Chapitre 1.
Bill se tenait prêt à intervenir à tout moment. Une occasion comme celle-là ne se représenterait sûrement pas avant un certain temps, il fallait qu'il l'attrape, ce soir. Quelqu'un parla dans la radio le faisant sursauter. Sa main agrippa la poignée de la portière par réflexe.
« Toujours rien, ça va faire deux heures qu'on est là tu es sûr de ton tuyau ? »
Bill se ressaisit et attrapa le talkie-walkie posée sur le tableau de bord.
« Luke tais-toi et concentre-toi. Mon info est fiable ok ? Il va arriver. »
« Comme tu veux. »
Son collègue reprit sa surveillance dans une autre voiture postée quelques mètres devant. Bill le savait, il allait venir ce soir. Le travail de profilage qu'il avait fait durant des semaines le conduisait ici, dans cette rue, à une vingtaine de mètres d'une grande maison blanche. Son indic avait été formel, il avait reconnu l'un de ses voisins dans le profil. Le mec qu'il recherchait allait rentrer d'ici quelques minutes et il l'attraperait.
La suite de massacres sanglants qui terrorisait sa région tranquille allait se finir ce soir.
Soudain une voiture déboula à vive allure au coin de la rue. Bill s'affaissa dans son siège, son cœur battait à toute vitesse. L'énorme pickup noir aux vitres teintées s'arrêta dans l'allée de garage de la maison. Un individu plutôt grand et fin en sortit. Sa maison n'était pas assez éclairée pour que sa couleur de peau ou tout autre signe distinctif soit remarqué.
L'homme rentra dans la maison. Bill était sur les nerfs, c'était le moment où jamais. Il appuya sur le bouton du talkie-walkie et donna ses ordres.
« On se met en position ! Tout le monde ! »
Il sortit de la voiture, accompagné de son coéquipier et se hâta de rejoindre le trottoir d'en face en silence. La brigade d'intervention se déploya tout autour de la maison pour boucler toutes les issues. Il ne pouvait pas leur échapper.
Le sang affluait dans ses muscles et Bill pouvait sentir l'adrénaline couler dans ses veines. C'était la partie la plus excitante de son métier, la plus excitante et la plus dangereuse aussi.
Il avançait doucement, prêt à réagir au moindre bruit suspect. La porte d'entrée se rapprochait de plus en plus, trois hommes avec des gilets par balle étaient déjà postés devant, prêts à l'enfoncer.
Bill prit une grande respiration.
« On y va ! Maintenant ! »
La porte s'ouvrit avec fracas et la première équipe pénétra à l'intérieur, Bill les suivait de très près, ses sens en alerte, son instinct de survie poussé au maximum.
Le salon était vide, la cuisine aussi. Ils se dirigèrent vers l'étage. Personne dans la chambre, ni dans la salle de bain.
Tout bon lieutenant qu'il était, il commençait à perdre patience, où s'était-il planqué ? Il n'avait pas eu le temps de se cacher, depuis l'ouverture de la porte moins d'une minute s'était écoulée.
Ils redescendirent et furent rejoints par l'équipe qui avait vérifié le garage. Bill n'eut pas besoin de leur poser plus de questions, il n'y avait eu aucun bruit, aucun cri ni aucun coup de feu. Ils ne l'avaient pas trouvé non plus.
« Putain mais où il se cache ? »
Il parla dans le talkie.
« Personne ne l'a vu sortir ? »
« Négatif, l'arrière de la maison est sécurisé et calme, aucun mouvement à signaler. »
Bill ragea, ce n'était pas normal. Ses hommes continuaient à fouiller chaque recoin de la maison mais toujours aucune trace de leur principal suspect. Il refusait de s'en aller comme ça. Il avait bien vu quelqu'un rentrer ici et ne pas en ressortir. Cela le confortait dans son idée, il ne s'était pas trompé de maison.
« Lieutenant, RAS dans toute la maison. »
Bill jura. Il était en colère, contre ce type qui se baladait quelque part et continuerait à tuer jusqu'à ce qu'on l'arrête, et contre lui-même. On lui avait fait confiance en lui donnant le contrôle de cette opération risquée et il perdait le suspect.
Il marcha dans la maison, essayant de s'imprégner des lieux comme il le faisait souvent dans ce genre d'endroit. Il cherchait les petits détails qui pouvaient dénouer toute une affaire, il essayait de voir ce que les autres ne voyaient pas.
Mais la maison était tout ce qu'il y avait de plus banal. Pire, on aurait dit que personne n'avait mis les pieds ici depuis plusieurs semaines, la poussière s'était accumulée et aucune trace de vie ne transparaissait.
Pourtant Bill savait que ce qu'il ne voyait pas était aussi important que ce qu'il voyait.
Il décida de prendre du recul et se plaça dans le couloir, il observa attentivement la pièce et soudain quelque chose le frappa.
Le mobilier était très ancien et semblait ne pas avoir été changé depuis plusieurs génération, de plus tout était poussiéreux et gris, tout sauf le tapis. Il était beaucoup plus coloré que le reste de la pièce et surtout presque tendance. En plus de ça il semblait avoir été secoué.
Bill s'approcha et le souleva.
« Je le savais. »
Sous le tapis une trappe apparut.
« Venez ici ! »
Un petit groupe de personne arriva dans le salon.
« On va descendre là dedans. »
L'un des hommes ouvrit la trappe et éclaira l'intérieur à l'aide de sa lampe torche. La chape de béton avait été percée et un tunnel était creusé sous la maison. Une échelle était taillée grossièrement dans la terre.
L'homme descendit en premier.
« C'est dégagé. »
L'un de ses collègues le suivit, puis Bill descendit à son tour.
Le tunnel n'était pas très grand, ils devaient se déplacer à genoux et la faible largeur les obligeait à avancer en file indienne. Ils se mirent en mouvement lentement et en silence. Il n'y avait aucun virage, la cavité avait été creusée sur une seule ligne.
Ils parcoururent ainsi une dizaine de mètres quand ils rencontrèrent une autre échelle. Bill leva les yeux, les rayons de la lune passaient à travers une planche de bois.
A peine quelques secondes plus tard, toute l'équipe était à l'air libre.
Bill passa sa main sur ses habits pour enlever la terre, il était bon pour faire une machine dès son arrivée chez lui. Il soupira et se reconcentra sur sa mission. Il observa le lieu où ils étaient ressortis et lâcha un juron quand il se rendit compte que son suspect s'était bien foutu de lui.
Le trou avait été creusé derrière un vieil abri au fond du jardin. Aucun policier n'avait pu le voir, trop occupé à surveiller les sorties « normales » de la maison. L'homme avait pu s'enfuir sans aucun problème, il avait même dû rire en voyant les policiers en uniforme lui tourner le dos.
« Balisez moi tout ça je veux que personne ne mette les pieds ici. On reviendra quand il fera jour. »
« Bien lieutenant. »
Son coéquipier le rejoignit.
« Tu sais on ne pouvait pas prévoir ça. »
Bill lui sourit légèrement.
« On aurait dû le prévoir. » finit-il par dire.
« On, va le trouver, on se rapproche de plus en plus. On n'était vraiment pas loin ce soir, il va finir par faire une erreur. »
Bill acquiesça. Il savait tout ça, la question était de savoir combien de victimes ferait-il encore avant de commettre l'erreur qui conduirait la police jusqu'à lui ?
[...]
Le lendemain Bill ouvrit difficilement les yeux. Il avait très mal dormi, faisant une multitude de cauchemars où ce monstre le narguait. Bill lui courait après sans jamais parvenir à l'attraper.
Il regarda l'heure. Il était encore tôt mais il n'arrivait plus à dormir.
Il sortit de son lit et déambula vers la salle de bain. Il alluma l'eau et enleva son boxer avant de se glisser sous la douche chaude. Il se prélassa plusieurs minutes, essayant de faire partir la culpabilité qu'il ressentait au fond de lui.
Il aurait dû prévoir une telle fuite, en temps normal il l'aurait fait. Il avait toujours eu une sorte de don pour se mettre dans la tête des gens, depuis tout petit. C'est pour ça qu'il avait finit par rentrer dans la police, il utilisait beaucoup la psychologie pour arriver à dénouer une affaire et ses talents étaient reconnus même si ses méthodes pouvaient paraitre bizarres.
Les flics n'aimaient pas travailler avec des gens qui établissaient des profils ou se basaient sur les habitudes et la maison d'un suspect pour deviner les moindres secrets de sa vie.
Oui, il aurait dû prévoir tout cela. Mais cette histoire lui prenait tout son temps et toute son énergie depuis quatre longs mois, il ne pensait pratiquement qu'à ça. Il n'avait jamais mis autant de temps pour résoudre une affaire. Sauf que là ce n'était pas un simple vol ou un meurtre passionnel. Ce mec était dingue.
Il ferma les yeux et mit sa tête sous l'eau. Il fallait qu'il pense à autre chose. Il finit par sortir et se sécha les cheveux. Il ouvrit la machine à laver et en sortit les habits de la veille qui avaient passé la nuit à essayer de retrouver un semblant de couleur.
Il retourna dans sa chambre pour ouvrit les volets, un peu de lumière ne ferait de mal à personne. Il entama ensuite une recherche intensive pour s'habiller, il retrouva un vieux jean sous le lit puis enfila une chemise noire serrée. Il démêla ses cheveux et les coiffa méthodiquement. Quelques coups de lisseur et de brosse plus tard il était à peu près satisfait du résultat.
Il s'attaqua ensuite au maquillage. Il entoura avec soin ses yeux avec un trait d'eyeliner noir, mit un peu de mascara et une touche de baume à lèvres.
Il contempla son reflet dans le miroir et sourit en pensant une fois de plus qu'il ressemblait à tout sauf à un lieutenant de police. Mais aussi bizarre que cela puisse paraitre, ce style androgyne si particulier avait de nombreux avantages, les plus peureux se sentaient en sécurité avec une personne qui ressemblait plus à une fille qu'à une armoire à glace, et les gros machos bourrus ne se méfiaient pas d'un jeune homme qui devait de toute façon être gay.
Il avait mené à bien plusieurs enquêtes simplement en parlant avec les gens et en gagnant leur confiance.
Il enfila ses santiags, qu'il avait le droit de mettre en service après avoir prouvé qu'il pouvait très bien courir avec, et prit son sac, son arme et sa plaque.
Il ferma la porte de son appartement et s'arrêta à la boulangerie juste en face de chez lui pour acheter de quoi se faire un petit déjeuner comme tous les jours.
« Salut Bill. »
« Coucou Katya. »
« Tu es bien matinal aujourd'hui, et sans vouloir te vexer, t'as une sale tête. »
Bill rigola.
« Mauvaise nuit. »
« Tiens, et j'espère que ça va s'arranger. »
Elle lui fit un clin d'œil et lui tendit son sachet habituel. Un café, un pain au chocolat et un mini éclair. Il prenait ça tous les matins et ça lui convenait très bien. Ca faisait un repas de moins à faire et un bol de moins à laver.
Il retraversa la rue et posa le sac par terre pour ouvrir le cadenas qui était accroché à sa moto. Il ouvrit le top case, en sortit son casque et mis son sac et son petit déjeuner à l'intérieur.
Il enfourcha son bolide, mit le contact et partit.
[...]
Une fois arrivé au commissariat il se dirigea vers son bureau sans parler à personne. Il ne voulait pas faire de compte-rendu sur ce qu'il s'était passé la veille.
Il s'assit et ferma les yeux quelques secondes.
Et puis il se mit au travail. Remplir des formulaires, détailler ses moindres gestes et tous ceux de son équipe, taper des pages et des pages de rapport. C'était la partie qu'il détestait le plus dans une enquête, mais il y était obligé donc il le faisait.
Au bout d'une heure il eut enfin fini de relater les moindres détails de l'opération. Quelqu'un toqua.
« Entrez. »
Un brigadier apparu.
« Le commissaire vous demande. »
« Ok. »
La porte se referma. Bill soupira, il allait sûrement se faire passer un bon savon. Le commissaire lui avait laissé juste assez de temps pour finir la paperasse et à présent il allait le démonter morceau par morceau. Il se leva sans grande conviction et traversa le couloir pour rejoindre le bureau de son supérieur.
« Lieutenant Kaulitz, bonjour. »
« Bonjour monsieur le commissaire. »
« Asseyez-vous je vous en prie. »
Bill s'assit, essayant de ne pas faire voir son mal-être.
« Bien, j'ai eu quelques échos de ce qu'il s'était passé la nuit dernière et avant que vous ouvriez la bouche... »
Bill la referma.
« ... je tenais à vous dire que c'était une opération bien menée, elle n'a pas eu les résultats escomptés mais on a appris beaucoup plus de choses sur le tueur en une heure qu'en quatre mois d'enquête. »
« Mais on ... » commença Bill.
« Pas de mais. Je sais que cette affaire vous tient à cœur et que vous vous en voulez d'avoir laissé échapper ce type, mais il a eu peur, il s'est enfuit et a abandonné la maison. Il va devoir rester calme pendant un certain temps ce qui nous permettra de nous rapprocher de lui encore un peu plus. »
Bill ne répondit pas.
« Alors vous arrêtez de porter toute la culpabilité du monde sur vos épaules, votre profil était exact et nous a conduit à la bonne maison. Continuez à travailler comme ça et on va le coincer. »
Il acquiesça.
« Bien, maintenant vous allez rentrez chez vous pour aujourd'hui, et arrêtez de toujours vouloir répliquer ! »
Bill referma la bouche encore une fois.
« Vous allez dormir et revenir en pleine forme, je ne veux pas vous voir avant que vous ayez retrouvé ce charme qui vous caractérise. »
Le commissaire lui fit un clin d'œil complice et Bill rigola légèrement.
« J'ai envoyé une équipe sur les lieux, elle va passer la maison au peigne fin, on ne laissera rien échapper. On a aussi découvert à qui elle appartenait. Elle a été vendue il y a 56 ans à une personne prénommée Magguy Grace. Elle a disparu il y a 10 mois. Personne n'a de nouvelles d'elle. Elle était très âgée, je pense qu'elle est morte et que notre homme a sauté sur l'occasion pour récupérer la maison. Il a payé toutes les factures, il a pris sa place et a pu occuper les lieux en toute discrétion. »
Le commissaire regarda un dossier et il releva les yeux vers Bill. Ce dernier compris immédiatement ce que son chef voulait lui dire.
« Vous l'avez vu vous-même cette maison semble inhabitée, alors pourquoi rentrer tous les soirs, payer les factures, faire comme s'il habitait vraiment là bas alors qu'il utilisait seulement la chambre. Le garage n'a pas été ouvert depuis des mois, la cuisine n'a pas été touchée, le salon non plus Il dormait dans son lit, utilisait la salle de bain, et c'est tout. »
Ces mots s'imprimaient dans le cerveau de Bill, il n'avait pas l'énergie de réfléchir à tout cela maintenant mais il savait que c'était un élément important de l'enquête.
« Quand vous reviendrez, vous vous occuperez de ça. Je veux savoir pourquoi on n'a aucune trace de lui dans aucun fichier ni pour l'électricité ni pour le gaz, rien. Comment se fait-il que nous ne savons ni son nom, ni son âge, ni son métier, alors qu'il passait toutes les nuits dans cette maison ok ? »
« Bien monsieur. »
Ils se saluèrent et Bill sortit. Lui qui s'attendait à se faire engueuler était plutôt surpris, on le gardait sur l'affaire et mieux on lui confiait une autre mission.
Il allait trouver l'identité de ce type et ce qu'il fabriquait dans ce pavillon.
Mais au fond de lui quelque chose le dérangeait. Il rentra chez lui sans vraiment y faire attention. Ce ne fut qu'une fois posé devant la télé avec un reste de pizza qu'il se fit à l'évidence.
La police avait failli l'attraper, il avait dû abandonner son refuge, laisser toutes ses affaires derrière lui, sa voiture, leur faire voir sa sortie de secours. Il avait dû avoir très peur et allait élaborer un nouveau plan.
Le brun raisonna en profiler, il pouvait sentir la rage qui animait cet homme en ce moment, la colère qu'il avait contre ceux qui venait le déranger dans son œuvre. Il allait passer au niveau supérieur.
Bill le savait, il allait devoir revoir son profil, les données venaient de changer. Le tueur ne remettrait plus jamais les pieds dans sa petite ville.
FIN CHAPITRE 1