Chapitre 5. Le ÇCa
En théorie psychanalytique, la part de la personnalité régissant les pulsions primitives telles que le sexe, la colère, et la faim.
(Age : huit ans)
“Bill, tu sais bien qu'ici est un lieu sûr pour parler,” dit le docteur Engle, brisant le silence oppressant qui avait régné dans la pièce durant les cinq dernières minutes.
Le petit blond de huit ans était assis sur le divan, ramassé en boule, serrant ses genoux contre son torse et fixant le sol d'un air misérable. “Je veux Tom,” bredouilla-t-il. Au moins parlait-il maintenant. Bill n'avait pas dit un mot depuis qu'il avait pris place sur le divan. C'était la première fois que Bill était de retour dans cette pièce depuis qu'ils étaient venus pour parler du divorce et de comment il se sentait vis-à-vis de ses parents et de son beau-père Gordon. Il s'était toujours assis sur le sol quand ils étaient venus ici auparavant, mais pour quelque obscure raison, il semblait désormais que le divan était plus approprié.
“Il faut que tu commences par me dire ce qu'il s'est passé,” le pressa le docteur. Il en avait tant vu avec ces enfants au fil des ans, mais jamais il ne se serait attendu à avoir cette discussion. Le docteur Engle savait qu'il n'était pas judicieux de trop s'impliquer émotionnellement avec ses patients, mais il y avait quelque chose de spécial avec ces garçons. Il voulait désespérément que Bill lui parle, pour être enfin soulagé de l'anxiété que cette situation générait en lui.
“Il s'est rien passé,” insista Bill. Il savait que c'était un mensonge. Quelque chose d'horrible était arrivé. Quelque chose d'encore pire que l'incident de l'année précédente, à l'issue duquel il avait atterri à l'hôpital avec une commotion. Cette fois, c'était mille fois pire, et c'était donc très précisément la raison pour laquelle Bill ne voulait pas en parler.
“Bill, tu te souviens de cette fois où toi et Tom vous aviez cassé la fenêtre ?” demanda-t-il. Bill hocha misérablement la tête, se souvenant de cet événement qui avait eu lieu peu de temps après que sa mère se soit remariée. “Tu te souviens comme tu t'étais senti mieux après en avoir parlé ?” continua le docteur Engle. Bill hocha de nouveau la tête mais continua à garder le silence.
Le docteur Engle soupira et ôta ses lunettes, se massant l'arrête du nez. Ca ne menait à rien, ils étaient dans une impasse. Peut-être que pour une fois il aurait plus de chance avec le plus âgé des jumeaux. De ce qu'il avait cru entendre en provenance de la salle d'attente, il semblait que Tom soit considérablement plus volubile que d'habitude. Quand il avait fait venir Bill seul dans son bureau, Tom avait tempêté et hurlé à gorge déployée. Il avait l'air d'être persuadé qu'ils allaient être définitivement séparés.
“Très bien, Bill, puisque tu n'as pas envie de parler, laissons Tom prendre son tour. Tu peux aller t'asseoir avec ta mère et peut-être que tu te sentiras plus disposé à parler plus tard,” suggéra le docteur Engle. Il ne servait à rien de trop presser Bill dans le cas présent. Il n'attendit pas sa réponse avant d'appuyer sur le bouton de son interphone “Liz, pouvez-vous s'il vous plaît demander à Madame Trümper d'amener Tom ? On va échanger un peu plus tôt que prévu,” dit-il dans l'interphone.
“Je vous l'envoie tout de suite Docteur,” répondit la secrétaire.
Bill se glissa hors du divan, n'étant que l'ombre du petit garçon que le docteur Engle avait vu la dernière fois. Le langage corporel de l'enfant en disait long, même si le dit enfant n'ouvrait pas la bouche. Ses épaules étaient affaissées, ses yeux ne quittaient pas le sol, et il traînait des pieds en allant à la porte pour échanger sa place avec Tom.
Simone ouvrit la porte, tirant Tom derrière elle. Jamais le docteur Engle ne lui avait vu un air aussi inquiet et aussi décomposé, et Tom avait l'air encore plus misérable que son frère. Le docteur Engle observa avec intérêt la façon dont les jumeaux levèrent le regard, leurs yeux se croisant pendant un instant ; et aussi malheureux qu'ils soient, ils arrivèrent à se sourire l'un à l'autre.
Tandis que les jumeaux se croisaient au niveau de la porte, Tom tendit le bras et saisit la main de Bill, la serrant affectueusement. Simone se saisit rapidement de Bill et le tira, l'éloignant. Elle ne savait pas quoi faire dans cette situation, mais tant qu'elle ne saurait pas ce qu'il se passait il fallait qu'elle sépare ses garçons. C'était pour leur propre bien.
Tom s'installa lui aussi sur le divan, mais au lieu de se ramener en boule il se jeta littéralement dessus. Même s'il évitait le contact visuel autant que Bill, Tom fixait le plafond plutôt que le sol. Il était remarquable de voir à quel point les jumeaux pouvaient être si similaires et si infiniment différents à la fois. Le docteur Engle nota qu'à présent ils se différenciaient dans leurs apparences, les cheveux de tom étant légèrement plus longs que ceux de Bill. Il se demanda s'il y avait une raison à ça, mais il creuserait cela plus tard. Il y avait un problème bien plus important que ça sur lequel se focaliser aujourd'hui.
“Tom, est-ce que tu sais pourquoi toi et Bill êtes revenus me voir aujourd'hui ?” demanda gentiment le docteur. Le bref coup d'œil qu'il jeta sur les yeux de Tom lui certifia que le garçon le savait, et il se décida à ne pas tourner autour du pot comme il l'avait fait avec Bill. Pas si ce que Simone avait dit était vrai. Pas si Tom était l'agresseur.
“On s'est faits attraper,” admit Tom, le ton neutre et dénué d'émotion. Ce n'était pas un réel manque d'émotions. En vérité, Tom avait si mal qu'il n'arrivait pas le gérer. Il se refermait et se coupait des autres, mais le docteur Engle était assez expérimenté pour le voir.
“Vous vous êtes faits attraper pendant que vous faisiez quoi, Tom?” sonda le médecin. Il attendit la réponse en retenant son souffle. Son instinct lui disait déjà que sa crainte initiale était infondée, mais il était nécessaire qu'il continue à poser ses questions. Il fallait qu'il soit sûr.
Tom resta silencieux pendant quelques instants, retenant sa respiration. Il ne vouait pas le dire, mais en même temps il souffrait du besoin de se confesser. Le docteur Engle avait prouvé qu'il était digne de confiance, mais Tom avait peur qu'il ne soit comme tous les autres, qu'il ne leur tourne le dos. Même leur mère essayait de les séparer maintenant.
“On jouait à des jeux secrets,” finit par se confesser Tom.
Le docteur Engle ne laissa pas sa réaction transparaître sur son visage. Il avait trop d'expérience pour faire une telle erreur. Avec complète neutralité et un calme apparent, il continua à poser des questions, “Tu peux m'en dire plus sur les jeux secrets auxquels tu joues avec Bill ?”
Tom se glaça. Il ne comprenait pas pourquoi, mais il savait que ce qu'ils faisaient était mal. Il le savait en CP quand la maîtresse avait envoyé le mot à la maison. Il le savait quand leur père avait dit qu'ils étaient malsains de faire ça. Il le savait quand leur mère les avait séparés et avait pleuré pendant des heures après les avoir surpris. Quelque chose de mal arrivait à chaque fois que le secret était découvert, et il ne pouvait donc tout simplement pas le dire au gentil docteur Engle, quel que soit la confiance qu'il lui accordait.
Le docteur Engle s'y était attendu, et ce n'était pas particulièrement important. Simone lui avait déjà décrit très exactement ce qu'elle avait vu. Ce qui était important maintenant, était de découvrir pourquoi c'était arrivé. Le docteur prit une profonde inspiration avant de poser la question suivante. “Tom, tu sais qu'ici c'est un endroit sûr et que tu peux tout me dire. Tu n'auras aucun ennui à cause de ce que tu auras pu dire ici. Il faut que tu me dises la vérité. Est-ce que quelqu'un d'autre a déjà joué à ces jeux secrets avec vous ?” demanda le docteur Engle, la voix calme mais ressentant une très vive préoccupation.
Tom détacha enfin son regard du plafond et regarda le psychiatre. L'expression de complète confusion qui se reflétait sur son visage soulagea immédiatement et profondément le médecin. Tom ne pouvait même pas comprendre ou imaginer faire quelque chose comme ça avec quelqu'un d'autre. “Non,” répondit-il simplement, l'idée semblant le dégoûter.
Malheureusement, il fallait que le docteur Engle creuse un peu plus profondément, pour être sûr. Il avait plus d'une fois été confronté à la situation où des enfants qui étaient sexuellement abusés par des adultes reproduisaient ce qu'ils subissaient avec d'autres enfants. Les enfants ne faisaient que reproduire ce qui leur avait été fait, soit qu'ils ne réalisaient pas que c'était mal, soit qu'ils cherchaient à regagner un peu du pouvoir qui leur était arraché par leur agresseur. Quand le docteur Engle avait reçu le coup de fil de Simone à propos de ce qu'il s'était passé, il avait commencé par s'imaginer le pire. Etant donné les sévices qu'ils avaient subi des mains même de leur propre père, il n'y avait qu'un pas pour supposer qu'il les avait aussi abusés sexuellement. Bien que le divorce ait été prononcé il y a quelques temps déjà, les jumeaux continuaient à rendre visite à leur père de temps à autres.
“Tom, est-ce qu'il y a déjà eu quelqu'un qui t'a touché d'une manière qui te ne te plaisait pas, qui te mettait mal à l'aise, ou qui t'effrayait ?” questionna le docteur Engle.
Ces questions laissèrent Tom encore plus confus. Il considéra la question avec attention pendant un petit moment avant de répondre. Tom avait déjà fait ça pendant suffisamment longtemps pour savoir qu'il valait en général mieux répondre la vérité. Il était convaincu que le docteur Engle pouvait lire dans les pensées, parce qu'il semblait toujours savoir quand ils mentaient. “Mon voisin de derrière à l'école il me donne des coups de pied et parfois Bill me tire les cheveux,” finit par répondre Tom, se sentant un peu mal de balancer son frère.
Le docteur Engle fut tellement soulagé par la réponse de Tom qu'il eut envie de rire. C'était la meilleure des réponses. Si un enfant répondait non il fallait analyser cette réponse et essayer de savoir s'il mentait, mais ces confessions innocentes d'agacements qui n'étaient pas liés à la sexualité constituaient en général un bon moyen de savoir qu'il n'y avait pas d'abus.
“Est-ce que tu sais s'il y a quelqu'un d'autre qui joue à des jeux secrets avec Bill ?” demanda le médecin, se forçant à continuer les questions qui pourtant, à ce stade, lui semblaient complètement inutiles.
Tom fronça les sourcils. Il n'avait jamais envisagé la possibilité que quelqu'un d'autre touche ou embrasse Bill de la façon dont il le faisait, et l'idée ne lui plaisait pas du tout, maintenant qu'il y pensait. “Non... C'est ce qu'il a dit ?” demanda Tom. La jalousie flagrante qui transparaissait dans sa voix fit hausser un sourcil au docteur Engle.
“Non, c'est juste qu'il faut que je demande, Tom. La plupart des enfants ne jouent pas à ce genre de jeux, et quand ils y jouent c'est parfois parce que c'est un adulte qui y a joué avec eux et qui leur a donné des idées. Tu le sais, que ce n'est pas bien qu'un adulte vous touche toi ou Bill de cette façon, pas vrai ?” expliqua le docteur Engle, utilisant des termes qu'il savait que Tom pourrait comprendre.
Le ventre de Tom se tordit douloureusement tandis qu'il était frappé d'une terrible révélation. Le docteur Engle parlait du même mauvais genre de toucher que celui dont la maîtresse avait parlé à l'école. Il se souvint de cette leçon où on leur avait parlé d'un toucher qui vous dégoûtait ou vous effrayait, et où leur avait expliqué qu'ils devaient en parler à un adulte si ça arrivait, parce que ce genre de toucher s'appelait de l'abus. Tom pâlit en réalisant que le docteur Engle pensait que leurs jeux secrets faisaient partie du mauvais genre de toucher. Ces jeux ne le faisaient pas se sentir mal. Ils le faisaient se sentir bien, vraiment bien, du moins c'est ce que pensait Tom. Mais si ils effrayaient Bill ? Si Bill n'aimait pas ça ? Il avait toujours eu l'air de bien aimer, mais Tom se sentit soudainement très confus, et très effrayé. Il avait l'impression qu'il allait vomir.
“Tom... Tom, tu vas bien ?” demanda le docteur Engle, inquiet, quand Tom ne pipa soudainement plus un mot.
**
Deux jours plus tôt
“Je t'ai trouvé !” déclara triomphalement Bill alors qu'il regardait derrière la souche d'un vieil arbre du jardin et y découvrait son frère accroupi. “Maintenant c'est à toi de chercher,” sourit-il. Bill avait toujours préféré se cacher.
C'était une belle journée de printemps et les jumeaux avaient passé tout l'après-midi à courir dans le jardin et à profiter de ce rare jour de beau temps. Les choses se passaient bien dernièrement. Les enfants à l'école étaient plus gentils, et les jumeaux s'étaient même fait un ami. Jörg était parti et ils ne l'avaient vu que durant de rares et heureusement brèves visites. Bien que les jumeaux ne lui feraient plus jamais confiance, il semblait essayer de faire des efforts. Après cette horrible nuit il ne les blesserait plus jamais, aucun d'entre eux. Même leur mère semblait plus heureuse. Elle avait rencontré un homme qui s'appelait Gordon, et maintenant il était leur beau-père. Les jumeaux n'avaient tout d'abord pas trop su quoi penser de lui, mais ils avaient rapidement réalisé que Gordon n'était pas comme Jörg. Gordon les comprenait presque aussi bien que leur mère.
“Okay, mais interdit de se cacher dans le hangar. Maman dit qu'il ne faut pas y aller,” lui rappela Tom. Ce jeu devenait ennuyant, mais Tom continuerait à céder à Bill aussi longtemps que celui-ci le regarderait avec ces yeux de chien battu.
Bill hocha la tête pour montrer son accord et Tom s'assit au sol, posant ses mains sur ses yeux et baissant la tête vers ses genoux. “Un, deux, trois, quatre,” commença à compter Tom tandis que Bill courait pour aller chercher une bonne cachette. Ce jeu devenait de plus en plus dur maintenant que Tom connaissait toutes ses meilleures cachettes, mais Bill adorait toujours y jouer.
“Quarante-sept, quarante-huit, quarante-neuf, cinquante ! Attention j'arrive !” cria Tom. Il tendit l'oreille dans l'espoir d'entendre un gloussement qui lui indiquerait la position de Bill, mais de toute évidence Bill avait appris à réprimer cette envie qui l'avait déjà tant de fois fait perdre.
Tom avança à pas de loups dans le jardin, vérifiant toutes les cachettes habituelles. Bill était trop grand pour se cacher dans le cache-pot vide maintenant. Il avait découvert ça à la fin de l'été dernier, quand il s'y était caché et s'était retrouvé coincé. Bill ne se cachait pas derrière le chêne, et il n'y avait pas grimpé, non plus. Tom vérifia le potager, et le long de la maison, et il ne trouvait toujours pas Bill. Il allait être à court d'endroits où chercher.
“Bill, tu ferais mieux de pas être dans le hangar !” gronda Tom en se dirigeant à grands pas vers le hangar, prêt à laisser tomber le jeu si Bill avait encore enfreint les règles. Il était sur le point d'ouvrir la vieille porte branlante quand il aperçut du coin de l'œil un petit bruissement. Il observa plus attentivement et attendit que cela se reproduise, et quand il fut certain que c'était Bill, il lui bondit dessus.
“Je t'ai trouvé !” déclara Tom alors qu'il renversait Bill sur le dos, l'immobilisant entre lui et le sol. Ca n'était pas vraiment prévu dans les règles du cache-cache, mais Tom commençait à se lasser des règles originelles du jeu.
Bill laissa échapper un cri perçant et essaya de se dégager. Cependant, Tom étant assis en plein sur ses hanches, le clouant littéralement au sol alors qu'il jubilait. “Tomi ! Relâche-moi !” geignit Bill tandis qu'il se contorsionnait sous son frère.
Tom grogna et s'appuya plus fort sur son frère. Il se pencha en avant, s'équilibrant en posant ses mains de chaque côté de la tête de Bill alors qu'il regardait les yeux rivés sur lui. “Arrête de te tortiller,” haleta-t-il, même s'il n'était pas vraiment sûr de vouloir que Bill s'arrête. Vu que leurs vies commençaient à vraiment prendre un bon tournant, les jumeaux avaient de moins en moins de raisons de partager un lit la nuit, et par conséquent la fréquence de leurs jeux avait diminuée. Ils n'avaient pas joué à leurs jeux secrets depuis très longtemps, et avec Bill comme ça en train de se tortiller sous lui, Tom sentait déjà la familière sensation d'ailes de papillons dans son ventre.
Bill continua avec entêtement à se tortiller juste parce qu'il ne voulait pas que Tom lui donne des ordres. Il n'avait pas réalisé pourquoi Tom se comportait bizarrement, du moins jusqu'à ce que ses contorsions provoquent dans son propre ventre une agréable sensation de chaleur qui lui tirait des frissons. Bill avait oublié à quel point c'était bon, mais il n'avait pas oublié que quelque chose de mal arriverait si quelqu'un les voyait. “Tomi, Maman pourrait nous voir,” chuchota Bill.
“Ugh... t'as raison. Viens là,” marmonna Tom, se dégageant d'au-dessus de Bill et rampant sous les buissons qui bordaient le hangar.
“C'est tout sale là-dedans,” se plaignit Bill, plissant le nez de dégoût.
“Viens. Si on rentre à la maison tout sales, Maman nous fera sans doute prendre une douche ensemble,” fit remarquer Tom. Il était très rare qu'il se douchent encore ensemble maintenant qu'ils avaient huit ans, mais parfois, s'ils rentraient tous les deux vraiment très sales, leur mère les envoyait tous les deux à la douche ensemble pour gagner du temps.
C'était tout ce qu'il fallait pour convaincre Bill. Il rampa rapidement sous le sombre renfoncement sous les buissons et se retrouva bientôt sur le dos dans la saleté avec Tom qui pesait sur lui. Tom avait l'âme d'un dictateur ce jour-là, mais Bill étant heureux de se retrouver allongé là, il laissa le contrôle à Tom pour une fois.
Les jumeaux se sentaient un petit peu gauches, essayant de saisir exactement ce qu'ils étaient en train de faire. Auparavant leurs jeux avaient toujours eu lieu dans leur chambre, et ils avaient toujours commencé par d'innocents câlins. C'était la première fois que les choses avaient décollé si rapidement et si spontanément, mais il y avait là une opportunité et aucun des deux ne voulait la laisser passer.
Tom se replaça de nouveau au-dessus de Bill, un peu gauche, essayant de reprendre les choses là où ils les avaient laissées. Il s'assit à califourchon sur les hanches de Bill et se pencha tout près de son visage, sa respiration chaude contre la joue de Bill.
“Tu sens le beurre de cacahouètes,” déclara Bill.
“Shh. Il ne faut pas faire de bruit, idiot,” lui rappela Tom.
“Oui mais c'est vrai,” chuchota Bill avec un air renfrogné. Si Tom comptait être mesquin alors il ne jouerait pas, du moins c'est ce qu'il pensait. Dès que Tom eut déplacé ses hanches et se fut pressé contre lui, Bill changea d'avis.
Les lèvres de Tom trouvèrent celles de Bill et il fit taire son jumeau prolixe d'un baiser. Ca commença par être un baiser chaste, fraternel, du genre qu'ils échangeaient quand ils y étaient incités par des proches qui trouvaient cela mignon. Mais ça ne resta pas chaste longtemps. La chaleur concentrée dans leurs ventres se rependait dans leurs corps tout entiers, les pressant de bouger et de se frotter l'un contre l'autre tandis qu'ils s'embrassaient. Les jumeaux n'avaient pas encore réalisé qu'ils pouvaient s'embrasser en ouvrant la bouche, mais ça ne voulait vraiment pas dire que leur passion était inhibée.
“Tu as aussi le goût du beurre de cacahouètes,” dit Bill, hors d'haleine.
“Tu as un goût de bonbon,” répondit Tom, se léchant les lèvres.
“J'ai mangé des vers en gelée,” admit Bill.
“Et t'as pas partagé ?” Tom fit la moue. Lui partageait toujours tout, mais Bill pouvait parfois se montrer égoïste.
“J'en avais qu'un,” expliqua honteusement Bill.
“Menteur.” sourit Tom avant de revendiquer les lèvres de Bill pour un second baiser. Si Bill n'avait pas voulu partager, alors il n'avait qu'à voler le goût de ses lèvres.
Bill gloussa dans le baiser et enroula ses bras autour de Tom tandis qu'ils bougeaient l'un contre l'autre. Les jumeaux avaient remarqué que s'ils alignaient leurs corps juste de la bonne façon, et que s'ils se tortillaient juste comme il fallait, alors ils arrivaient à rendre la chaude sensation d'ailes de papillons en eux encore meilleure. Ces jeux étaient de petites expériences scientifiques, durant lesquelles les jumeaux essayaient de découvrir de nouvelles façons de se faire sentir bien l'un l'autre. Les jeux étaient nés d'un besoin de réconfort, mais ils s'étaient transformés en expérimentations pour la beauté de la recherche.
“Il fait chaud,” haleta Tom. Le chaud soleil de printemps les frappait malgré la couche de buissons, mais Tom était à peu près sûr qu'il aurait fait aussi chaud s'ils avaient été allongés dans la neige. La chaleur semblait irradier de Bill quand ils jouaient à ces jeux.
“Les vêtements tiennent trop chaud,” agréa Bill. Ils avaient les joues rouges et déjà leurs corps luisaient légèrement à cause de la sueur. Il ne leur était jamais venu à l'idée d'enlever leurs vêtements, mais là ça avait l'air d'être une chose complètement logique et normale à faire. Il faisait chaud, et avoir moins de vêtements ferait qu'il ferait moins chaud.
Avant même d'avoir réfléchi plus avant, les jumeaux se retrouvèrent à s'enlever les vêtements l'un de l'autre et à se rouler dans la poussière, ne portant sur eux que leurs sous-vêtements. Aucun d'entre eux ne s'arrêta pour chercher ce qu'ils expliqueraient à leur mère pour justifier qu'ils soient sales même sous leurs vêtements et que leurs sous-vêtements soient tâchés quand ils rentreraient.
“Tomi,” murmura Bill tandis que Tom se frottait contre lui, tentant l'expérience d'embrasser ailleurs que sur les lèvres. Les lèvres de Tom erraient, embrassant le long de la mâchoire de Bill, descendant le long de sa gorge. Enlever leurs vêtements n'avait en rien résolu le problème de la chaleur. Il faisait plus chaud que jamais. Toutefois, les jumeaux avaient maintenant découvert une étape importante dans le processus de se faire sentir bien l'un l'autre. Pour une obscure raison, enlever les vêtements rendait les baisers bien meilleurs.
“Shh, Maman va t'entendre. Fais pas de bruit,” chuchota Tom tandis que Bill commençait à haleter et à balbutier, comme il le faisait souvent quand ils jouaient à ces jeux. Inquiet que Bill puisse les faire surprendre, Tom plaça l'une de ses mains sales sur la bouche de Bill pour le réduire au silence, alors qu'il continuait de lui embrasser la gorge. Même si la main de Tom était sale, Bill s'en fichait. Ce que Tom lui faisait était trop bon pour qu'il s'en soucie.
Simone avait regardé par la fenêtre, gardant un œil sur ses garçons pendant qu'ils jouaient dans le jardin. Elle leva de nouveau les yeux de son travail, réalisant qu'elle ne les avait pas vus depuis un petit moment. Inquiète qu'ils aient pu aller dans le hangar où étaient entreposés les outils et des détergents, elle décida d'aller vérifier. Une fois arrivée dans le jardin, elle put entendre de drôles de bruits qui venaient de ce coin du jardin, et s'apprêtait à tirer les jumeaux hors du hangar et à leur donner une bonne leçon pour avoir transgressé les règles.
En s'approchant du hangar Simone réalisa que les bruits ne venaient pas de l'intérieur du hangar, mais de derrière. Elle le contourna en silence, se demandant dans quel genre d'ennuis ses garçons étaient allés se fourrer. Elle s'attendait à ce qu'ils soient en train de tourmenter une pauvre grenouille ou de déranger une fourmilière. Ce qu'elle découvrit était quelque chose qu'elle ne s'était jamais attendue à voir un jour.
Sous les buissons se trouvaient ses précieux et innocents petits garçons, habillés de leurs seuls sous-vêtements, et couverts de saleté. Les yeux de Bill étaient fermés, et la main de Tom était fermement pressée contre la bouche du plus jeune des jumeaux pour le faire taire. Tom était au-dessus de Bill, se frottant contre lui, et apparaissait assez clairement comme l'agresseur étant donnée la situation actuelle.
Le cœur de Simone s'arrêta. Elle n'arrivait pas à croire ce qu'elle voyait. Tom abusait son propre frère, et le pauvre Bill avait l'air incapable de faire autre chose que de gémir et se tortiller sous lui. Simone ne savait pas quoi faire. Elle ne savait pas quoi penser. Où Tom avait-il appris un tel comportement ? Est-ce que d'autres garçons lui avaient appris ça ? Est-ce que quelqu'un faisait du mal à ses bébés ? Les possibilités qui s'ouvraient devant elle la submergèrent et elle paniqua.
“Tom !” cria-t-elle, retrouvant sa voix.
Tom se figea, la chaude sensation dans son ventre se trouvant remplacée par quelque chose qui ressemblait bel et bien à une brique. Il se cramponna fermement à Bill et se prépara à quelque chose qui ressemblait à ce qui s'était produit quand Jörg les avait surpris. Réalisant qu'ils s'étaient de nouveau faits prendre, Bill commença à sangloter. Il était persuadé que ça allait être juste comme la dernière fois et la peur se mit à courir dans ses veines. Ce ne comptait pas de savoir que sa mère ne lui ferait jamais de mal. L'instinct et l'expérience lui avaient appris qu'être attrapé voulait dire être blessé.
“Tom Kaulitz ! Relâche-le tout de suite !” aboya Simone.
Les jumeaux se séparèrent rapidement l'un de l'autre et émergèrent de sous les buissons. En se tenant debout devant leur mère ils se trouvèrent soudainement très conscients de leur état de presque nudité. Bill se cacha derrière son frère, tremblant de la tête aux pieds.
Simone tentait de retenir ses larmes. Dans d'autres circonstances elle aurait peut-être été capable de gérer la situation. Elle aurait peut-être été capable de se dire que ce n'était qu'une exploration enfantine normale. Ils avaient dû faire face à tant de choses durant ces dernières années, et elle commençait à s'habituer à faire face au pire. Les mots que Jörg avait prononcé la nuit où il avait frappé Bill la heurtèrent de plein fouet. Est-ce que c'était de ça dont il parlait ? Est-ce que ça durait depuis tout ce temps ? Comment pouvait-elle ne pas l'avoir vu ? Son pauvre petit Bill...
“Tom, rentre à la maison et va tout de suite prendre une douche !” ordonna Simone du ton le plus sévère qu'elle arriva à utiliser. Tom hésita, regardant son jumeau tremblant. “Tout de suite !” cria Simone, faisant détaler Tom vers la maison.
Simone se pencha pour saisir la main de Bill, et son cœur se fendit quand elle vit qu'il eut un mouvement de recul. Bill croyait que ça allait être juste comme la nuit avec Jörg, une fois encore, et Tom l'avait abandonné. Bill resta là debout à sangloter, ses bras serrés très fort autour de son torse.
“Shh, tout va bien mon bébé. Maman ne le laissera plus te faire du mal. Tout ira bien,” murmura Simone en attirant Bill dans ses bras. Elle s'était complètement méprise sur la cause de ses larmes ainsi en fait que sur tout ce qu'elle avait vu.
Tom s'assit sur le sol de la douche, pleurant doucement tandis que l'eau entraînait la poussière mais n'arrangeait en rien la honte et la culpabilité qui le consommaient. Il avait laissé Bill. Il ne savait pas pourquoi, mais il avait obéi à sa mère et il avait laissé Bill derrière lui. Il était malheureux d'avoir été attrapé, mais cette erreur le rendait encore bien plus triste.
Simone s'assit dans la chambre des garçons, installant Bill sur ses genoux après l'avoir enroulé dans une serviette. Une fois qu'il avait réalisé qu'elle n'allait pas lui faire de mal il avait abandonné et s'était blotti contre elle, sanglotant doucement jusqu'à ce qu'il n'ait plus de larmes. Comme Tom, il était malheureux d'avoir été surpris, mais encore bien plus malheureux d'avoir été laissé derrière.
“Mon chéri, depuis combien de temps est-ce que Tom te fait du mal ?” demanda Simone, la voix tremblante.
“Il me fait pas du mal,” renifla Bill, frottant son visage sale contre la couverture.
“Depuis combien de temps est-ce qu'il fait ça avec toi ?” retenta Simone. Peut-être que Bill n'était pas prêt à admettre que ça lui faisait du mal.
“Depuis la maternelle,” reconnut Bill. Sa confession suffit presque à faire fondre Simone en larmes elle aussi.
“Je suis désolée, mon bébé. Je ne laisserai plus Tom te faire du mal comme ça,” promit Simone en retenant ses larmes, pour le bien de son fils. Elle ne voulait pas encore plus le stresser.
“Il me fait pas du mal !” insista Bill en pleurant. Il ne savait pas comment lui faire comprendre.
“Alors qu'est-ce qu'il faisait ?” demanda Simone.
“On jouait,” bredouilla Bill, se sentant soudainement embarrassé.
“Mon chéri... vous ne pouvez pas jouer comme ça. Ce n'est pas une bonne manière de jouer,” essaya d'expliquer Simone.
“Pourquoi ?” demanda innocemment Bill.
“Parce… Parce que. Vous ne devez plus jamais jouer de cette façon,” insista Simone. Elle avait besoin aide. Il fallait qu'elle parle à Gordon et il fallait que les garçons aillent voir le docteur Engle.
~**~
Les jumeaux ne se virent pas durant le reste de la nuit. Tom fut confiné dans leur chambre, même pendant le dîner, et Bill fut obligé de suivre sa mère partout. Elle ne le laissait pas hors de sa vue, même pour une minute. Au moment d'aller au lit Bill fut obligé d'attendre en bas avec Gordon pendant que Simone installait un matelas à côté de son propre lit, et elle annonça que Tom y passerait la nuit plutôt que dans sa propre chambre. Puisqu'à ses yeux Bill était la victime, il bénéficierait du confort de son propre lit tandis que Tom dormirait par terre, sous sa surveillance, s'assurant ainsi qu'il n'irait pas faire du mal à Bill.
Ce ne fut que lorsque Tom fut enfermé dans la chambre des parents que Bill fut autorisé à retourner dans sa chambre. Simone l'aida à enfiler son pyjama, le mit au lit puis lui fit un bisou pour lui souhaiter bonne nuit. Bill s'agita et se retourna, s'efforçant de trouver le sommeil. Peine perdue. Sans Tom il était juste incapable de dormir. Après quelques minutes infructueuses d'essais supplémentaires, Bill se glissa hors de son lit pour monter dans celui de Tom. Au moins, ça y sentait comme Tom.
Bill s'enroula dans les couvertures de Tom et s'accrocha à son oreiller comme si c'était une bouée de sauvetage. Bébés, les jumeaux n'avaient jamais eu besoin d'un doudou, par exemple une couverture ou une peluche. Ils s'avaient toujours eus l'un l'autre et n'avaient eu besoin de rien d'autre. Tom avait toujours été là pour réconforter Bill quand il était malheureux, et maintenant qu'il se retrouvait tout seul il découvrait qu'il ne savait pas du tout comment se réconforter lui-même. Bill se recroquevilla en position fœtale en sanglotant doucement, se demandant pourquoi ce qu'ils avaient fait était si mal qu'ils aient mérité ça. Une autre commotion lui paraissait bien enviable par rapport à ça.
En bas, Tom était recroquevillé de la même façon, sur l'inconfortable matelas posé à même le sol. La seule différence était qu'il ne pouvait pas se permettre le luxe de pleurer. Sa mère et Gordon ne dormaient qu'à quelques petits mètres de là, et il ne pouvait rien faire d'autre que de rester misérablement allongé là en retenant ses larmes et en se demandant si Bill allait bien.
FIN CHAPITRE 5