Chapitre 4
Allemagne
Bill était endormi dans son lit d'hôpital, roulé en boule autour d'un oreiller, son front plissé par le stress. Il était finalement tombé dans un sommeil agité, la main de sa mère dans la sienne. Elle était encore assise à côté de lui, sa tête tombant en avant bien qu'elle essayât de rester éveillée. Cela faisait plusieurs heures que personne n'avait prononcé un mot, et Tom avait l'impression qu'il allait devenir fou à cause de l'attente.
Il ne savait même pas ce qu'il attendait. Que quelque chose arrive, sans doute. Bill avait fondu en larmes lorsque sa mère était entrée dans la pièce. Il avait pleuré si fort que Tom avait cru que son propre cœur se brisait. Il y avait du désespoir dans la façon dont les longs doigts de Bill s'étaient accrochés aux épaules de leur mère, et dans la façon dont il avait continué à regarder ensuite son visage, comme s'il le voyait pour la première fois.
Bill avait toujours été proche de leur mère, peut-être plus que Tom ne l'était, mais il y avait là quelque chose en Bill qui effrayait Tom. Il y avait quelque chose qui n'allait pas, il le savait.
“Maman,” dit finalement Tom, s'extrayant d'une petite chaise pour la rejoindre. La tête de Simone se releva d'un coup sec et elle bâilla.
“Oui, chéri ?” demanda-t-elle, la voix endormie.
“Je pense...” Il se leva et jeta un œil à l'horloge au-dessus du lit. Il était presque trois heures du matin. “Je pense que tu peux rentrer à la maison, aller te reposer. Je peux rester.”
“J'y arriverai pas,” dit-elle. “Je pourrais pas le laisser comme ça.”
“Il dort,” dit Tom. “Et tu es épuisée.”
Simone soupira, détachant sa main de la faible poigne de Bill. Bill gémit dans son sommeil, se resserrant autour de l'oreiller. “De quoi est-ce qu'il peut bien être en train de rêver ? Il serre qui ?” demanda Simone, se passant les mains sur les joues. “Je dois être une mère indigne pour qu'il en soit arrivé là.”
Tom marcha à sa mère, et plaça une main légère sur son épaule. “C'est pas de ta faute, c'est nous qui nous poussons toujours plus loin. Bill adore ça, tu sais ? Tu ne pourrais pas l'arrêter. On a juste besoin de repos.”
“Et vous allez vous reposer,” dit-elle, la voix ferme. “J'ai déjà parlé à David, vous avez besoin d'une pause.”
“Ouais,” dit Tom. Il savait qu'ils avaient besoin d'une pause, mais que David les laisse la prendre ou non était une autre histoire. Ils avaient des obligations, beaucoup de travail à faire et beaucoup d'argent à gagner. Tom fut soudainement mort de peur, mort de peur à l'idée de ce qui se passerait s'ils repartaient en tournée et que Bill retombait malade comme ça.
'Il ne va même pas mieux maintenant,' pensa Tom. 'Je le sais ; il me ment, il ment à tout le monde.' Il serra l'épaule de sa mère. “Maman, vraiment, tu devrais rentrer. Ils le laisseront sortir à dix heures, espérons avant que trop de fans n'aient eu vent de l'affaire et ne soient venues encercler l'hôpital. Tu voudras être reposée à ce moment-là, pas vrai ?”
“Mais quand même, je devrais rester,” dit Simone. “Tu pourrais ramener la voiture à la maison, si Saki t'accompagne dehors.”
Tom secoua la tête. “Je peux pas le laisser... Je ne peux juste pas.”
Simone sourit et couvrit de sa main celle de Tom qui reposait sur son épaule. “Tu es un tellement bon grand frère, Tom. Tu le sais ?”
Tom recula d'un pas, retirant sa main. “Ces derniers temps je ne l'ai pas vraiment été et j'ai...”
“Je comprends,” dit Simone. Elle bougea, attrapant son sac et s'étirant alors qu'elle se levait. “Tu es sûr que tu vas t'en tirer, tout seul ici ?”
“Oui, je vais juste m'asseoir à côté de lui, pour être sûr qu'il va bien.”
Simone tira Tom à elle, le serrant fort dans ses bras pendant quelques instants. “Laisse-moi faire,” dit-elle en sentant Tom se crisper. “Ton frère va aller mieux, tout ira bien, okay ?”
“Okay,” répondit Tom. Ses yeux le piquotèrent, et quand Simone le lâcha elle se pencha vers lui pour lui essuyer une larme.
“Mes pauvres bébés,” dit-elle. “Appelle-moi s'il y a le moindre changement.”
“D'accord.”
Tom la regarda partir et s'assit au bord du lit lorsque la porte se referma. Bill était pâle alors qu'il reposait, tenant maintenant l'oreiller encore plus fort. Tom se demanda s'il faisait des cauchemars, sa mâchoire se crispait et ses mains se serraient et se desserraient autour des draps.
Tom passa sa main dans les cheveux de Bill et le long de son dos, le caressant pour le calmer, juste comme leur mère le faisait quand ils étaient petits. Tom pouvait se souvenir qu'elle les avait tous les deux caressés de cette manière apaisante lorsque leur père était finalement parti, lorsque Bill avait perdu Star Search, et lorsque leur grand-mère était morte.
Les mains de Bill trouvèrent la jambe de Tom sur le lit et il s'y accrocha.
“Tomi,” soupira Bill. “T'en va pas.”
“Je vais pas m'en aller,” dit Tom, et il redoubla ses caresses. “Je te promets.”
Bill glissa plus profondément dans le sommeil, toujours enroulé autour de l'oreiller et ça , c'était suffisant pour que le cœur de Tom se brise. Il s'allongea tout à côté de Bill, tombant presque du lit lorsqu'il essaya de garder de l'espace entre eux. Il voulait juste être assez près pour pouvoir entendre son frère respirer.
**
Minneapolis
Bill avait été strictement incapable de dormir cette nuit-là. Il était resté allongé dans son lit, leur lit, et avait juste fixé le plafond pendant que Tom jouait de la guitare. Une fois qu'il avait commencé, Bill n'avait pas voulu qu'il s'arrête. La seule chanson que Bill reconnut fut “In Die Nacht”, et il était légèrement déçu. Il avait espéré qu'il y ait plus de connections musicales en accord avec ses souvenirs.
Mais même comme ça, rien que Tom jouant de la guitare était quelque chose de familier. Les morceaux étaient différents, mais si Bill plissait les yeux très fort il pouvait voir le Tom qu'il avait connu. Mais il ne voulait pas penser les choses comme ça. Il était hélas déjà en train de penser les choses en parlant au passé.
Il avait vécu en Allemagne. Il avait eu un groupe. Il avait eu une famille.
Bill se tourna sur le côté pour regarder Tom, qui était assis en tailleur sur le sol. Les dessins et les peintures de Bill étaient éparpillés autour de lui. Tom avait les yeux baissés sur sa guitare et Bill pouvait voir l'épuisement qui assaillait ses mains alors qu'il jouait.
Il était si tard. “Tu peux arrêter,” dit Bill.
Tom leva les yeux vers lui. “Je suis pas obligé.”
“Je...” Bill se passa une main sur le visage. “Je ne veux pas t'embêter.”
Les doigts de Tom ne firent pas une seule fausse note alors qu'ils jouaient. “Tu ne m'embêtes pas,” dit-il en rebaissant les yeux. “J'ai dit au travail que je n'irais pas, de toutes façons, alors ne t'inquiète pas. Je peux rester debout aussi longtemps que tu en as besoin.”
“Oh.” Bill resserra les couvertures autour de lui. “Je suis juste... J'ai pas l'habitude que, uh, tu fasses attention à moi comme ça. Que tu te soucies de moi.”
“Je me soucie toujours de toi,” dit Tom, ses doigts vacillant sur les cordes. Ses yeux se fixèrent intensément sur Bill. “Il n'y a rien au monde dont je me soucie plus que de toi.”
“Dans ma mémoire tu te soucies plutôt des filles et de baiser,” dit Bill.
Tom renifla dédaigneusement. “Je me fous des filles, Bill. Et, enfin, le sexe c'est...” Il rougit et s'arrêta finalement de jouer. Il posa la guitare par terre et Bill le regarda se déplacer au sol, le regarda se rapprocher du lit. “Tu ne te souviens pas du tout de nous, pas vrai ?”
“Je me souviens de me disputer avec toi,” dit Bill, la voix serrée par l'émotion. Il voulait pleurer, crier, donner des coups, mais il était trop fatigué. Il avait pleuré tout ce qu'il pouvait et maintenant il voulait juste dormir, seulement le sommeil ne viendrait pas. “On se dispute tout le temps.”
“On se dispute, de temps en temps,” dit Tom. Il se pencha en avant sur le matelas, levant les bras pour toucher le visage de Bill. Bill ne se dégagea pas. “Mais la plupart du temps on est heureux, Bill.”
“Je ne peux même pas me rappeler de la dernière fois où tu m'as touché comme ça,” dit Bill. Il se perdit dans la caresse et sentit de la chaleur.
“Je te touche tout le temps,” dit Tom.
Le visage de Bill s'assombrit un peu et il s'écarta. “Tom, Je... Je ne comprends pas... nous . Qui nous sommes ici, je veux dire.”
“On est juste nous,” dit bêtement Tom. “Bill et Tom.”
“Et tu m'aimes ?” demanda Bill.
“Plus que tu ne le sauras jamais.”
Bill sentit les larmes monter de nouveau et trembla misérablement lorsque les émotions terriblement intenses revinrent en lui. Il tremblait sur le lit et même s'il avait l'impression que ce Tom était un étranger, il le laissa grimper sur le matelas. Il laissa ce Tom le prendre dans ses bras alors qu'il pleurait.
Peut-être que demain tout serait redevenu normal. Peut-être que demain il se réveillerait, et Tom serait de nouveau Tom. Il serait froid et dur et résistant. Il ne prendrait pas Bill dans ses bras, pas comme ça. Il passerait à côté de Bill et le laisserait seul, comme toujours.
Mais maintenant, maintenant, Tom le tenait dans ses bras et Bill pleurait dans son cou. Ses mains se levèrent pour aller toucher les dreadlocks de Tom, mais elles n'étaient pas là.
Tom serra Bill plus fort et celui-ci se demanda pourquoi cet homme l'aimait tant.
**
Allemagne
David voulait lui parler, c'est ce que Tom avait dit à Bill. Et pourquoi n'aurait-il pas pu ? David était leur manager, Bill était dans un groupe, et il y avait certaines choses dont il fallait parler, même si Bill était encore à l'hôpital.
“Je ne sais pas si je peux lui parler,” dit sincèrement Bill. Il était assis sur le lit, avait fini de s'habiller et était prêt à partir. Il s'en était bien tiré pendant la nuit et le médecin avait avalé son histoire d'être simplement trop stressé et épuisé.
“Il le faut,” dit Tom.
“C'est juste que je me sens con à cause d'hier, de la façon dont je me suis comporté,” mentit Bill. Il ne pouvait pas laisser Tom ou qui que ce soit connaître la vérité. Il ne pouvait pas leur dire ce qu'il pensait réellement, leur dire combien son estomac était retourné et comment sa poitrine se serrait douloureusement à chaque fois qu'il ne faisait ne serait-ce que penser à David.
“Il comprendra,” dit Tom. “Tu étais pas bien.”
Bill hocha la tête et prit une longue inspiration. “Et donc il le faut ?”
“Il doit faire un rapport aux gens du label à propos de ce qu'il se passe comme ça on pourra faire un break,” dit Tom. “Tu le sais ça.”
Bill se contenta de hocher de nouveau la tête. Evidement qu'il ne savait rien de tout ça. Il avait juste à faire comme si c'était le cas, car ce n'était qu'ainsi qu'il parviendrait à sortir de l'hôpital et pourrait alors essayer de rentrer chez lui. Il avait tellement besoin de son Tom que ça lui faisait mal.
“Je peux le faire entrer ?” demanda Tom. “Maman peut venir aussi, si tu veux.”
“Non,” dit Bill. “Je peux le faire.”
Tom eut l'air sceptique et Bill fut inquiet à l'idée qu'il sache. Mais comment aurait-il pu savoir ? Ce Tom pensait que Bill était son frère.
“C'est pas grand-chose,” ajouta Bill.
“Est-ce que tu es—”
“Oui, je suis sûr,” dit Bill.
Bill n'avait jamais été aussi peu sûr qu'il l'était à ce moment-là, mais il ne pouvait pas se permettre de le montrer. Il devait être fort et il devait retrouver Tom. Il avait déjà surmonté bien pire que ça, il essaya de garder ça en tête. C'était toujours ce qu'il se disait quand les choses allaient mal. Il avait déjà surmonté tellement de choses et là ça n'allait être qu'une petite promenade de santé.
Mais lorsque Tom ouvrit la porte et que David entra, Bill réalisa que là c'était une exception. Etre loin de son Tom, projeté dans ce monde qu'il ne comprenait pas, ça c'était le pire scénario qu'il pouvait imaginer.
David lui sourit et Bill lui sourit en retour, bien qu'en lui il fût en train de hurler.
**
Bill était debout dans sa chambre, enfin à la maison, et il avait envie de rire. Il ne s'était jamais senti aussi loin de chez lui de toute sa vie. La chambre dans laquelle il se trouvait, sa chambre, n'était pas du tout sa chambre. Elle était petite et encombrée de choses qu'il n'avait jamais vues de sa vie. Des posters de groupes qu'il n'aimait pas, de vieux animaux en peluche qui avaient clairement été aimés très fort, mais pas par lui, et des vêtements qui provoquaient en lui un mouvement de recul. Il marcha vers le lit et s'y assit, rebondissant légèrement sur le matelas confortable, et il avait envie de rire, de pleurer, n'importe quoi . Mais il n'arrivait plus à rassembler ses émotions, semblait-il.
Il fit courir ses doigts le long du bois vernis de la table de chevet, ses ongles longs, inhabituels, manucurés effleurant la surface. Il y avait au milieu un cadre et il le saisit, fixant les deux petits garçons sur la photo. Il dut plisser les yeux et regarder avec plus d'attention avant de pouvoir y reconnaître lui et Tom.
'Pas moi,' pensa Bill, mais il sentit tout de même son cœur se serrer. Deux petits garçons, l'un aux cheveux noirs et en piques, et l'autre avec de courtes dreads blondes le fixaient en retour. Ils souriaient, les bras autour de l'autre. Ils ne pouvaient pas avoir plus de dix ans, ils avaient l'air tellement heureux ensemble.
Bill reposa la photographie ; Tom et lui n'avaient pas bénéficié du luxe d'une enfance heureuse. Les enfants de cette photo étaient des étrangers.
Il se leva, déambula dans la pièce, soudainement plein d'énergie, du genre qui fait courir. C'était ainsi que l'avait qualifiée sa dernière mère adoptive et ça correspondait parfaitement à ce qu'il ressentait. Bill avait toujours fui, il avait tout fui sauf Tom. Ce n'était jamais de sa propre volonté qu'il s'était retrouvé loin de Tom et il se demandait ce que Tom était en train de penser à l'instant. Est-ce qu'il manquait à Tom ? Est-ce que Tom savait qu'il était perdu ?
Bill laissa échapper un long gémissement misérable et voulut s'arracher les cheveux.
Il n'était à la maison que depuis une heure et il voulait partir. Il devait retrouver son Tom, mais il n'avait aucune idée de comment le faire. Tout arrivait tellement vite depuis qu'il avait quitté l'hôpital, aussi, et toute cette confusion ne faisait qu'empirer.
Après qu'il ait parlé avec David, s'excusant de son étrange comportement du jour précédent, il avait été autorisé à quitter l'hôpital. Il se sentait déjà malade à cause de la confrontation, et s'était lourdement appuyé contre Tom lorsqu'ils avaient quitté la pièce.
Sa mère (la pensée faisait encore se serrer son cœur, il était immédiatement tombé amoureux d'elle, au moment où elle l'avait touché et lui avait souri si chaudement), était dans le couloir. Il avait lâché Tom pour aller prendre sa main à elle, l'expression triste du visage de Tom ne lui échappant pas au moment où il faisait cela.
Mais il avait l'impression qu'il avait besoin d'elle, et il avait pris sa main. De grands hommes les entouraient lorsqu'ils quittèrent l'hôpital et la vue qui les assaillit lorsqu'ils sortirent fit se décrocher la mâchoire de Bill. De jeunes filles étaient entassées tout autour de l'entrée, hurlant et pleurant pour lui. Elles tendaient des posters, se battaient pour l'approcher, et toutes tendaient les bras vers lui.
C'était à ce moment-là que Bill avait réalisé que le petit groupe duquel il pensait faire partie n'était pas du tout si petit que ça.
Ca avait été presque trop à supporter, il avait cru qu'il allait faire une crise de panique ou recommencer à pleurer, mais sa mère avait été à ses côtés.
Et alors Tom aussi avait été à ses côtés. Le contact de Tom calmait instantanément Bill, et il essayait de bien garder en tête que ce n'était pas son frère, mais en fait ça n'avait pas vraiment d'importance. Tant que Tom le calmait, en quoi ça avait de l'importance que ce soit ou non son frère ?
Bill marcha vers le miroir en pied qui était accroché au dos de sa porte. Il se regarda, ne comprenant pas la personne qui le regardait en retour. Les cheveux noirs étaient un choc et il ne les aimait pas. Ils étaient trop sombres. Il tira la langue et regarda le piercing.
Il rit doucement ; il avait eu un piercing à la langue des années auparavant mais il l'avait finalement retiré. Il était devenu trop grand pour ça. Quand il s'était réveillé dans le tour bus la première fois, il n'avait même pas remarqué sa présence. Maintenant il cliquetait contre ses dents et Bill grimaça.
“Putain,” jura-t-il, et il sauta en l'air lorsque la porte s'ouvrit. Il n'eut même pas besoin de regarder pour savoir que c'était Tom ; il pouvait le sentir, d'une certaine façon. Cela l'effraya, la façon dont il semblait sentir ce Tom juste comme il pouvait sentir le sien.
“Est-ce que je peux entrer ?” demanda Tom. Bill se décala et découvrit Tom qui se tenait dans l'encadrement de la porte, portant une guitare acoustique.
Le visage de Tom semblait voilé, sombre, et Bill hocha la tête, le laissant entrer. “Hey, qu'est-ce qui se passe ?” demanda Bill. L'allemand, qui avait semblé si étrange en roulant sur sa langue la veille, ne lui paraissait même plus décalé. Il avait l'impression que c'était normal, et cette impression l'effrayait.
“Je voulais juste voir comment tu allais,” dit Tom. “Et tu sais, faire un peu de répétition.”
“D'accord, d'accord,” dit Bill.
Tom tendit la guitare à Bill et celui-ci haussa les sourcils, prenant l'instrument de manière incertaine. C'était tellement peu naturel de l'avoir entre les mains ; il n'avait jamais été très bon avec les instruments. Son Tom avait essayé de lui apprendre des années auparavant, mais ça n'avait pas franchement abouti. Bill était nettement meilleur avec des crayons et de la peinture qu'avec des cordes.
“Je me suis dit que tu la voudrais,” fut tout ce que Tom dit. “Tu sais, pour jouer un peu ?”
Bill hocha la tête. “Um, oui.”
“Je veux dire, il ne se passe jamais un jour sans que tu ne joues au moins un peu,” dit Tom. “Quoi qu'il arrive.”
Bill sentit la panique monter en lui. Tom le regardait, semblant attendre quelque chose, partant sans doute du principe qu'il allait jouer quelques notes, peut-être même une chanson, mais Bill n'avait absolument aucune idée de quoi faire avec cet instrument. Il ne savait même pas comment la tenir. Comment allait-il réussir à se dépêtrer de ce mensonge ?
“Je suis pas sûr d'avoir vraiment envie, après tout ce qui s'est passé aujourd'hui,” dit Bill. Il voulut déposer la guitare sur son lit, mais Tom l'arrêta.
“Joues-en,” dit-il. “Joue 'Durch Den Monsun', Bill.”
Bill plaça la guitare devant lui, son visage rougissant. Il gratta une fois les cordes, puis il secoua la tête. “Je n'ai pas envie.”
“Pourquoi ?” demanda Tom, ses yeux fonçant encore plus. “Cette guitare c'est ta vie, pas vrai ? Pas vrai ?” Il s'approcha et Bill était presque effrayé. “Dis-moi que la guitare c'est ta vie, Bill.”
Bill déglutit difficilement, regarda Tom droit dans les yeux et dit, “La guitare c'est ma vie.”
“Redis-le,” gronda Tom.
Bill le fit et Tom reprit la guitare, tremblant. “Espèce de sale menteur !” hurla-t-il. “Qu'est-ce qui va pas avec toi ?”
Bill ne savait pas quoi dire, il ne comprenait pas. Tom jeta sa guitare au sol, une corde claquant en résonnant bruyamment. Une bribe de souvenir ressurgit, vivante, dans l'esprit de Bill.
Le tour bus, la guitare, la dispute avec Tom.
Mais aussi vite elle s'évanouit, morte, et Bill était de retour avec Tom.
“Tu es le putain de chanteur,” dit Tom. “Tu ne joues pas de guitare, c'est moi . Mais putain pourquoi est-ce que tu mentirais ?”
Bill pensa qu'ils allaient se battre, pensa que Tom allait peut-être le frapper ou crier encore plus, mais son “frère” baissa la tête et trembla.
“Je suis désolé,” dit Bill. Il passa à côté de Tom et referma la porte en un petit clic. Il revint vers lui et toucha gentiment son épaule. Quand Tom releva le visage vers lui Bill voulut le prendre dans ses bras. “Ecoute-moi,” dit Bill.
“Je t'écoute, j'ai essayé de t'écouter mais tu as menti et tu es malade ,” dit Tom. “Ca arrive qu'on se batte ou qu'on se fâche ou n'importe quoi, Bill, mais ne me mens pas lorsque tu es malade.”
“Je ne suis pas ton Bill,” dit Bill. Les mâchoires de Tom se contractèrent et Bill serra son épaule. “Ecoute-moi, contente-toi de m'écouter.”
Tom hocha la tête mais Bill pensa qu'il allait casser à n'importe quel moment, comme sa corde de guitare.
“Je ne fais pas partie de cet endroit,” dit Bill. “Je ne vis même pas ici. Je sais que ça a l'air dingue mais je ne suis pas ton frère. J'ai un frère comme toi, qui s'appelle Tom, mais on vit aux Etats-Unis. Je me suis couché avec lui il y a deux nuits et je me suis réveillé dans ce bordel. Je te jure, je ne mens pas et je ne suis pas fou.”
Le visage de Tom resta froid, ne changea pas, et Bill soupira.
“C'est comme si j'étais dans le mauvais univers ou un truc du style,” dit Bill. “Je sais que tu ne me crois pas, mais je—”
“Bill,” dit Tom. “Bill...”
“Je suis un artiste et mon Tom joue de la guitare lui aussi, mais on ne fait pas partie d'un groupe, on est juste des gens normaux,” dit Bill, presque éperdument. Il avait besoin que quelqu'un le croit, et il avait besoin d'aide, là tout de suite. “S'il te plaît crois-moi, je sais pas comment mais juste... crois-moi. Je ne suis pas ton Bill, tu dois le savoir ça, tu dois vouloir qu'il revienne.”
“J'ai besoin de...” Tom s'essuya les yeux, même s'il ne pleurait pas. “Il faut qu'on le dise à Maman, il faut qu'on retourne à l'hôpital et—”
“Non,” dit Bill, ses ongles s'enfonçant trop fort dans les épaules de Tom. Tom se retira, les yeux grand ouverts. “S'il te plaît ne lui dis pas. Ils me renverront là-bas et je ne pourrais jamais rentrer chez moi. Je ne suis pas malade, s'il te plaît.”
Il tenta de s'approcher mais Tom ne le laissait plus venir près de lui.
“Tu es malade, tu ne sais pas ce que tu dis,” dit Tom. “Tu es à la maison, Bill, tu es à la maison, putain. Comment as-tu pu dire que tu n'es pas mon frère ? Comment as-tu pu ?”
“Ton frère est perdu, lui aussi !” hurla presque Bill. “Il faut que tu m'aides.”
“Tu es fou,” dit Tom. “Tu me fais crever de trouille.”
“J'ai peur, moi aussi,” dit Bill. “S'il te plaît, juste...”
Tom secoua la tête. “J'ai besoin de... Je suis...”
“Juste, ne dis rien,” dit Bill. “Juste, attends.”
“Je peux pas,” dit Tom. Bill voulut rajouter quelque chose mais Tom leva la main. “Je t'aime, quoi que tu puisses en penser et je peux pas te laisser...” Tom s'essuya de nouveau les yeux, et cette fois sa main en fut mouillée. Il serra les dents et quitta la pièce.
Bill était trop effrayé pour bouger, trop effrayé pour ne serait-ce qu'émettre un son. Il baissa les yeux sur la guitare et enfonça ses ongles dans ses paumes.
**
Minneapolis
Bill ne se réveillait jamais aussi tôt, mais il était pourtant six heures et il se trouva en train de cligner des yeux, se réveillant. Son corps tout entier était courbaturé et son bras était engourdi. Il roula sur le côté et extirpa son bras. Il y avait un corps chaud à côté de lui. Non, même pas à côté de lui en fait ; enroulé autour de lui. Il était entouré par quelque chose de fort et de chaud.
Il tenta de se dégager, la mémoire lui revenant et il hurla presque lorsque Tom se blottit encore plus près de lui, lui embrassant le cou.
“Non !” cria-t-il. Tom fut sonné, instantanément réveillé.
“Je suis désolé, je suis désolé,” dit-il, mettant de l'espace entre eux. “J'avais oublié, je suis désolé.”
Bill reprit sa respiration, serrant son t-shirt. “Tu ne peux pas...”
“Je sais, j'avais oublié, et j'ai cru que peut-être tu allais te réveiller et que tu... te rappellerais,” dit Tom. “Je n'aurais jamais—”
“Ne le fais juste pas,” dit Bill. “Putain, je...” Bill baissa les yeux sur le matelas, essayant de ne pas s'effondrer. Qu'est-ce qu'il pourrait faire d'autre ? Il était en train de devenir dingue, il le savait. Il était allé voir les médecins et ils lui avaient dit que tous ses souvenirs étaient faux.
Tout ce dont il se rappelait était faux. Ce qui était vrai, c'était cette pièce sombre et cet étranger familier.
“Tom,” dit Bill. “Dis-moi que tout ça c'est réel.” Il s'approcha, touchant les épaules et les bras de Tom. Tom avait l'air réel, même son odeur avait l'air réelle. Est-ce que c'était son frère ? Est-ce que c'était sa vie ?
“Je suis réel,” dit Tom. “Tu es juste malade, Bill, tu es malade et tu vas aller mieux. Je te jure que je ne te toucherais pas jusqu'à ce que tu le veuilles, je te le jure.”
“Je ne me souviens pas de toi,” gémit Bill. “Je veux Maman.”
“Moi aussi,” dit Tom. “J'aurais aimé qu'elle ne nous abandonne pas, et rien de tout ça ne serait jamais arrivé. Tu ne serais pas, et je ne... Putain, Bill. Dis-moi que tu te rappelles, rien qu'un peu.”
Bill enroula ses doigts dans le t-shirt de Tom et ferma les yeux. Un relent de rêve reposait dans son esprit, juste sous ses paupières. C'était juste un court instant, de douces lèvres sur les siennes, un corps chaud qui le couvrait.
“Je suis malade,” dit Bill. “Il faut que tu m'aides à me rappeler, Tom. S'il te plaît, je ne peux pas faire ça...”
“Je ne vais nulle part,” dit Tom. Il voulait prendre Bill dans ses bras, mais il ne pouvait pas. Il laissa Bill haleter entre eux jusqu'à ce qu'il s'affaisse, tenant toujours serré le t-shirt de Tom. Bill s'endormit recroquevillé sur lui-même, blotti contre les genoux de Tom.
Tom voulait sa mère, lui aussi, mais pas pour se jeter dans ses bras. Il voulait lui faire du mal. Tout était de sa faute.
FIN CHAPITRE 4