CHAPITRE 3
15 octobre 2005
Cela faisait déjà trois ans que Bill avait décidé que lui et Tom ne devait être que frères, et que Tom l'avait suivi dans cette décision, un peu contre son gré. En trois ans, ils auraient dû réussir à assainir leur relation, à ne voir l'autre qu'en tant que frère et plus comme leur propriété exclusive. A ne plus souffrir en voyant l'autre avec une fille.
Et pourtant, c'était toujours la même douleur. À chaque fois qu'ils voyaient leur frère au bras de quelqu'un. À chaque qu'une autre personne était contre lui. A chaque fois qu'il embrassait d'autres lèvres.
La même rage qui tordait leurs entrailles. Le même sentiment de trahison. Elle était toujours là, constamment, Elle ne leur laissait aucun répit.
Jalousie.
Pendant plusieurs mois, aucun des deux n'avait été avec personne. Ils n'en avaient pas envie et ils voulaient ménager les sentiments de leur frère. Cependant, en voyant que ça n'arrangeait pas les choses, ils avaient décidé d'essayer de s'ouvrir aux autres, d'essayer de rencontrer quelqu'un qui leur ferait oublier ce qu'ils ressentaient pour leur jumeau.
Tous les deux avaient eu plusieurs petites amies, et ça s'était à chaque fois très mal passé. Si Bill présentait une fille à Tom, celui-ci la critiquait aussitôt et la traitait si mal qu'elle ne remettait plus les pieds près d'eux. Et à chaque fois, Bill était désolé de constater qu'au fond, ça lui était bien égal. Quand la situation était inversée, il se passait sensiblement la même chose, si ce n'est que Bill était plus discret dans ses opérations de sape. Plus cruel aussi.
Tous deux se souviendraient toujours de la fois où ils étaient partis camper dans les bois de Loitsche avec plusieurs jeunes de leur âge. Ils avaient quatorze ans à ce moment là et bien sûr, Tom s'était trouvé une petite copine parmi les filles présentes. Pendant qu'ils étaient occupés à se bécoter dans un coin sombre, Bill avait traficoté la bouteille d'eau de la demoiselle avec les laxatifs qu'il avait piqué à un pauvre garçon qui avait eu le malheur de les laisser traîner. Elle avait été "indisposée" toute la nuit, et comme ils étaient dans les bois, c'était d'autant plus humiliant. Alors qu'elle s'était éloignée en courant une fois de plus, Tom avait planté son regard dans celui de Bill qui lui avait renvoyé un grand sourire satisfait. Sa culpabilité ne faisait aucun doute.
Trois ans qu'ils essayaient de s'oublier.
Trois ans qu'ils n'y parvenaient pas.
Trois ans qu'ils cherchaient dans d'autres bras la chaleur qu'ils avaient un jour connue avec l'autre.
Trois ans que l'étreinte des autres leur semblait glacée.
Trois ans qu'ils ne s'étaient pas embrassés.
Trois ans que les lèvres des autres avaient un goût de cendre.
C'était l'automne, mais ils semblaient être au printemps de leur vie. En effet, Devilish était devenu Tokio Hotel , et leur premier single, Durch den Monsun , était sorti deux mois et demi auparavant. Depuis c'était la folie, ils étaient la nouvelle coqueluche de toute l'Allemagne. Ils étaient demandés partout, c'était un peu effrayant, mais terriblement excitant. Ils avaient tellement espéré ce succès, et enfin, ils le touchaient du bout des doigts.
Ça n'avait pas été évident en plus. Leur première maison de disque, SONY, avait rompu leur contrat. Heureusement, ils avaient signé peu de temps après avec Universal, et le succès avait été a rendez-vous. Toute l'agitation autour d'eux les empêchait de trop penser, et les jumeaux accueillaient cela avec gratitude. Ils étaient trop occupés pour souffrir, enfin du moins ils avaient moins de temps pour s'appesantir sur leur souffrance, la promotion de leur album sorti moins d'un mois auparavant leur prenant le plus clair de leur temps.
Le groupe se trouvait à Berlin, ils avaient plusieurs émissions de télé à enregistrer. Pour l'occasion, ils séjournaient dans un hôtel, et, fait rare, ils avaient chacun leur chambre. Autre fait exceptionnel, Andreas les accompagnait. C'était l'occasion pour lui de visiter la capitale. Il avait été décidé qu'il dormirait dans la chambre de Bill, comme cela se passait d'habitude quand il venait passer la nuit chez les jumeaux. Tous deux se trouvaient justement dans la chambre en attendant l'heure d'aller dîner avec tout le monde.
"Alors, comment ça se passe cette promo?" demanda le blond.
"Han, tu verrais ça, Andi, c'est ce dont j'avais toujours rêvé. Plus d'école, on va sur des plateaux télé, on joue, on fait des interviews, des photos, c'est tout simplement génial."
"J'imagine," dit Andreas d'un air un peu triste.
"Qu'est ce qu'il y a, Andi, ça va pas?" s'inquiéta Bill.
"Non, non, ça va. C'est juste que…"
"Quoi?"
"Vous me manquez. C'est un peu nul l'école sans vous deux."
"Je suis désolé pour toi. C'est vrai que moi aussi ça me manque de plus te voir tous les jours."
"C'est vrai?" demanda Andreas en relevant vivement la tête. Il y avait une note d'espoir dans sa voix.
"Bien sûr que c'est vrai, t'es bête. Ça me manque nos conneries et tout."
"Oui." Andreas avait repris un ton mélancolique.
"Y'a autre chose, je te connais comme si je t'avais fait. Dis moi Andi."
"Non, je peux pas."
"Pourquoi?"
"Je peux pas. Je veux pas te perdre." Andreas semblait très nerveux.
"Arrête tes conneries. Tu es mon meilleur ami, Andreas, le seul que j'ai jamais eu. Y'a rien que tu puisses me dire qui m'éloignerait de toi. Fais moi confiance s'il te plait. Déjà qu'on se voit moins, je supporterai pas si tu me tiens à l'écart de ta vie."
"Bon. Ok. Voilà, je crois que je suis gay."
"Heu… mais, Andi… tu pensais réellement que j'allais te rejeter pour ça? Tu me connais quand même. T'aurais dû savoir que ça change rien pour moi. T'es toujours mon petit Andi à moi."
"Ouais, non ça c'est pas le plus dur à avouer." Andreas se triturait les doigts.
"Ha? Alors qu'est ce que c'est?"
"Je suis… amoureux. Je crois." Cette fois il rougit et baissa la tête.
"Mais c'est génial ça. Je le connais?"
"Oui, très très bien même." Le sang de Bill se glaça.
"C'est… c'est Tom?" demanda-t-il en tremblant. A ces mots, Andreas releva vivement la tête avec un air choqué.
"Nooon!"
"Ah ouf, ben alors c'est qui?"
Andreas ne répondit pas. Il semblait que les mots lui manquaient. Il s'approcha de Bill et sans prévenir, le prit dans ses bras et s'empara de ses lèvres. Bill était trop sonné pour réagir. Il avait du mal à réaliser la situation. Andreas, son ami qu'il considérait presque comme un frère, lui faisait comprendre qu'il avait des sentiments bien plus qu'amicaux ou fraternels à son égard. En même temps, vu les sentiments "fraternels" qui le liaient à Tom, cet adjectif ne convenait pas vraiment. Alors des sentiments plus qu'amicaux, dira-t-on.
Voyant que Bill ne le repoussait pas, Andreas approfondit son baiser et fit entrer sa langue dans la bouche de son ami. Ce baiser était différent de ceux que Bill avait pu échanger avec différentes filles. C'était plus doux, plus agréable. Peut-être parce qu'il tenait vraiment à Andreas. Peut-être parce qu'apparemment Andreas était amoureux de lui. Bill se laissa embrasser. Il n'avait pas le courage de repousser son ami, de lui briser le cœur, pas si vite. Il se laissa embrasser, se laissa faire quand les bras d'Andreas s'enroulèrent autour de sa taille, se laissa faire quand le baiser devint plus exigeant. Il répondit même à ce baiser. Après tout il lui apportait un réconfort qu'il n'avait pas ressenti depuis très longtemps. Il se laissa même faire quand Andreas les fit tous les deux reculer vers le lit. Il laissa Andreas l'allonger sur le matelas et se coucher sur lui. Il se laissa faire quand Andreas descendit sa bouche dans son cou et lui mordilla la peau.
C'est quand il sentit les mains de son ami passer sous son T-shirt et son érection se presser contre sa cuisse qu'il se dit qu'il était temps d'arrêter tout ça. Ce n'était pas qu'il n'appréciait pas. Il trouvait même tout cela assez excitant. Il avait plus de sensation avec Andreas qu'avec toutes ses anciennes petites amies réunies. Seulement tout le long de cet échange, il n'avait eu qu'une personne en tête : Tom. Il aurait voulu que sa soit la langue de Tom dans sa bouche, les mains de Tom sur sa peau, le sexe de Tom écrasé contre sa cuisse. La situation était déjà suffisamment malsaine sans qu'il utilise son ami pour satisfaire des désirs inavouables. Andréas l'aimait sincèrement, il ne pouvait pas lui faire ça. Etre avec lui en pensant à quelqu'un d'autre. Il le respectait trop pour ça.
Cependant, il n'eut jamais l'occasion de repousser Andreas. La porte de la chambre s'ouvrit en grand, et Tom entra nonchalamment dans la pièce. Il se stoppa net et se figea en voyant la scène qui se déroulait sous ses yeux. Andreas était sur son frère, la bouche dans son cou et ses mains sur son ventre que laissait apparaître son T-shirt relevé. Andreas n'avait pas remarqué l'arrivée de son ami, trop absorbé par ce qu'il faisait. Bill en revanche regardait avec horreur son frère se décomposer sous ses yeux.
Brusquement, Tom attrapa Andreas par le T-shirt et le souleva du lit, l'écartant de Bill. Andreas était complètement hébété et ne savait pas ce qui lui arrivait. Tom le saisit par le devant du col et quand il leva le poing en sa direction, ses yeux se remplirent de peur. Bill reprit ses esprits et cria à son frère de lâcher leur ami. Tom lança à son frère un regard dégoûté, déçu, furieux et Bill eut l'impression que son cœur implosait dans sa poitrine. Tom relâcha Andreas en le repoussant violemment et sortit à grandes enjambées de la pièce en claquant rageusement la porte.
Bill s'assit sur le lit et mit sa tête dans ses mains. Andreas s'approcha doucement de lui et posa une main sur son épaule. Bill frissonna et se recula.
"Je suis désolé, Bill."
"Non, Andreas, tu n'as pas à l'être. C'est moi qui suis désolé."
"Pourquoi?"
"Je n'aurais jamais dû te laisser aller aussi loin. Je m'excuse si je t'ai laissé croire des choses, si je t'ai donné de faux espoirs." Bill releva la tête vers Andreas et le regretta aussitôt en voyant son visage blessé.
"Tu me détestes. Oh non, mon dieu, s'il te plait, ne me déteste pas. Je t'en supplie. Je ne te toucherai plus, c'est promis, s'il te plait, s'il te plait, ne me déteste pas."
"Arrête Andi, je ne te déteste pas, je ne pourrai jamais te détester. Je t'aime. Mais pas comme ça ."
"Tant que tu continueras à bien vouloir me voir, me parler, je me considèrerai chanceux. Pour ce qui est de Tom, je crois qu'il ne voudra plus jamais me voir. Lui c'est sûr qu'il me déteste. Tu aurais vu le regard qu'il m'a lancé." Andreas s'assit près de Bill avec un air abattu.
"Ne dis pas de bêtises, il a été surpris, je suis sûr qu'il reviendra une fois qu'il aura digéré ça. Il faut que je lui parle. Que je lui explique ce qu'il s'est passé."
"Oui, tu as peut-être raison."
"En tout cas merci, Andreas," dit Bill avec un faible sourire.
"Merci? Et de quoi? De t'avoir sauté dessus comme une bête enragée?" dit Andreas en tentant de plaisanter.
"Non, enfin en un sens oui. Je pense que tu m'as ouvert les yeux sur certaines choses," continua Bill.
"Tu veux dire…"
"Ouais, je pense que je préfère les mecs, moi aussi. C'était… bizarre. Mais agréable. Je crois." Bill semblait absorbé dans la contemplation de ses doigts.
"Et bien si j'ai pu t'aider, c'est déjà ça de gagné." Andreas donna une tape dans le dos de son ami. "Aller, va chercher ton frère."
Bill acquiesça et sortit de sa chambre. Il se rendit à celle de son jumeau, mais il n'y avait personne. Il se dit qu'il était peut-être avec Georg ou Gustav, mais là encore, rien. Il descendit ensuite au bar de l'hôtel. Là il vit son manager. Il lui demanda s'il savait où était Tom.
"Il est descendu ici il y a environ dix minutes. Il avait l'air furieux. Vous vous êtes disputés?" demanda David.
"C'est compliqué. Il est où maintenant?"
"Il est parti faire un tour. Il a dit qu'il avait besoin d'air. Ne t'inquiète pas, Saki est avec lui."
"Ok."
Bill s'éloigna et décrocha son téléphone. Il tenta de joindre Tom mais il tombait à chaque fois sur sa messagerie. Finalement, il laissa un message comme quoi il devait lui parler au plus vite. Puis un autre message comme quoi c'était urgent, puis encore un message pour lui dire de le rappeler dès qu'il aurait ces messages précédents. Il laissa ainsi plus d'une dizaine de messages, sans aucun effet.
Tom ne revint pas pour dîner avec tout le monde. Bill gardait le nez dans son assiette et ne mangeait qu'à peine, dispersant sa nourriture dans son assiette.
Tom ne revint pas quand les garçons se réunirent dans la chambre de Georg pour regarder un DVD. Bill ne suivit qu'à peine le film, toutes ses pensées tournées vers son frère.
Tom n'était toujours pas revenu quand Bill et Andreas retournèrent dans leur chambre pour se coucher.
Bill était une véritable boule de nerf. Il se dirigea vers la salle de bain et se démaquilla, puis il prit une longue douche bien chaude avant d'enfiler son pyjama. Andreas était déjà couché. En retournant dans la chambre, il crut entendre du bruit dans le couloir. Pensant immédiatement que c'était Tom, Bill entrouvrit la porte. Ce qu'il vit lui colla une boule au ventre. C'était bien son frère qu'il avait entendu, mais il n'était pas seul. A son bras se tenait ce qui ne pouvait être qualifié que de poufiasse. Elle était grande, brune, et portait autant de maquillage qu'elle portait peu de vêtements. Une façon de compenser sans doute? De plus elle gloussait comme une idiote à quelque chose que Tom lui disait dans l'oreille.
Tom surprit Bill qui les regardait et soutint son regard quelques secondes. Puis il ouvrit la porte de sa chambre qui était contiguë à celle de Bill et entra à l'intérieur avec la fille avant de la refermer la porte derrière eux. Bill ferma lui aussi sa porte, le nœud dans son ventre se resserra encore plus. Il alla se mettre au lit et tenta de dormir, tenta de ne pas penser à ce qu'il pouvait se passer dans la chambre voisine de la sienne.
Cela lui fut rendu impossible quand quelques minutes plus tard des gémissements traversèrent le mur. Les gémissements de cette fille, et ceux de Tom. Il était en train de la baiser et ne prenait pas la peine de le faire discrètement. Bill se roula en boule sur le côté et laissa couler des larmes silencieuses le long de ses joues. Il ne pouvait même pas pleurer autant qu'il l'aurait voulu, il aurait réveillé Andreas, et il aurait dû expliquer sa réaction.
Ce qui le bouleversait à ce point n'était pas seulement le fait que son frère prenne du plaisir avec cette fille, mais le fait qu' Elle était plus présente que jamais, le fait qu' Elle ne semblait jamais le laisser en paix.
Jalousie.
Oui il était jaloux, jaloux de cette fille sans aucun intérêt. Il aurait voulu être à sa place, dans le lit de son frère, sous son corps chaud à subir ses caresses. Il commençait à douter d'arriver à se débarrasser d' Elle un jour, cette jalousie maladive qui lui pourrissait la vie. Il pleura longtemps après que tout signe d'activité dans la chambre de Tom eut cessé et il finit par s'endormir d'épuisement.
FIN CHAPITRE 3