CHAPITRE 4
« Hey. »
Bill s'assit à la table d'Andreas dans la bibliothèque. Andreas posa son livre et le ferma. Il n'était pas en train de lire, de toutes façons.
« Salut… Comment tu m'as trouvé ? » demanda Andreas.
« J'ai des yeux, » répondit Bill, posant son sac à bandoulière sur la table.
« Où tu étais, ces temps-ci ? » Andreas se sentit gêné intérieurement. Quelle question. Bill ne sembla pas s'en soucier, cependant.
« Et bien, j'avais ce truc en ville… Ensuite j'ai été malade. Angine, tu vois. C'est Tom qui l'a, maintenant. Puis hier j'avais juste envie de me balader avec ma mère, » dit Bill. « Donc c'est ce que j'ai fait »
« Tu manques beaucoup l'école. »
« Je ne pense pas avoir beaucoup manqué à l'école. » Bill sortit un miroir de son sac et vérifia son visage. « Désolé. Qu'est-ce que tu lis ? »
« Ce livre pour les cours… Tom a dit que tu as un truc de musique en ville. Ca voulait dire quoi ? » demanda Andreas.
Bill s'égaya. « Je suis dans un groupe. En fait, Tom et moi sommes dans un groupe. Ma mère et moi on est allés en ville parce qu'un type pensait que nous pourrions devenir quelque chose. »
« Woah. Vraiment ? »
Bill haussa lentement les épaules. « Ca n'a pas abouti. C'est souvent le cas d'ailleurs. Mais c'est toujours mieux qu'être au bahut. Ma mère et moi on est sortis dîner. »
« Cool. Quel groupe ? » Andreas faisait de gros efforts pour ne pas sembler trop curieux.
« Tom et moi sommes dans un groupe avec nos amis, Georg et Gustav. Ils ne sont pas ici en cours. Ils sont plus vieux, aussi, » expliqua Bill.
« Qu'est-ce que vous jouez, tous ? »
« Tom est à la guitare, Georg à la basse. Gustav est batteur, et moi je chante, » dit Bill, l'air timide pour la première fois. « On s'appelle Devilish. »
« Alors vous devez être vraiment bon, si les gens continuent de garder un œil sur vous comme ça, même si ça n'aboutit pas, » lui dit Andreas. « Au moins vous savez que vous êtes bons. »
« On est pas mal. Tu devrais venir à une de nos répétitions un de ces quatre, c'est sympa, » dit Bill, ses joues rosissant.
Andreas sourit. « Ca serait cool. Je joue de la batterie. Enfin, j'en jouais. Bref, j'ai une batterie. »
Les yeux de Bill étincelèrent. « Je parie que tu es vraiment bon. »
Maintenant c'était au tour d'Andreas de rougir. « Je fais juste n'importe quoi avec, franchement. Je joue mes groupes préférés et trucs du genre. C'est pas grand-chose. »
« Je parie que tu es vraiment bon, » répéta Bill fermement. La sonnerie annonçant le début des cours retentit, et Andreas commença à se lever. « Attends, ne pars pas. Y'aura pas mort d'homme si tu arrives cinq minutes en retard. »
Andreas rit. « La retenue n'était pas marrante. »
« Tom a dit qu'elle était vachement marrante. »
« Tom a dit ça ? » Andreas haussa les sourcils, agréablement surpris. « Ouais, elle était assez drôle, je suppose. »
« Désolé d'avoir pas été là, d'habitude j'y vais, » dit Bill, souriant.
« Moi aussi je suis désolé que tu n'aies pas été là, » répondit Andreas. Il avait l'impression d'être en train de flirter, et ça le fit rougir plus fort.
« Ouais… Bien. Hey, » dit Bill. « Tu viens après l'école aujourd'hui ? On pourra marcher jusqu'à la maison et je te montrerai certains trucs du groupe, genre où on répète. »
« Et aussi le tas de compost ? »
« Comment tu sais à propos du tas de compost ? » dit Bill, fronçant le nez et riant. « Si tu veux, mais ce truc est dégueulasse. »
Andreas sourit. « Ouais, il le faut. On se rejoint à ton casier après le dernier cours ? »
Bill hocha la tête. « Tu sais où il est ? Je le partage avec Tom parce que… beaucoup d'autres élèves tournent autour du mien et... » Il grimaça. « J'ai des cicatrices qui prouvent à quel point c'était mauvais. »
« Ouais, je sais où il est, » dit Andreas, essayant de ne pas imaginer Bill se faire maltraiter. Ca le mettait trop en colère. « On se revoit tout à l'heure alors. »
« Génial, » dit Bill, les yeux scintillants. « Bye. »
Il se tourna et partit, plaçant des écouteurs sur ses oreilles. Il portait une chemise rayée noire et jaune avec des bretelles, un pantalon rouge qui s'arrêtait juste sous les genoux, et des bottes de combat qui semblaient avoir été peinte avec du vernis à ongle à paillettes. Ses cheveux étaient souples, avec une raie sur le côté et ramenés sur un œil, et il portait quelque chose qui ressemblait suspicieusement à un collier de chat. Alors qu'il s'éloignait d'Andreas, il dansa un peu sur la musique de ses écouteurs.
Andreas secoua la tête. Il pouvait à peine croire la chance qu'il avait, vraiment.
**
Andreas fut très surpris de trouver Bill qui l'attendait à son propre casier quand il sortit de son dernier cours.
« Salut, » dit Bill, lui souriant quand il arriva.
« On ne devait pas se rejoindre au casier de Tom ? »
« J'ai séché le dernier cours alors j'ai pensé que je devrais plutôt venir ici, pour t'économiser un voyage » répondit Bill.
« Tu as séché ? T'es allé où? » Demanda Andreas, sortant des livres de son casier.
« Tom et moi on est allés dans les coulisses du théâtre et on s'est posés sur les divans qu'il y a-là bas, » dit Bill. « C'est le meilleur endroit où aller, si jamais tu veux sécher. »
Andreas ferma son casier et ils commencèrent à marcher. « Qu'est-ce que vous avez fait ? Et où est Tom maintenant ? »
Le visage de Bill s'assombrit. « On s'est assis. Tom raccompagne cette fille, Giselle, chez elle. »
« Tu l'aimes pas ? »
« C'est une pétasse. Elle ne mérite pas Tom et il n'y a aucune raison qu'il l'aime bien. Elle n'est même pas mignonne. »
Andreas se sentit gêné. « C'est une de ces filles qui… um… te dit des trucs ? »
Bill hocha la tête.
« Pourquoi Tom ferait ça ? Ca craint pour lui, » dit Andreas, fronçant intensément les sourcils.
Bill haussa les épaules. « Peu importe. Il peut faire ce qu'il veut. Tu as faim ? »
« Ouais, je mange un sandwich quand je rentre chez moi d'habitude, » dit Andreas.
« Moi aussi, à quoi ? »
« Jambon et fromage. »
« Oh »
Andreas regarda Bill. « Et toi ? »
« Œufs durs écrasés avec du rôti de bœuf et olives saumurées. »
« Ew, » dit Andreas, riant. « Est-ce que tu trouves ça dans le tas de compost ? »
« Peut-être, » répondit Bill, gloussant doucement. « Pour ta gouverne, sache que je pense que ton jambon et ton fromage sont tout aussi dégoûtants. »
« Certes. »
Ils se regardèrent et rirent plus fort. Bientôt ils avaient tourné le coin de rue familier où Andreas avait marché peu de temps auparavant. Toutes les maisons devenaient de plus en plus pittoresques et il savait exactement où était celle de Bill.
Bill trottina jusqu'au portail et commença à traverser la pelouse de sa maison. Andreas observa attentivement l'endroit lorsqu'il franchit la barrière. Il y avait certaines touches subtiles qui faisaient que la maison était plus unique que n'importe laquelle du quartier. Ca indiquait que les jumeaux vivaient là.
Ils entrèrent par la porte d'entrée et Andreas s'arrêta dans l'entrée. « On enlève nos chaussures ? » demanda t-il.
« Pourquoi ? » Bill le dévisagea.
« Parce que… » Andreas haussa les épaules. Ca avait toujours été une des règles de chez lui. « Peu importe. »
« Laisse ton merdier n'importe où, » dit Bill, jetant son cartable par terre. « Allons manger quelque chose, je suis affamé. »
Andreas posa son sac à dos par terre avec hésitation et suivit Bill à travers la maison. C'était tellement encombré, mais rien ne semblait ne pas être à sa place. Andreas comprit tout de suite que le bazar était censé être là.
« Ce n'est pas grand-chose, » dit Bill, regardant par-dessus son épaule. « Mais c'est ma maison. Et ici c'est ma cuisine… »
Ils passèrent à travers deux portes à battants en mosaïque qui semblaient faites à la main. La cuisine était immense, avec une grande table en bois au milieu et des pots et des casseroles étaient accrochés partout. Une femme était assise à la table, lisant quelque chose dans un magazine. Bill se pencha immédiatement sur elle et lui embrassa la joue.
« Hey, Maman, » dit-il.
Elle sourit et leva les yeux. Ses yeux tombèrent sur Andreas. « Oh, bonjour. »
Andreas sourit. Bill et Tom lui ressemblaient beaucoup, surtout Bill. « Bonjour… »
« C'est un ami de l'école, » lui dit Bill.
« C'est Andreas ? » dit vaguement sa mère, ses yeux brillants.
« Ma-man, » pleurnicha Bill.
Andreas commença à sourire. « Ouais, c'est moi. Heureux de vous rencontrer. »
« Je suis Simone, » répondit-elle chaleureusement, tendant sa main vers Andreas. « Je suis vraiment ravie que tu sois ici. »
« C'est bon, Maman, » dit fortement Bill. Il embrassa encore sa joue. « On a faim. »
« Et bien, débrouillez-vous. Je dois aller à la galerie et réarranger quelques trucs, » dit Simone, repoussant sa chaise. « J'attendais juste que tu rentres à la maison pour te dire bonjour. Et Andreas, » ajouta-t-elle, « c'était vraiment merveilleux de te rencontrer enfin. »
Andreas sentit ses oreilles devenir incroyablement chaudes. « Vous aussi. »
« Où est ton frère ? » demanda Simone à Bill.
« Ugh. Il raccompagne Giselle, » grommela Bill.
« Celle qui est hargneuse ? » dit carrément Simone. « Il y a des fois où je ne comprends pas ton frère. »
Bill haussa les épaules. « C'est une salope, il s'en rendra compte. »
« Je suis désolée, chéri, » dit doucement Simone, étreignant Bill. « On en reparlera plus tard. Fais comme chez toi, Andreas. Notre maison est la tienne. Bye, les garçons. »
« Bye, » dirent-ils tous les deux. Andreas se sentait entouré d'une agréable chaleur, debout dans la cuisine Kaulitz. Il avait l'impression qu'il était à sa place, et il s'imaginait très bien rester ici. Bill fouilla dans les placards et sortit différentes choses. Il grimpa sur le comptoir et se percha là un moment, regardant au dessus du réfrigérateur.
« Qu'est-ce que tu cherches ? » demanda finalement Andreas.
« Non, rien, j'étais juste en train de réfléchir. Tu veux du jambon et du fromage ? Je pense qu'on doit avoir du jambon, Tom aime ça. » Bill sauta du comptoir et tira sur son pantalon.
« Je prendrai ce qu'il y a, » répondit Andreas, s'asseyant à la table. Soudain, il entendit un miaulement. « Un chat ? »
« Oh, merde ! Kas. » Bill se retourna et un petit chat trotta dans la cuisine, miaulant tristement. « Ma chatte, Kasimir. Je la nourris tous les jours après l'école. » Il prit le chat dans ses bras et marcha jusqu'à un petit meuble, et en sortit une conserve de nourriture pour chat. « C'est une petite garce. »
Andreas rit. Bill jurait beaucoup. « Qu'est-ce qu'elle a bien pu te faire ?”
“Je sais pas.” Bill lâcha le chat et commença à ouvrir la boîte. « Ugh. »
« Ca sent trop mauvais, » dit Andreas.
« Je sais… c'est genre la pire chose que j'ai jamais sentie, » répondit Bill, fronçant le nez.
« Manges-en, » suggéra Andreas, riant toujours. Bill le fusilla du regard, et Andreas leva les mains. « Je rigole. »
« Tu me mets au défi ? » demanda Bill, souriant en coin.
« Pas vraiment, non. »
« Vas-y, défie-moi. » Bill renifla la nourriture.
Andreas fit une grimace. « Bon, je te défie. »
« Qu'est-ce que tu me donnes si je le fais ? »
« J'ai un euro ? » Andreas fouilla dans sa poche et sortit une pièce. « Ouais, je te donne cet euro. »
« Je ne vais pas manger de la nourriture de chat pour un euro, » protesta Bill.
« Ok, ne le fais pas. »
« Non, je le ferai. »
Andreas regarda Bill qui creusa un peu de nourriture pour chat avec son doigt et le mit dans sa bouche. Il mâcha pensivement, fixant le plafond, et puis avala. « Pas si mauvais. Pas bon non plus, remarque. »
Andreas recommença à rire. « Je ne peux pas croire que tu viens juste de… Voilà, prends l'euro. »
« Nah, garde-le. »
« Tu t'es toi-même défié de manger de la nourriture pour chat, » dit Andreas lentement. « Pour rien. »
« Ca semble vachement idiot quand tu dit ça comme ça, » dit Bill, sortant le reste de nourriture pour chat de la boîte pour le mettre dans la gamelle du chat. Puis il balança la conserve et s'appuya contre le comptoir. Tom déboula par la porte de la cuisine juste après.
« Hey. » Il vit Andreas. « Woah, hey. »
“Salut,” répondit Andreas.
“Bizarre, c'est comme si je savais que tu serais là,” dit Tom, souriant. « Qu'est-ce que vous faites les mecs ?»
« Bill vient juste de manger de la nourriture pour chat, » dit Andreas. Bill haussa les épaules vers Tom.
« Encore ? » Tom prit une banane, déjà épluchée, dans le frigo. « Il ne faut pas l'encourager, c'est comme ces choses bizarres qu'il fait. »
« Tom ! » brailla Bill. Il leva les yeux au ciel et secoua la tête vers Andreas. « Ce n'est pas vrai. »
« Je crois Tom, » dit Andreas pour s'excuser.
Bill fronça les sourcils et s'assit à la table. « Comment va Giselle ? » demanda t-il solennellement à son frère.
« Elle va bien… Elle dit certains trucs malveillants alors je ne pense pas que je la raccompagnerai encore chez elle, » dit Tom.
« Je te l'avais dit. »
« Ouais, tu me l'avais dit. » Tom sourit un peu à Bill et Andreas s'éclaircit la gorge. « Vous avez déjà mangé les mecs ? »
« Non, » dit Bill, toujours renfrogné. « Nous allions le faire. Tu veux quelque chose ? »
« Ouais, allons manger en regardant la télé, » dit Tom, attrapant déjà des trucs sur le comptoir. Il sortit de la pièce et Bill leva les sourcils vers Andreas.
« Est-ce que tu veux y aller ? »
Andreas hocha la tête. « Bien sûr. »
Alors qu'ils faisaient quelques casses croûtes et les apportaient dans l'autre pièce pour rejoindre Tom, Andreas ne put s'empêcher de remarquer le changement d'humeur de Bill. Il avait des sautes d'humeur, c'était certain, et elles étaient surtout déclenchées par Tom, d'après ce que Andreas pouvait en dire. Pourtant il pouvait facilement le concevoir – ils étaient tout ce que l'autre avait, il était donc normal qu'ils s'affectent autant l'un l'autre.
Bill sauta sur le divan où Tom était et s'assit sur ses épaules, gloussant et se tortillant sur lui. Tom protesta et poussa Bill du canapé, par terre. Ils riaient tous les deux follement. Tout était pardonné.
Andreas fit un sourire et prit place dans un fauteuil près du canapé.
**
Au cours des semaines suivantes, Andreas alla chez les jumeaux après l'école encore six fois. Ce n'était jamais une chose prévue jusqu'à ce que Bill mentionne qu'Andreas devrait venir à la maison avec eux ce jour. Andreas adorait aller là-bas. Bill et Tom étaient francs et drôles. Ils étaient assez lunatiques pour être toujours intéressés par quelque chose, et Andreas ne s'ennuyait jamais avec eux.
Leurs parents étaient formidables, aussi. Simone commençait à traiter Andreas comme l'un de ses propres fils, étant toujours aux petits soins pour lui quand il venait. Gordon, leur beau-père, avait toujours quelque chose d'intéressant à dire, aussi bien au sujet de la musique, du temps, que de quelque chose de totalement inutile. Leur maison était tranquille, sans pression. Il n'y avait pas de règles parce qu'aucune n'était nécessaire.
Un soir, Andreas était assis chez lui, faisant ses devoirs en mangeant un dîner léger. Un peu plus tôt il était allé chez les Kaulitz, et il avait mangé beaucoup de pâte à pizza crue. Pourtant, il devait faire semblant de manger un repas équilibré pour que son père le voit quand il rentrerait à la maison.
Andreas tourna la page de son cahier de français et vit quelque chose d'écrit avec l'écriture de quelqu'un d'autre. C'était un numéro de téléphone et il était griffonné en dessous : « Appelle en cas d'incendie. »
Il plissa les yeux et fixa le mot. Il avait travaillé avec Bill l'autre jour en français parce que Tom était absent. Bill s'était amusé, griffonnant des images et des gros mots en français dans la marge du cahier d'Andreas, mais Andreas ne se rappelait pas avoir vu ce mot si particulier.
Il l'arracha en un bout de papier et le regarda fixement.
« Andreas ? »
Andreas leva le regard et vit son père rentrer. « Salut, » répondit Andreas, glissant la page déchirée sous son manuel. « Je viens juste de finir mes devoirs. »
« C'est bien, » dit son père, déposant sa mallette. « Comment était l'école ? »
« C'était bien, » dit Andreas. Il vit son père froncer les sourcils. « J'ai une matière en plus en science, parce que j'ai beaucoup d'avance sur tous les autres. »
« Tu étais le seul, alors ? » demanda le père d'Andreas, le regard joyeux.
« Et bien… Il y avait aussi un autre à qui on a proposé. Il ne vient pas d'emménager, il est juste vraiment intelligent. Il a décliné l'offre, pourtant, » dit Andreas en pensant à Tom. Tom se fichait des matières supplémentaires.
« Tu es clairement le plus sensé, » gloussa son père. « Tu vas être le premier de la classe, c'est sûr. »
« Je ne m'en soucie pas vraiment, » dit Andreas doucement.
Son père soupira. « Autre chose ? »
Andreas pensa à sa journée, mais tout ce dont il pouvait clairement se souvenir était d'observer Tom faire des trucs en skateboard alors qu'il était assis sur le trottoir avec Bill. Ils mangeaient des glaces et lorsqu'ils étaient arrivés à la moitié, Bill avait décidé qu'il voulait celle d'Andreas à la place. Il avait supplié et supplié, et lorsque Andreas avait accepté de changer, elles étaient quasiment fondues. « Ca aura probablement le goût de la bouffe pour chat, » avait taquiné Andreas, et Bill avait juste levé les yeux au ciel et souri. Ses lèvres étaient violettes à cause de la glace.
« Non, rien d'autre, » dit Andreas.
Le père d'Andreas le fixa pendant un moment. « Tes cheveux deviennent trop longs, tu sais. »
« Je me suis dit que je voulais essayer quelque chose d'un peu différent, » expliqua Andreas, repoussant ses cheveux marron de ses yeux. « Ils ne vont pas devenir incontrôlables. »
« Hm. » Son père se tourna vers le comptoir de la cuisine. « Je vois que tu ne rentres plus bien tes chemises dans ton pantalon, aussi. J'ai essayé de ne rien dire parce que je sais que tu es distrait par l'école, mais quand même. »
« Je suis désolé. »
« Et pour le foot ? »
Andreas baissa le regard. « Je n'en veux pas. »
Son père soupira. « Tu ne peux pas continuer à te rendre responsable pour ce qui est arrivé. »
« Ok. » Andreas se leva et ramassa ses livres. « Je vais au lit maintenant, bonne nuit. »
« Reste là. »
Andreas se figea et se retourna.
« J'ai des nouvelles de ton école, tu sais. J'ai eu une lettre dans le courrier. Une colle, vraiment, Andreas ? » Son père semblait déçu. « Tu n'avais jamais fait ça. »
« Oh. » Andreas continuait de regarder le sol. « Ca n'arrivera plus. »
« Tu as raison, ça n'arrivera plus, » répondit son père. « Il y aura des conséquences la prochaine fois. »
Andreas hocha la tête et sortit de la pièce. Il sortit encore plus sa chemise de son pantalon et froissa ses cheveux tandis qu'il montait les escaliers. Il avait le bout de papier déchiré avec le numéro de téléphone dans sa main. Si son père découvrait jusqu'où il avait été, il avait le sentiment qu'il ne lui pardonnerait jamais.
**
Bill faisait des pas chassés près d'Andreas tandis qu'ils marchaient pour rentrer à la maison depuis le magasin de disque après l'école. Tom suivait de près sur son skateboard, s'écartant sur la route de temps à autre, quand la circulation était calme. Bill avait deux albums dans les mains et Andreas buvait un soda.
« Dépêchez-vous, » Tom les appelait, derrière eux. « Vous êtes si lents. »
Andreas regarda par-dessus son épaule, ses cheveux lui rentrant vraiment dans les yeux. Il ne les avait jamais eu aussi longs, et il aimait de quoi ils avaient l'air. « Double-nous. »
« Laisse-moi monter dessus, » dit Bill, poursuivant Tom. Il saisit les épaules de Tom et grimpa sur l'arrière du skate. Tom leva les yeux au ciel mais donna facilement un petit coup vers l'avant. Andreas supposa que c'était quelque chose qui arrivait souvent.
« J'ai faim, » dit Tom. « J'espère qu'on aura quelque chose de bon pour dîner. »
« Moi aussi, » répondit Bill. Il regarda Andreas. « Tu veux rester pour dîner ? »
« Peux pas, » dit Andreas, avec regret. « Je dois rentrer à la maison et faire mes devoirs. »
« T'es pas drôle, » dit Bill en chantonnant, frappant Andreas dans les côtes. Andreas rougit et baissa les yeux. « T'es pas drôle ! Pourquoi tu ne viens jamais le week-end ? »
« Parce que tu ne m'as jamais demandé ? » Andreas leva les yeux. Bill le fixait, un sourire amusé sur le visage.
« Je t'ai dit de m'appeler. » Bill fit la moue.
Andreas sentit son estomac se retourner. Alors ça avait été Bill. « Ouais, en cas d'incendie. »
« En cas de n'importe quoi ! » Bill sauta du skate de Tom et marcha de nouveau avec Andreas. « Tom et moi allons au parc à minuit ce week-end, tu devrais venir. »
« Ouais, » dit Tom, souriant. « On a des feux d'artifices. »
Andreas pouvait déjà imaginer l'expression de son père si il essayait de lui demander de sortir tard. « Je ne sais pas. »
« Viens, » le pressa Tom. « Bill ne veut pas toucher aux feux d'artifices, c'est un gros bébé. »
« Je ne suis pas un bébé, » dit Bill avec vigueur. Il poussa Tom du skate et Tom trébucha, riant. « C'est toi le bébé. »
« Où vous avez eu des feux d'artifices ? » demanda Andreas.
« Georg les a eu, je ne sais pas où, » dit Tom. « On s'en fout. »
« Peut-être, » dit Andreas doucement. « Je ne sais pas comment je vais venir. »
« A pied, » dit simplement Bill.
« On viendra te chercher, » proposa Tom.
Andreas haussa les épaules. « Je vous tiens au courant. »
Bill sourit avec un air mignon. « Tu ne peux pas dire non. »
Andreas devint cramoisi. « Vos parents se soucient que vous sortiez si tard ? »
« Ils ne le savent pas vraiment, » dit Tom, « Ou si ils le savent, ils font comme s'ils ne le savaient pas. »
« On sort en cachette, » ajouta Bill. « Le village est le mieux la nuit. »
« Tes parents se feront du souci ? » demanda Tom à Andreas.
C'était une question innocente, mais Andreas se sentit soudainement morose. « Probablement. »
Bill sentit tout de suite que quelque chose clochait. Il poussa Tom de nouveau et cette fois, Tom cria en colère. « Trou du cul. »
« Enculé, » répondit Bill. Ils se sourirent. Bill se tourna de nouveau vers Andreas. « C'est pas grave si tu ne viens pas, c'est juste que ça serait cool. »
Andreas regarda Bill. Bill était habillé d'un sweet à capuche orange brillant qui semblait cinq fois trop petit, d'un pantalon jaune avec des rayures bleues en long des côtés, et ses cheveux étaient aplatis sur un de ses yeux. Il avait du maquillage pour les yeux brillant, et deux Converses de couleurs différentes. Andreas imagina la réaction de son père vis-à-vis de Bill et décida que les jumeaux ne pourraient jamais venir chez lui.
« Qu'est-ce que tu regardes ? » demanda Bill.
« Probablement ta sale gueule, » dit Tom fort. Bill lui donna un gros coup de poing sur l'épaule.
Andreas rit doucement. « Rien, j'étais juste perdu dans mes pensées.”
Bill croisa le regard d'Andreas tandis qu'ils marchaient dans l'allée des jumeaux. « Reste pour dîner, » le pressa t-il.
Andreas fronça les sourcils. « Je peux pas. »
« Tu peux, » dit Bill fermement. Andreas secoua la tête. « Ok, reste quand même un petit moment alors. »
« Emménage, » plaisanta Tom, donnant un petit coup à son skate. « Ca ne dérangerait pas Maman. »
Ils rigolèrent tous les trois alors qu'ils entraient. Andreas failli trébucher sur les chaussures que Bill avait mises la veille, étalées dans l'entrée.
« Oh, viens là une seconde, » dit Tom à Andreas, tirant sur son bras. « J'ai tes notes de Bio que j'ai empruntées quand j'étais dehors. »
« D'accord, » répondit Andreas. Il jeta un dernier regard à Bill, qui déambulait dans la cuisine. Il suivit Tom à l'étage, quelque part où il n'avait jamais été avant. Il y avait trois pièces en haut de l'escalier, deux portes fermées et une salle de bain. Tom entra dans l'une d'entre elles et alluma la lumière.
Andreas se retrouva dans la chambre de Tom. C'était un des endroits les plus bordéliques dans lesquels il était jamais allé. Il y avait des habits partout sur le sol, et parmi les vêtements il y avait des médiators, des emballages de barres sucrées et des boîtiers de CD. Il y avait trois guitares dressées dans le coin. Sur le mur il y avait des posters de groupes, des classiques, des vieux, et deux posters d'écolières colorés provenant de manga.
« Désolé pour le bordel, » marmonna Tom. « Et pour l'odeur. »
« Pas de problèmes, » répondit Andreas. « J'aime bien tes guitares. »
« Ouais, ce sont mes copines, » répondit Tom, souriant. Il rampa sur son lit défait et farfouilla de l'autre côté. Quand il revint, il avait le cahier de Biologie d'Andreas dans la main. « Voilà… C'est possible que j'ai renversé de la merde dessus. »
« Je m'en fiche, » dit Andreas, riant. « Tant que je peux toujours le lire. »
Tom grimaça. « Je te promets rien. Allons retrouver ma sœur. »
Andreas rit vraiment fort à la remarque. « D'accord. »
Il jeta un dernier regard dans la pièce tandis qu'ils sortaient. « C'est la chambre de Bill ? » demanda Andreas, indiquant l'autre porte fermée.
Tom hocha la tête. « Ouais. Tu as dû penser que l'odeur dans ma chambre était mauvaise… »
Ils descendirent les escaliers et Andreas remarqua qu'il commençait à faire sombre. Il devait bientôt partir. Quand ils s'approchèrent de la cuisine, Andreas entendit la voix de Bill.
« Mais tu me laissais toujours avant, » était-il en train de pleurnicher à sa mère, qui touillait une tasse de thé. « Pourquoi tu fais la garce avec ça maintenant ? »
« Parce que tu as beaucoup trop manqué l'école, » répondit Simone d'un ton égal. Elle jeta un coup d'œil en l'air quand Tom et Andreas entrèrent dans la pièce. « Tom, tu as trop manqué l'école aussi. »
« Alors je ne le ferai plus, » dit Tom, haussant les épaules et prenant un soda dans le frigo.
Bill fixa Tom. « Maman, nous avons une chance d'être remarqués, » dit-il. « Demain en ville. Georg vient juste de me le dire. Lui et Gustav vont y aller. »
« Ce que leurs parents les laissent faire les concerne, » dit Simone. « Je pense que je suis plus qu'indulgente. »
« Je ne sais même pas ce que ça veut dire, » hurla Bill. « Laisse-nous juste y aller, putain. »
« Non. »
Andreas plia les bras, gêné.
« Et si c'était enfin ça ? » pressa Bill. « Et si tu nous faisais rater le truc qui va marcher pour nous ?”
“Alors je l'aurai sur la conscience pour toujours,” dit-elle, levant les yeux au ciel. « Il est plus important d'aller à l'école. »
« Les putains de gens me détestent là bas ! Tu veux savoir ce qu'ils ont fait hier ? Ces types allumaient des allumettes et les balançaient sur moi, » dit Bill, au bord des larmes. Andreas commença à avoir une douleur au coeur. « Et maintenant tu es debout ici, faisant ta grosse pute avec moi ? Tu es pire qu'eux. »
Tom toussa. « Bill… »
« Et je ne peux pas croire une chose pareille, putain tu ne crois même pas en nous, » continua Bill. « Tu penses que nous sommes merdiques. Comme si on allait jamais y arriver. Je parie que Gordon nous laisserait y aller. »
« Il ne vous laisserait pas, » dit Simone, exaspérée. « Tu réagis de façon excessive. Il y aura d'autres occasions, le week-end. »
« De la merde, oui, » dit bruyamment Bill. « Tu es la putain de pire mère qui existe. Je te déteste. »
Andreas commença à partir vers la porte. « Au revoir. » dit-il doucement. Chacun leva vaguement les yeux quand il partit et il n'était même pas arrivé à la porte d'entrée avant que les cris ne recommencent.
Il marcha jusque chez lui la tête basse, les cheveux dans les yeux, les mains dans les poches. Ce n'était pas la dispute en elle-même qui l'avait dérangé. C'était le fait que ça lui avait fait penser à sa mère.
Andreas n'en voulait pas à Bill de traiter sa mère comme ça. Il comprenait comment ça pouvait être. Mais depuis que sa mère était partie, elle lui avait profondément manqué et il était plus sensible sur comment les gens traitaient leur propre mère. Il se battait avec elle constamment, sans savoir qu'il ne l'aurait pas pour lui encore tellement longtemps. Normalement Andreas ne supportait pas d'être avec les mères des autres, mais Simone l'avait fait se sentir tellement à l'aise qu'il s'était ouvert à elle.
Maintenant, après avoir été près d'elle et de Bill comme ça, il ne pensait pas y retourner avant un moment.
Quand il arriva chez lui, il vit la voiture de son père dans le garage. Andreas grogna. Il rentra sa chemise et se frotta les joues au cas où il y aurait de la saleté dessus. Puis, il mit ses cheveux derrière ses oreilles.
« Bonsoir, » dit poliment son père quand Andreas entra dans le salon.
« Hey, » dit Andreas. « Salut. »
« Où étais-tu ? » Le père d'Andreas leva les yeux de son livre.
« Parti faire une promenade. »
« Il commence à faire froid. »
« Oui, mon général. »
« As-tu trouvé quelque chose d'intéressant dehors ? » Son père offrit un petit sourire.
« Juste…. Des trucs. » Andreas enleva son sweat-shirt et commença à sortir de la pièce. « Papa. »
« Hm ? »
« C'était une mauvaise journée. Pour, tu sais. »
Son père hocha la tête lentement. « Je resterai là. »
« Ok. » Andreas se tourna et monta dans sa chambre. Elle était ordinaire comparée à celle de Tom. Il n'avait rien sur les murs. Le sol était impeccable. Son lit était toujours fait. Il avait un bureau avec un ordinateur, une armoire en bois, un miroir, et quelques trophées de foot sur la bibliothèque. La seule chose qui détonnait était un gribouillage que Bill avait fait sur un bout de feuille, caricaturant leur prof de Français en chien. Il était accroché au dessus de l'ordinateur.
Andreas s'étendit sur son lit et enleva ses chaussures. Il se sentit soudain épuisé. Il ne pouvait pas s'arrêter de penser à Bill et Tom. Ils étaient toujours dans sa tête, encore plus maintenant qu'il était ami avec eux.
Il pensait spécialement à Bill.
Les jumeaux le changeaient, mais Bill était celui qui avait le plus d'impact. Andreas disait des choses seulement pour faire rire Bill. Il faisait toujours très attention à ce qu'il faisait devant Bill. Il rougissait quand Bill le regardait. Il espérait toujours que Bill allait dire un truc agréable sur lui, et il le faisait souvent. Les oreilles d'Andreas étaient rouges en permanence.
Il s'endormit, pensant à Bill
**
Andreas se réveilla quelques heures plus tard à une forte sonnerie. Il se réveilla en sursaut, s'asseyant et haletant. C'était le téléphone, et il sonnait juste à côté de son lit. Il regarda l'horloge. Il était presque 23 :30.
« Merde, » jura-t-il, paniquant. Il espérait que son père ne se réveillerait pas. Il prit très soigneusement le combiné et le porta à son oreille. « Allô ? »
« Est-ce que tu vas bien ? »
Andreas se figea. Bill. C'était Bill.
“Allô?”
Andreas s'éclaircit la gorge. “Uh.”
« Tu vas bien ? »
« Comment as-tu eu mon numéro ? » était tout ce qu'Andreas pu dire.
« Je l'ai trouvé. Tu vas bien ? »
Andreas essaya de se calmer. Si son père n'était pas encore entré et ne lui avait pas encore hurlé dessus maintenant, alors il savait qu'il était en sécurité. « Ouais… Ouais. Je vais bien. »
« Tu n'avais pas l'air bien. Je voulais juste vérifier, » dit Bill doucement.
« Il est tard, » répondit faiblement Andreas.
« Je sais. Qu'est-ce que tu fais ? Tu es fâché contre moi ? »
« Je dormais… Non, bien sûr que non, » dit Andreas. « Pourquoi ? »
« Parce que tu avais l'air genre de me détester quand je me suis engueulé avec ma mère. » dit Bill. « Je n'étais pas sûr. »
« Et bien, ce n'est pas le cas. »
« Tom a dit que nous devrions juste passer chez toi pour voir si tu allais bien, ou si tu nous détestais, mais j'ai dit que ce serait impoli. »
Andreas rit. « Ouais, ça aurait pu l'être.”
“Alors qu'est-ce qui n'allait pas ? Pourquoi tu es parti ? » Demanda Bill. Il avait l'air d'être si près du combiné qu'il le mangeait. Tout ce qu'Andreas pouvait entendre était une forte respiration.
« Ce n'est pas grand-chose, » lui dit Andreas, enroulant le fil du téléphone autour de ses doigts. « Je suis juste déprimé à cause d'un truc. »
« Oh. Quoi ? »
Andreas secoua la tête. Bill était si curieux. « Je ne pense pas que ça t'intéresse. »
« Bien sûr que ça m'intéresse. Dis-moi. »
« Je ne sais pas, ce n'est pas vraiment des choses qu'on dit au téléphone. »
Bill devint silencieux. « Tu veux qu'on fasse le mur? » chuchota-t-il.
Andréas gémit. Il le voulait, plus que n'importe quoi. « Peux pas, mon père va se réveiller. »
« Ca craint. Dis-moi alors. »
« Um… » soupira Andreas. « Ma mère est morte il y a un an. »
« Comment ? »
« Accident de voiture. »
« Je suis désolé, » dit doucement Bill. « Je ne savais pas. »
« Tu pouvais pas savoir… De toutes façons, je deviens juste bizarre quand il y a des gens avec leur mère près de moi, » admit Andreas. « Ce n'est pas grave et ce n'est pas tout le temps, ça arrive juste parfois ou un truc du genre. »
« Oh, » dit encore Bill. Ce fut le silence pendant un moment. « Tu es sûr que tu ne veux pas que je fasse le mur ? Je le ferai. Juste moi. Tom n'est pas invité. »
« Une autre fois, » répondit Andreas, souriant. « Je t'en dirai plus une autre fois. »
« Oh, ok, » dit Bill, l'air tout petit. « Et bien, salut. »
Il entendit le clic du téléphone, et puis la tonalité. Andreas fixa le téléphone, confus.
FIN CHAPITRE 4