'après midi aussi obscur que la nuit, présageant de l'orage à venir. Tom doutait qu'il puisse être pire que celui qui s'était déjà déchaîné pendant toute la semaine qui venait de s'écouler. Il ferma les yeux et essaya de s'endormir. L'eau n'était pas autant oppressante et effrayante quand il dormait.
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Albert ronchonna doucement tandis qu'il regardait le jeune chanteur à quelque distance. Etant un des juniors de l'équipe de sécurité, Albert se retrouvait souvent avec les tâches de merde comme courir après des ados renfrognés. Il avait envie de ramener lui-même la diva fauteuse de troubles au tour bus, mais Saki lui avait donné pour instructions de sécuriser la zone et de garder un œil sur Bill jusqu'à ce qu'il rentre de lui-même. Il ne devait intervenir que si Bill était en danger. Cela faisait vingt minutes et Albert commençait à espérer que Bill fasse quelque chose juste pour qu'il puisse avoir une excuse pour mettre un terme à cette vaste fumisterie.
Bill savait qu'on l'observait, mais en toute honnêteté il n'en avait rien à faire. Il était assis sur le trottoir qui bordait l'endroit, le dos appuyé contre le mur et ses longues jambes ramenées contre son corps. Il faisait humide et froid dans l'ombre du bâtiment et il n'avait pas pris le temps d'emporter une veste, mais au moins le froid le faisait se sentir un peu moins engourdi.
Bill avait passé les vingt dernières minutes le visage pressé contre ses genoux tandis qu'il essayait de mettre de l'ordre dans ses pensées. Tout ce qu'il avait fait durant la dernière semaine avait été de réfléchir et ça ne le menait nulle part. Il avait pensé à Tom. Il avait pensé à cette horrible fille et à cette nuit qui lui avait brisé le cœur. Au final ses pensées revenaient toujours à la même chose ; aux questions qu'Alan posait à la fin de chaque séance. Peut-être que finalement Tom avait changé d'avis. C'était la seule explication à ce que Tom avait fait qui avait du sens pour lui. Il semblait que Tom ne voulait plus être avec lui.
La possibilité que Tom ait changé d'avis était trop douloureuse pour qu'il y fasse face, ce qui était la raison pour laquelle Bill n'avait fait aucun effort pour parler à Tom durant la semaine qui venait de s'écouler. Bill avait peur que s'il parle à Tom, ses peurs ne se trouvent confirmées, et il ne savait pas ce qu'il ferait si c'était le cas. Alan leur avait toujours promis que tout irait bien s'ils changeaient d'avis ; qu'ils seraient toujours frères et qu'ils s'aimeraient toujours. Bill ne le croyait plus.
Bill déplia sa position suffisamment longtemps pour saisir son portefeuille dans la poche arrière de son pantalon et y chercha la carte de visite qu'il y avait placé six mois plus tôt. Il s'assit contre le mur durant de longues minutes, la carte dans une main et le téléphone dans l'autre. Il essaya d'imaginer ce qu'Alan lui dirait s'il lui expliquait ce qu'il s'était passé ; s'il lui disait que Tom avait changé d'avis.
Ca n'avait pas d'importance ce qu'Alan disait ; Alan s'était trompé. Il avait dit que tout irait bien si Tom changeait d'avis. Il avait dit qu'ils s'aimeraient encore quand même. C'était un mensonge. Tom ne l'aimait plus et il le savait. Il le savait parce qu'il n'arrivait plus à sentir Tom. Il n'arrivait plus à ressentir Tom. C'était comme si son frère était parti, mais étant donné que Tom était juste là, il ne pouvait qu'arriver à la conclusion que Tom n'était plus son frère. Et qu'Alan était un menteur.
Bill saisit la carte de visite entre ses doigts et la déchira violemment. Les deux moitiés tombèrent au sol devant lui et, avant qu'il n'ait pu changer d'avis, elles furent emportées par le vent printanier et froid. Il les regarda voleter en l'air jusqu'à ce qu'elles soient hors de vue et que ses yeux se portent sur le ciel qui noircissait rapidement.
De lourdes gouttes de pluie s'écrasèrent au sol devant lui, Bill laissa son front retomber sur ses genoux. Il frissonna de froid et se roula un peu plus en boule, sachant qu'il ne s'écoulerait que peu de temps avant que la sécurité ne le ramène. Cependant quand tous ses vêtements furent trempés, il releva la tête, s'attendant à voir quelqu'un l'attendre pour le ramener. Au lieu de ça, il découvrit qu'il était entièrement seul. Même le garde du corps qui avait rôdé alentours pour le surveiller avait disparu.
~**~
“Un... deux... trois...” comptaient de petites voix chuchotées dans le noir. Des yeux identiques couleur de miel regardèrent le ciel furieux par la fenêtre couverte de pluie. “Six,” franchissait leurs lèvres lorsque le retentissement du tonnerre vint enfin et fit sursauter les jumeaux de sept ans.
Côte à côte, ils étaient assis dans un nid de couvertures qu'ils avaient fait sur le lit de Tom. Le tissu chaud les entourait, ne laissant que leurs visages exposés. Ils auraient dû dormir, mais Bill n'arrivait jamais à dormir quand il y avait un orage. Les premiers coups de foudre l'avaient envoyé se précipiter dans le lit de son frère.
Le doux bruit de la pluie contre la vitre et leurs respirations lentes et profondes étaient les seuls sons qui occupaient la petite chambre. L'odeur poussiéreuse du premier orage du printemps se mêlait au confort du lin propre et de la flanelle. Bill se tortilla un peu plus près, reposant sa tête sur l'épaule de son frère tandis que la pluie battait contre les fenêtres et fouettait les branches des arbres contre la vitre, faisant des monstres de leurs ombres.
Le flash d'un éclair illumina la pièce un instant et les doigts de Bill se resserrèrent autour du bras de son frère. “Un... deux...” Tom commença à compter, sachant que cela calmerait son frère durant l'orage. Ils comptèrent les secondes qui séparaient l'éclair et le tonnerre, estimant ainsi sa distance, comme ils l'avaient appris en classe lors d'un cours de science.
Tom compta un peu plus vite cette fois-ci, espérant que Bill ne le remarquerait pas et qu'ils pourraient atteindre le sept. Il voulait prouver à Bill que la foudre s'éloignait et que l'orage serait bientôt passé. Si l'on avait pu changer le temps par la seule volonté, l'orage serait déjà passé.
“Trois... quatre...” comptèrent-ils ensemble tandis que Bill reniflait. Une main agrippée à son frère tandis que l'autre essuyait ses joues mouillées. Le bras de Tom s'enroula autour de la taille de son frère et le tira contre lui. Durant la journée, il se moquait de Bill et se battait avec lui tout comme n'importe quel frère le ferait, mais dans l'obscurité de la nuit il n'oserait pas se moquer des larmes de Bill.
“Cinq,” chuchotèrent-ils ensemble. Le mot avait à peine franchi leurs lèvres que le tonnerre retentit de nouveau, faisant vibrer la vitre. Bill se détourna de la fenêtre, pressant son visage dans le cou de son frère et gémissant doucement. Avant que Tom n'ait eu l'occasion de parler, la pièce fut emplie par la lumière d'un nouvel éclair et le fracas du tonnerre suivit, quelques secondes plus tard.
“Ca se rapproche,” gémit Bill, ses doigts s'enroulant dans le t-shirt lâche de Tom pour s'y accrocher.
“C'est juste du tonnerre et des éclairs,” lui rappela Tom.
“Ca fait peur,” renifla Bill.
“Ca fait pas peur. Tu es à l'abris ici,” lui assura Tom. Bill se rapprocha encore plus près, jusqu'à ce qu'il soit presque sur les genoux de son frère. Tom enroula ses deux bras autour de lui et le tint serré dans un câlin rassurant. “Tout va bien. Je suis là,” murmura-t-il, sachant que les mots repousseraient la peur de Bill, bien qu'il ne comprenne pas pourquoi. Tom savait qu'il ne pouvait ordonner aux orages de s'éloigner. Il ne pouvait empêcher l'orage d'arriver, et ce peu importe à quel point il le voulait.
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Le fracas d'un éclair tira brusquement Tom hors de son sommeil et il se retrouva soudainement assis très droit dans son lit, ses yeux regardant de tous côtés tandis qu'il essayait de réaliser ce qu'il se passait. Il avait espéré que le sommeil réduirait le brouillard débilitant et la pression qui l'entouraient, mais ça n'avait fait qu'empirer.
Le second coup de tonnerre l'aida à se focaliser un peu et Tom fut capable de se rappeler où ils étaient et ce qu'il s'était passé. Ce savoir était suffisant pour le faire se replier sous les couvertures et rester là, mais quelque chose le pressait de sortir du lit. Lui et Bill ne s'étaient peut-être pas parlé, mais Tom avait toujours besoin de savoir où son frère était, surtout lorsqu'il y avait un orage.
Tom repoussa son rideau et roula hors de sa couchette. Celle de Bill était juste en face de lui, vide et toujours défaite depuis ce matin. Les sourcils de Tom se froncèrent d'inquiétude tandis qu'il jetait un œil d'un bout à l'autre du bus, et ne vit ni même ne sentit immédiatement la présence de son jumeau. Après avoir rapidement vérifié les pièces communes, Tom ne put localiser que Georg et Gustav, qui étaient assis dans la salle media et regardaient un film.
De longs doigts s'agrippèrent fort à l'encadrement de la fenêtre tandis que Tom essayait de trouver sa voix. Il fallait qu'il sache où Bill était. C'était un besoin frénétique et désespéré qu'il ne pouvait ni comprendre ni combattre. Malheureusement, c'était un besoin drastiquement en conflit avec son désir de garder la bouche close et de rester silencieux. Tom se débattait toujours au cœur de ce conflit lorsque Georg se tourna pour regarder vers lui.
“Quoi ?” demanda Georg, nerveusement, interprétant à tort l'expression inquiète de Tom comme étant de la colère.
Tom sursauta lorsqu'un nouveau coup de tonnerre fit trembler les vitres du bus. Cela faisait des années qu'un orage ne l'avait pas autant ennuyé, mais depuis le tout premier coup de tonnerre, il se sentait mal à l'aise. Tom déglutit difficilement et essaya de nouveau de trouver sa voix. Les autres avaient peut-être pensé qu'il faisait subir à tous la punition par le silence parce qu'il était en colère, mais la vérité était bien plus compliquée que ça.
“Bill,” parvint enfin à dire Tom. C'était tout ce qu'il pouvait dire, et, heureusement, ses amis comprirent.
“Il s'est sauvé, après que tu sois allé dans ta couchette. Y'a un gars de la sécurité avec lui... Albert, je crois,” répondit Georg, retournant son attention vers le film pour éviter le regard coléreux de Tom. Il se retourna pour ajouter que la sécurité allait sans doute bientôt ramener Bill à cause de l'orage, mais Tom était déjà parti et la porte se refermait derrière lui.
Georg se renfrogna et regarda la pluie battante par la fenêtre. “Tu crois que ça va aller pour eux ?” demanda-t-il à Gustav.
“C'est juste de la pluie, Georg. Ce n'est pas une putain de mousson,” dit Gustav en haussant les épaules.
“Gustav... c'était vraiment pourri,” rit Georg, secouant la tête.
Gustav sourit. “Je sais. Mais bon t'inquiète pas. Ca va aller pour eux. Bill nous écrira sans doute un super tube plein de questions existentielles quand tout ça sera terminé.”
“Plus existentiellement angoissé que 'Rette Mich' ?” demanda Georg, l'air sceptique.
Gustav hocha la tête. “Deux fois plus.”
“Que Dieu nous vienne en aide,” grogna Georg.
~**~
Le sweat de Tom était déjà détrempé et le vent froid transperçait ses vêtements, le laissant tremblant. Etant donné l'état dans lequel il était, cela ne l'aurait pas du tout dérangé, sauf qu'il savait que Bill était lui aussi dehors et probablement dans un état encore pire. Le brouillard se dissipait enfin, mais seulement à cause de la peur et de l'adrénaline qui couraient dans son corps. Tom ne s'était jamais autant senti déconnecté de Bill auparavant. Cela faisait se tordre son estomac et son torse le brûlait tandis qu'il courait le long de la rue, cherchant son frère.
Le guitariste n'était pas le seul qui recherchait frénétiquement Bill en ce moment précis. Albert s'était mis dans une merde sans nom et s'il ne retrouvait pas Bill tout de suite, cette merde serait suffisamment profonde pour lui coûter son job. Quand il avait commencé à pleuvoir, Albert avait décidé que de rester dehors debout sous la pluie à baby-sitter une diva pathétique et pourrie-gâtée n'était pas l'idée qu'il se faisait d'un bon moment. Il avait laissé Bill là et était parti se chercher une tasse de café chaud. Il savait que la rue était sécurisée et ne voyait pas le mal qu'il y avait à laisser le gamin pleurnicher dans son coin.
Albert était en train de savourer son café quand l'orage passa de petite douche de pluie à averse accompagnée de tonnerre et d'éclairs. Le téléphone dans sa poche avait immédiatement commencé à vibrer. C'était Saki, qui lui demandait de ramener Bill au tour bus, tout de suite. Albert était retourné chercher Bill pour le ramener mais il avait découvert que l'adolescent était déjà parti.
Le membre junior de la sécurité creusa encore un peu plus sa tombe en retournant aux bus, s'attendant à voir que Bill était déjà rentré. Au lieu de ça, il se retrouva nez à nez avec un Saki très très énervé et il dut concocter une histoire où Bill s'enfuyait et arrivait à le semer. Ca le faisait toujours passer pour un mauvais garde du corps, mais c'était mieux que d'admettre qu'il avait intentionnellement quitté le côté du chanteur. Maintenant c'était toute l'équipe de sécurité, Albert inclus, qui scannait la zone pour retrouver le chanteur disparu.
Rien, pas même toute une équipe de gardes du corps entraînés, n'était aussi puissant qu'un jumeau effrayé qui cherchait sa moitié manquante. Bill n'avait jamais aimé les orages. Même quand ils étaient devenus plus grands, Bill s'agrippait toujours un peu plus fort à Tom quand il y avait de l'orage dehors. “Durch den Monsun” avait toujours eu une signification particulière pour lui à cause de ça, bien que Tom ne soit pas vraiment sûr de savoir si Bill avait eu ça en tête quand il avait écrit la chanson.
La pluie battante était loin d'être une mousson, mais les coups de tonnerre occasionnels et les éclairs qui éclairaient le ciel poussaient Tom à bout. Il savait que Bill était là dehors, quelque part, tremblant de froid et de peur, et c'était sa faute. Bill était là dehors parce qu'il avait merdé, parce qu'il n'avait pas été assez fort.
“Bill !” appela Tom, quand il aperçut la silhouette roulée en boule de son frère au pied de l'un des quelques arbres qui s'espaçaient le long de la rue. Bill ne ressemblait plus à rien. Ses cheveux et ses vêtements étaient détrempés, ses mèches noires collant à son visage zébré d'eye liner qui avait coulé. Ses longues jambes étaient repliées, le faisant paraître tellement plus petit qu'il ne l'était réellement, et, même à distance, Tom put voir qu'il tremblait.
Bill releva légèrement la tête à l'appel. C'était le premier mot qu'il entendait provenir de son frère depuis une semaine entière. Le son de la voix de Tom aurait dû être un soulagement, mais au lieu de ça il précipita la perte du maintient du self-control de Bill qui s'effondra. Il éclata en sanglots, se roulant encore plus sur lui-même et tremblant sous la violence des pleurs qu'il avait retenus pendant toute la semaine qui venait de s'écouler.
Tom se précipita vers son frère, tombant à genoux devant lui. Sans y penser il prit Bill dans ses bras et le serra fort, et quand celui-ci n'enroula pas immédiatement ses bras autour de lui en retour, Tom eut l'impression que son cœur était littéralement déchiré en deux. La douleur dans sa poitrine le crucifiait, et quand il voulut expirer il laissa échapper un sanglot angoissé auquel il ne s'attendait pas. La douleur dans sa poitrine était le sanglot qu'il n'avait pas réalisé retenir, parce que sangloter n'était pas quelque chose que le plus âgé et le plus fort des Kaulitz se permettait de faire.
“Tu avais promis ! Tu avais promis !” hurla Bill, repoussant durement son frère, bien que cela fasse souffrir ses doigts gelés. Tom ne s'accrocha que plus fort, incapable de trouver le souffle pour parler.
“Je veux pas que tu embrasses quelqu'un d'autre que moi.”
“Je le ferai plus.”
“Promis ?”
“Je promets.”
La promesse leur revint tous deux à l'esprit. Ils n'avaient que neuf ans quand elle avait été prononcée et, alors que cela semblait une promesse facile en apparence, elle signifiait bien plus désormais. Ce n'était pas un baiser cette fois-ci, mais tout deux étaient assez vieux pour réaliser que la promesse qu'ils avaient faite voulait en réalité dire “Je ne toucherai personne d'autre” et “Je n'aimerai personne d'autre.” C'était une promesse que tous deux avaient rompue.
Bill essaya de se dégager de l'étreinte de son frère, mais il ne parvint qu'à les faire tous deux tomber dans la boue qui s'était nouvellement formée au pied de l'arbre. Ils se débattirent, glissant dans la boue tandis que Tom essayait de le tenir fort et que Bill essayait de s'échapper. Ils se hissèrent sur leurs pieds plusieurs fois, mais uniquement pour mieux glisser de nouveau dans la boue. Finalement, ils arrivèrent à se mettre debout lorsque Tom prit appui sur l'arbre et tint Bill aussi fort qu'il le pouvait sans le blesser.
“J'ai tout perdu ! Tu as dit qu'ils n'avaient pas d'importance, mais pourtant si ils en ont parce que maintenant je me retrouve sans rien ! Je les ai perdus, je t'ai perdu, et maintenant le groupe va se séparer !” Bill trembla, balançant ses poings contre le torse de son frère dans l'espoir de le repousser. En ce qui concernait Bill, son frère était déjà parti dans tous les autres sens du terme, aussi pouvait-il aussi bien être physiquement loin de lui. “Tu veux plus de moi alors pourquoi t'es là ? Va-t'en !”
Tom ne répondit pas. Il n'argumenta pas. Il ne se battit pas pour se défendre. Il n'essaya même pas d'esquiver. Il méritait chacune de ces dures paroles et chaque attaque frénétique que lui lançait son frère. L'orage était toujours en train de se déchaîner autour d'eux, mais aucun d'entre eux n'en avait plus conscience. Leur propre orage personnel passait devant tout le reste. Ils se débattirent jusqu'à l'épuisement, hors d'haleine et incapables de se battre plus longtemps. Ils se laissèrent tomber au sol, Tom s'accrochant toujours, bien que Bill ait cessé de vouloir s'échapper.
“Je suis désolé,” parvint finalement à dire Tom en un demi-sanglot choqué quand il eut trouvé suffisamment de souffle. C'était tout ce qu'il pouvait dire, mais il fallait qu'il le dise, parce que Bill ne pouvait plus l'entendre s'il n'utilisait pas des mots. La douleur et la colère qu'il y avait entre eux étaient venues parasiter la ligne qui les reliait. Ils s'assirent là, gourds et tremblants, à peine capables de se sentir l'un l'autre, bien qu'ils soient enlacés. Bill pleurait toujours et Tom était engourdi par l'angoisse.
FIN CHAPITRE 18