Chapitre 2
Allemagne
Tom mena Bill jusqu'aux couchettes et le fit asseoir. “Calme-toi, tout va bien se passer,” dit Tom, s'asseyant à côté de Bill. Il ne savait pas vraiment quoi faire, Bill tremblait comme une feuille.
“Tom, qu'est-ce qui se passe ?” demanda Bill. Il pressa son corps contre celui de Tom et enroula ses bras autour de son frère, serrant fort. Tom se trouva mal à l'aise dans cette étreinte inhabituelle mais serra lui aussi Bill dans ses bras en retour.
“Je ne sais pas,” répondit honnêtement Tom. “Est-ce que je suis la seule personne dont tu te rappelles ?”
“Non, je me souviens de tout... et de tout le monde,” dit Bill. “Juste pas de ces gens.”
“Tu te souviens d'autres gens ?”
Bill hocha la tête et enfouit son visage dans le cou de Tom. “Je me souviens de toi.” Ses bras se resserrèrent et Tom ne put que lui rendre son étreinte.
“On va réussir à démêler tout ça,” dit Tom. “Déjà, tu es allé où hier soir ?”
Bill cligna les yeux vers Tom. “Qu'est-ce que tu veux dire ?”
“Où es-tu allé ?” redemanda Tom. “Après qu'on se soit disputés ?”
Une larme s'échappa de l'œil de Bill et roula le long de sa joue pâle. Il secoua la tête et dit doucement, “On ne s'est pas disputés.”
“Si,” dit fermement Tom. “Où tu es allé ? Tu t'en souviens pas ? Tu as dit que tu me détestais.”
Une autre larme coula le long de la joue de Bill. “J'étais avec toi hier soir.”
La panique recommença à croître dans la poitrine de Tom. Il se détacha de Bill, son cœur se serrant à la vue de la douleur qui traversa le visage de Bill. “Tu es sorti avec Andreas,” dit Tom. “Essaye de te rappeler au moins de ça.”
Les sourcils de Bill se froncèrent. “Andreas, du boulot ?”
“Non,” dit Tom. “Andreas, notre meilleur ami.”
“Je le connais à peine,” dit Bill, son regard fixe passant au travers de Tom.
“Mais tu le connais ?” Bill hocha la tête et Tom sourit un peu. “Okay, on avance.” Il posa ses mains sur les épaules de Bill, essayant de maintenir une certaine distance entre eux.
Bill plia ses jambes sous lui et se concentra sur Tom. Il était absolument mort de peur, mais tout semblait allait un petit mieux maintenant que Tom avait pris les choses en main. Tom prenait toujours les choses en main. Il prenait toujours soin de Bill. Bill tendit sa main et toucha le visage de Tom. “Tu es mon Tom, il faut que tu le sois,” murmura-t-il.
Tom tressaillit au toucher et il sembla à Bill que cette réaction lui brûlait la main.
“Où es-tu allé hier soir ?” redemanda Tom.
Bill retira sa main et se la passa sur le visage, où de nouvelles larmes commençaient à tomber. Il était tellement confus, tellement désorienté, et sa tête lui faisait si mal. On aurait vraiment dit qu'il avait la gueule de bois. Peut-être qu'il était en train de tout halluciner. Mais ça avait l'air bien trop réel.
“Je te l'ai déjà dit, j'étais avec toi,” dit Bill, reniflant. “Toute la nuit.”
“On est sortis plus tôt, mais on est pas restés ensemble toute la nuit,” dit Tom. Bill secoua simplement la tête, clairement sceptique. “Alors qu'est-ce qu'on a fait ? Parce que je dormais moi.”
Bill rougit un peu, se rappelant ce que lui et Tom avaient fait la nuit précédente. Ils avaient fait l'amour, pas juste baisé, mais vraiment fait l'amour. Bill venait juste d'avoir sa bourse et ils étaient tous les deux si contents...
Bill hoqueta un sanglot, la vue du visage de son frère se brouillant. C'était Tom, évidemment que c'était Tom. Alors pourquoi est-ce que Tom ne se rappelait de rien ? Pourquoi est-ce que Bill ne semblait se rappeler de rien de ce que se rappelait Tom ?
“Tu sais ce qu'on a fait,” dit Bill, les mots refusant de se former. “Tu le sais.”
“Non je ne sais pas,” dit Tom, essayant de ne pas laisser sa frustration se changer en irritation. Il était mort de peur et il ne pouvait pas secouer Bill comme un prunier. “Dis-moi ce qui s'est passé. J'ai besoin de savoir.”
Bill regarda le dessus-de-lit.
“Dis-le-moi Bill.” La voix de Tom s'intensifia et il secoua doucement Bill.
“On a fait l'amour,” dit doucement Bill. “Après que j'ai eu ma bourse. Mais tu le sais ça.”
De la bile commença à remonter dans la gorge de Tom avant même que Bill n'ait fini de parler. “On a pas fait l'amour,” dit durement Tom. “De quoi est-ce que tu parles ?”
Bill fixa Tom, regardant l'horreur traverser son visage. Tom avait l'air dégoûté. “Pourquoi est-ce que tu dis ça comme ça ?” demanda Bill. Il s'éloigna de Tom. “On a vraiment fait l'amour. J'étais là, Tom. Pourquoi est-ce que tu te souviens pas ?” Bill se leva en tremblant et s'appuya lourdement contre la couchette d'en face.
“Arrête de dire ça,” dit Tom. Il ne pouvait même pas regarder Bill. Bill laissa échapper un sanglot étouffé, serrant le pilier de bois. “Pourquoi est-ce qu'on aurait...” Tom toussota. “Je suis ton frère, Bill.”
Bill se retourna brusquement, les larmes dévalant son visage. “Tu n'es pas Tom !” hurla Bill. Il tangua de la zone des couchettes à la cuisine, Tom le suivant de près. “Dégage, tu n'es pas Tom !”
Tom essaya d'attraper les mains de Bill, mais celui-ci ne le laissait pas faire. “Bill, je suis Tom, je te jure que je suis Tom.”
“Tom m'aime,” dit misérablement Bill. “J'ai besoin de l'appeler, j'ai besoin de...” Les yeux de Bill cherchèrent dans la pièce, repérant un portable sur la table de la cuisine. Il se précipita et le saisit, jurant lorsque sa tête pulsa. Tom s'approcha précautionneusement de lui et Bill recula. “T'approche pas de moi.”
Bill composa le numéro de leur appartement de Minneapolis avec des mains tremblantes, mais ça ne marchait pas. “Bordel mais comment on passe des appels internationaux ?,” grogna Bill. Il commença à marteler les numéros.
“Laisse-moi le faire,” dit Tom, tendant la main. Bill ne savait pas quoi faire d'autre, il donna le téléphone à Tom et lui marmonna le numéro. Tom le composa facilement et tendit le téléphone à Bill. “Qui est-ce que tu appelles ? Moi ?”
Bill se détourna de Tom et porta le téléphone à son oreille. “Décroche, s'il te plaît décroche,” marmonna Bill. Après trois sonneries on décrocha le téléphone et le cœur de Bill fit un bond. “Tom ?” demanda Bill. C'était une femme et elle parlait une langue que Bill ne comprenait pas. “Tom ?” demanda-t-il de nouveau. La femme disait quelque chose, et quelque soit le nombre de fois où Bill demanda Tom et qui qu'elle soit, elle ne répondait pas de façon compréhensible. “Je ne vous comprends pas,” dit-il à la femme. “Je ne vous comprends pas !” Il raccrocha le téléphone et se laissa tomber au sol.
Tom courut à lui et essaya de le relever, mais Bill était devenu un poids mort et Tom glissa au sol avec lui. Tom le tint, une chose qu'il n'était pas habitué à faire. Tom avait seulement l'habitude de s'occuper de lui, pas des autres. Ca faisait bizarre d'avoir Bill si près de lui, s'accrochant à lui si désespérément. Surtout après toutes les choses que Bill avait dites.
Les yeux de Bill s'écarquillèrent, et ils fixèrent Tom. “Bill, est-ce que ça va ? Oh mon Dieu, où est David ?”
Bill trembla dans les bras de Tom. “Tu sens même comme lui,” murmura Bill, les larmes coulant dans sa bouche et tombant dans son cou. “Ce n'était pas lui, il n'était pas là. Tom n'était pas là.”
“Je suis juste là,” dit Tom. “Bon Dieu, Bill, qu'est-ce qui t'est arrivé ?”
“Qu'est-ce qui t'est arrivé, à toi ?” demanda Bill. Il se redressa un peu, mais ne repoussa pas Tom. “Tu ne peux pas être Tom si tu ne m'aimes pas.”
“Mais si je t'aime, bien sûr que je t'aime,” dit Tom. “Tu es mon frère, mon seul et unique frère.”
Bill sanglota un peu plus fort et Tom ne put rien dire de plus. Il n'eût d'ailleurs pas à dire quoi que ce soit de plus, car la porte s'ouvrit et David entra.
Les yeux de Bill s'écarquillèrent et il haleta, son visage pâlissant. “Qu'est-ce que tu fais ici ?”
**
Minneapolis
Les yeux de Bill s'ouvrirent d'un coup et tout ce qu'il put voir était Tom. “Tom ?”
“Bill,” dit Tom, passant une main douce sur le front de son frère. “Est-ce que ça va ?”
“Qu'est-ce qui s'est passé ?”
“Tu t'es évanoui,” dit gentiment Tom.
Et alors tout revint à Bill, le réveil sans savoir où il était, sans même savoir qui il était pendant un moment. Bill bondit, fixant l'homme qui avait l'air d'être son frère mais ne pouvait pas l'être. “Oh merde, j'ai cru que c'était un rêve,” gémit Bill. “Mais je suis encore là.”
“Putain, je croyais que tu irais mieux quand tu te réveillerais,” dit Tom. “Ecoute Bill, j'appelle le médecin.” Tom esquiva un mouvement pour se lever mais Bill saisit sa main.
“Non,” dit Bill. “Pas de médecin.”
“Je sais que tu détestes les hôpitaux, Bill, mais là c'est sérieux,” dit Tom. Il caressa doucement le visage de Bill, et Bill s'écarta. “J'ai besoin d'appeler le médecin.”
Bill n'avait pas le temps de s'occuper d'un médecin pour le moment. Il avait besoin de comprendre ce qui se passait, et il savait qu'il n'était pas fou. Il amassa les couvertures autour de lui, conscient à nouveau de sa nudité, et s'éloigna de Tom. Cet homme n'était pas son frère, c'était certain, et il se sentait follement mal à l'aise d'être si près de cet étranger si familier.
“J'ai besoin d'être un peu seul,” dit Bill.
Les yeux de Tom s'écarquillèrent. “Mais...” Il n'avait jamais vu Bill comme ça auparavant. Bill avait eu certaines crises assez effrayantes par le passé, mais il n'avait jamais repoussé Tom et ne s'était jamais écarté sous son toucher. “Bill, s'il te plaît.”
“Est-ce que tu as un ordinateur ?” demanda Bill.
“Bien sûr qu'on en a un,” dit Tom. Il se dirigea vers un petit portable posé près du lit. “On a économisé pendant des lustres pour l'acheter. Tu t'en souviens pas ? Bill, et si tu avais eu une attaque ou un truc dans ce genre-là ?”
Bill n'écoutait pas. Il se pencha en avant et saisit le portable, l'allumant immédiatement. “Ecoute... toi,” dit-il distraitement. “J'ai besoin d'être seul. T'as pas dit que tu devais aller au boulot ?”
“Je peux appeler,” dit immédiatement Tom. “Pas moyen que je te laisse.”
Bill regarda le portable prendre vie puis leva les yeux vers Tom. “Tu ne vas peut-être pas me croire, mais je ne suis pas ton frère,” dit Bill.
“Oh mon Dieu, Bill,” dit Tom. “Ne dis pas ça.”
Bill réalisa qu'il s'y prenait mal. Il devait arriver à faire partir Tom. “J'ai besoin d'être seul. Um. Tu sais bien comment je peux être,” tenta Bill.
Les yeux de Tom avaient l'air humide, et en fait, il se sentait vraiment comme s'il était sur le point de pleurer. “Bill, tu te rappelles maintenant ?”
Bill se mordit la lèvre et hocha la tête. “Ouais, je me rappelle. J'ai juste besoin d'être seul ?”
Tom soupira. “Tu ne savais même plus où tu étais. Je ne te crois pas.”
L'ordinateur était prêt et Bill ouvrit un navigateur internet, trouvant immédiatement un moteur de recherche. “Il faut que tu ailles au travail,” dit Bill. “Il le faut.”
Tom se leva, faisant les cent pas pendant que Bill bidouillait avec l'ordinateur. Bill agissait de manière complètement irrationnelle, est-ce qu'il avait finalement craqué ? Tom ne l'en blâmait pas. Bill était au mieux instable, son enfance et son adolescence avaient été horribles. Tom, bien sûr, savait que c'était de sa faute. Il n'avait pas été là quand Bill avait eu besoin de lui et ils avaient été ballotés de maison d'accueil en maison d'accueil...
Bill n'avait pas besoin d'un médecin, ce dont il avait probablement besoin était un psychiatre.
Et il avait probablement besoin d'un peu d'air. “Okay, je vais te laisser seul à une condition,” dit Tom.
Bill sentit le soulagement le parcourir. “Quoi ?”
“Si quoi que ce soit arrive tu m'appelles sur mon portable. Le numéro est sur le comptoir, okay ?” Bill hocha la tête et Tom eut l'impression qu'il allait être malade. Il n'avait pas voulu que Bill consente. Il s'assit à côté de Bill et le prit dans ses bras. Il put sentir Bill se crisper, mal à l'aise d'être près de lui. “Bill, promets-moi que tu vas bien.”
Bill sentit des larmes lui piquoter les yeux. Il n'allait pas bien mais il devait comprendre ce qui se passait. “Je te promets,” dit-il, réprimant un sanglot. “Je te promets.”
Tom renversa la tête de Bill et embrassa doucement ses lèvres. Les yeux de Bill s'écarquillèrent et il détourna la tête. “Ne t'écarte pas,” dit Tom.
“Je peux pas...” la voix de Bill mourut, son visage rouge se fit brûlant. Est-ce que Tom venait bel et bien de l'embrasser ? 'Il n'est pas réellement ton frère,' se corrigea Bill. 'Mais c'est le frère de quelqu'un d'autre.'
Tom se leva de nouveau, son cœur brisé par la froideur de Bill. “Okay,” dit-il.
“Okay,” répondit Bill. Il toucha doucement ses lèvres, son ventre papillonnant. Il regarda Tom aller à la salle de bain et fermer la porte. Il put entendre l'eau s'écouler, Tom devait prendre une douche. Il secoua la tête, s'essuyant la bouche, et tapa “Tokio Hotel” dans le moteur de recherche, les doigts tremblants.
Une petite centaine de résultats apparut et le cœur de Bill s'envola. Si Tokio Hotel existait, alors c'est qu'il n'était pas en train de devenir fou.
“Voyons voir,” murmura-t-il, se penchant en avant pour lire les résultats. Son cœur retomba immédiatement tout au fond de sa poitrine, aucun des résultats ne concernait le groupe, en fait la plupart étaient des listings d'hôtel. “Peut-être si je vais sur un site de recherche allemand.” C'est ce qu'il fit, mais sans plus de chance que précédemment.
“C'est pas en train d'arriver pour de vrai,” dit-il. Il se frotta fort les yeux, les larmes commençant à jaillir et il trembla violemment. Il tira les couvertures à lui autant qu'il le put et prit profonde inspiration sur profonde inspiration. “Ca n'est pas réel,” se répéta-t-il encore et encore.
Mais peu importait ce qu'il avait beau penser ou se dire, la situation ne dépendait pas de lui.
“Tokio Hotel n'existe même pas,” dit Bill. Les couvertures glissèrent sur son torse, s'amassant autour de sa taille. Il baissa les yeux et fronça les sourcils. Ses hanches étaient nues, il n'y avait pas de tatouage en forme d'étoile. “Je... n'existe pas,” chuchota-t-il.
Son ventre se tordit de peur et il commença à haleter, essayant de respirer, essayant de se raccrocher à quelque chose, n'importe quoi. Essayant de se souvenir de cette vie, de ce Tom, de ce Bill .
Quand Tom sortit de la salle de bain, douché et prêt pour le travail, il trouva Bill sanglotant dans les couvertures, tremblant.
“Oh mon Dieu, Bill,” dit Tom, courant à lui et le serrant dans ses bras. Bill ne tressaillit pas au contact, ne protesta pas. Il laissa Tom le tenir et caresser son dos nu. “Qu'est-ce qui s'est passé Bill, qu'est-ce qui s'est passé ?”
Les larmes de Bill brûlaient en coulant le long de l'épaule et du bras de Tom, son nez sifflant et les laissant tous les deux bouleversés. “Ne me laisse pas,” pleura misérablement Bill. “Je ne sais pas ce qui m'arrive.”
“Tu as besoin d'un médecin,” dit Tom, apaisant. Il tint Bill jusqu'à ce que les tremblements cessent et que les sanglots de Bill deviennent les plus infimes des gémissements.
“Okay,” dit Bill, reniflant. “Un médecin. Emmène-moi chez un médecin. Juste, ne me laisse pas.”
“J'ai promis que je ne te laisserais plus jamais, et je ne te laisserai pas,” dit Tom. Et il le pensait tout autant maintenant qu'à l'époque où il avait promis.
FIN CHAPITRE 2