Chapitre 2.


Cela faisait une semaine que Bill travaillait sur les nouvelles informations que la perquisition de la maison avait apportées. Il avait tout décortiqué en détail, recoupé toutes les données et il ne laissait rien de côté. Et pourtant il n'avançait pas.

Il ne savait pas comment cet homme avait atterri dans ce quartier ni comment il avait réussi à percer la chape de la maison pour creuser son tunnel. Il ne savait toujours pas pourquoi personne ne s'était rendu compte que la dame qui habitait là avait disparu et surtout il bloquait sur le profil.

Il soupira et s'étira sur sa chaise. Il était dix-neuf heures passées et il était toujours au bureau. Il avait de plus en plus de mal à quitter le commissariat, il avait l'impression d'abandonner les futures victimes à leur triste sort en rentrant chez lui sans avoir trouvé de solution.

« Bill, je vais finir par croire que vous voulez prendre ma place. »

Bill sursauta. Il n'avait pas entendu le commissaire entrer dans son bureau.

« Ce n'est pas mon intention monsieur, je vous assure. »

Et c'était la vérité. Etre commissaire était un très bon job pour ceux qui voulaient se coltiner des heures de paperasseries et de soucis administratifs. Et il avait déjà assez à faire avec son simple rôle de lieutenant.

« Rentrez chez vous, ce n'est pas en enchainant les nuits blanches que vous allez découvrir quelque chose. »

Bill ne répondit pas. Son chef avait toujours raison sur ces points.

« Vous faites du bon boulot, ne vous découragez pas. Il faut avoir confiance en vous pour établir ces profils c'est ce que vous m'avez dit n'est-ce pas ? »

Bill se souvient de sa première enquête ici. Il avait immédiatement établi le profil exact du suspect et avait expliqué au commissaire, qui était de la vieille école et n'employait pas forcément ce genre de méthodes, qu'un bon profiler n'était efficace que s'il était sûr de ce qu'il avance.

« Oui. » répondit-il.
« J'ai besoin de vos compétences alors reprenez confiance en vous lieutenant Kaulitz ! »
« Bien commissaire. »

Son boss lui sourit et sortit du bureau. Bill attrapa son portable, aucun nouveau message. Ce n'était pas franchement étonnant. Depuis qu'il était sur cette affaire il avait délaissé tout le monde, de sa famille en passant par ses amis. Heureusement qu'il était célibataire sinon son copain l'aurait lâché depuis longtemps !

Il rangea ses affaires et se décida enfin à rentrer chez lui. Il passa devant le grand miroir accroché au mur dans l'entrée. Il rigola intérieurement.
Il était gay, androgyne, flic et à moitié psy. Tout ce mélange donnait quelque chose de plutôt réussi finalement.

[...]

Les jours passèrent sans aucune nouveauté au plus grand dam de Bill qui ne supportait pas la monotonie. Il n'y avait rien, pas le moindre renseignement sur son tueur, la perquisition de la maison n'avait rien donné, son profil n'avait pas évolué depuis plusieurs jours, aucun fait nouveau n'était survenu.

Il n'était pas devenu lieutenant pour passer ses journées à se morfondre devant un tableau Veleda qui peinait à se remplir.

Il relu le dossier. Il ne pouvait faire que ça en l'absence de nouveauté, ressasser ce qu'il savait déjà et prier pour avoir un déclic.

Ses yeux parcourent une feuille remplie d'écritures en tout genre, des ratures ornaient chaque ligne, des flèches et autres astérisques se comptaient par dizaines, des mots avaient été barrés, réécris puis encore modifiés. Le profil de l'assassin évoluait à chaque nouveau meurtre.

Bill sentit une boule s'installer au fond de son estomac. En fait il n'attendait qu'une seule chose, un nouveau cadavre. Il lui fallait d'autres informations pour l'épingler et le psychopathe qu'il poursuivait était l'unique personne à pouvoir lui en donner.
Un nouveau meurtre, une nouvelle scène de crime, une précision de plus pour le profil, une chance supplémentaire de l'arrêter.

Soudain son portable sonna le faisant sursauter. Il se faisait souvent surprendre quand il était perdu dans ses pensées comme ça.

« Lieutenant Kaulitz. »
« Bonjour lieutenant » lui répondit une voix inconnue « désolé de vous déranger en cette heure si tardive. »

Bill regarda sa montre, il était pratiquement ving-heures heures, le temps avait encore défilé trop vite pour qu'il ne s'en rende compte.

« Aucun problème, je suis encore au bureau. » dit-il.
« Dans ce cas ce que j'ai à vous dire vous sera sûrement utile. »

Bill attendit, tous ses sens en éveil.

« Votre tueur est à Berlin. »
« Quoi ? » il s'étouffa à moitié sur sa chaise.
« Nous avons mis un certain temps avant de recouper toutes les informations mais il n'y a aucun doute possible, le mode opératoire identique, c'est sa signature. »
« Quand ? Comment ? »

Il n'arrivait même plus à formuler des questions cohérentes. Mais son interlocuteur sembla le comprendre.

« Le premier meurtre est survenu il y a sept jours maintenant. »

Bill calcula rapidement, il y a une semaine, seulement quinze jours après sa fuite par le tunnel. Mais il percuta sur autre chose.

« Le premier vous avez dit ? »
« Oui, il y en a eu un autre, aujourd'hui. »

Le cœur de Bill s'emballa, le tueur avait n'avait rien fait pendant deux semaines, le temps de se remettre sur pied après avoir été à deux doigts de se faire capturer, mais après, tout s'était accéléré. Deux meurtres en une semaine, s'il ne l'arrêtait pas très vite la liste des victimes allait s'allonger de façon vertigineuse.

Il s'en voulut d'avoir espéré une autre mort quelques minutes auparavant.

« Si je vous appelle c'est parce que je viens de recevoir l'ordre de vous transférer ici, votre commissaire est bien sûr au courant. Vous allez continuer à suivre l'affaire de Berlin, vous êtes le mieux informé sur cette histoire et votre aide nous sera précieuse. »
« Bien sûr que je viens ! » répondit Bill un peu trop sèchement.

La question ne se posait même pas, il aurait ce mec, peu importe s'il devait le suivre dans tout le pays.

« Bien, une voiture viendra vous chercher demain matin, plus tôt vous serez sur place, mieux ça sera. »
« D'accord. »
« On vous donnera tous les détails des deux derniers meurtres dès votre arrivée. »
« Ok. »

Une fois les formules d'usages échangées Bill raccrocha encore sous le choc de la nouvelle. Il s'attendait à ce genre d'appel, mais pas aussi rapidement, et surtout pas pour deux morts supplémentaires. Mais cela l'aidait beaucoup pour déterminer un profil encore plus précis, la précipitation faisait souvent commettre des erreurs, le tueur avait sûrement laissé plus d'indices que sur les scènes de crimes antérieures.

Il se leva, prit ses affaires et rentra chez lui. La nuit allait être courte, son cerveau était en ébullition et l'excitation l'empêcherait de toute façon de dormir.
Il le savait, l'enquête venait de prendre une toute autre direction. Une direction qui, il l'espérait, le conduirait tout droit au tueur.

[...]

Le trajet jusqu'à Berlin se passa relativement bien malgré les tensions qui nouaient tous les muscles de Bill un par un.
Il arriva enfin devant un commissariat imposant. Ils étaient au cœur de la ville, les bâtiments du quartier étaient anciens mais propres. Ils imposaient un mélange de crainte et de respect. Il descendit de la voiture et grimpa les marches menant à l'entrée.

Les bruits de la ville contrastaient avec le silence de sa province isolée. Il avait toujours aimé les grandes cités, il n'appréciait pas particulièrement la campagne, mais il n'avait pas vraiment eu le choix de son affectation et finalement il s'y plaisait assez.

Il poussa les immenses portes en verre et pénétra dans le hall. L'agitation qui y régnait était véritablement caractéristique d'un gros commissariat de capitale. Ici les affaires s'enchainaient à une vitesse folle et personne n'avait le temps de s'ennuyer.

Un homme d'une trentaine d'année, les cheveux blond et coupés courts, grand et plutôt costaud s'avança vers lui.

« Lieutenant Kaulitz je suppose ? »

Bill sourit. Il était vraiment trop repérable.

« Lui-même. Enchanté. »
« Commissaire Schäffer. »

Ils se serrèrent la main et s'avancèrent dans le couloir.

« On vous fera visiter plus tard, la réunion va bientôt commencer. »

La salle de conférence avait été réquisitionnée pour l'occasion et une dizaine de personnes étaient déjà assises.

« Voici le lieutenant Bill Kaulitz, il a suivi les premiers meurtres et va pouvoir tout nous expliquer. »

Il fut accueilli par des hochements de têtes discrets. L'ambiance était tendue, un tueur en série lâché dans une grande ville pouvait faire un véritable carnage. Bill brisa le silence.

« Tout le monde est là ? » demanda-t-il au commissaire Schäffer.
« Il manque le capitaine en charge de l'enquête, il est à la morgue pour récupérer les conclusions du légiste. »

Le brun acquiesça. Mais il n'était pas ravi de cette nouvelle, il allait travailler avec quelqu'un de plus gradé que lui, il devrait se conformer aux ordres.

Et ça, Bill détestait.

Il triturait le bout de la pochette contenant les différents documents qu'il avait apportés. Il se sentait épié. Les personnes présentes dans la pièce le détaillaient sans se cacher se demandant sûrement comment il avait réussi à devenir lieutenant avec un look pareil.

L'ouverture de la porte en verre remit tout le monde sur terre.

« Capitaine Trümper, on n'attendait plus que vous. »

Bill se retourna pour voir le nouvel arrivant. Les yeux des deux hommes se croisèrent, le brun ne s'attendait pas à ça. Le capitaine ressemblait plus à un dealeur qu'à un officier de police. Les vêtements larges, un bagguy surdimensionné, des dreads blondes retenues par un élastique.
Le parfait stéréotype d'une racaille de banlieue.

Mais en plus de ce look particulier le capitaine était beau. Bill était surpris de voir autant de charme émané d'une personne. Tout en lui respirait la sensualité. Ses lèvres étaient parfaites et ne demandaient qu'à être touchées...

Bill se ressaisit. S'il commençait à fantasmer comme ça il était dans la merde.

Mais si le brun était surpris de cette rencontre, la réciproque était également vraie.

Il se retint de rire. Ils allaient devoir travailler ensemble. Un androgyne à moitié gothique et un rappeur des cités à moitié rasta. La collaboration risquait d'être intéressante.

« Lieutenant Kaulitz, voici le capitaine Tom Trümper. »

Bill s'avança et lui serra la main. Il frissonna, le regard que venait de lui lancer son nouveau collègue était glacial. Il n'était apparemment pas heureux qu'un flic de campagne débarque sur son territoire.
Bill rangea ses rêves érotiques au fond de son cerveau. Mais il ne se démonta pas. Il lui fit un grand sourire ce qui ne fit qu'augmenter la rage de Tom.

La réunion pouvait commencer.

[...]

Pendant les deux heures suivantes les officiers échangèrent leurs informations. Quatre meurtres pour Bill, deux pour Tom. A chaque fois que leurs regards se croisaient le sang de Bill se glaçait. Le blond avait un don pour mettre les gens mal à l'aise et les maintenir à distance. Ils ne s'étaient toujours pas adressés la parole directement mais malgré tout ça personne ne semblait avoir remarqué que les deux personnes qui étaient amenées à bosser ensemble ne s'appréciaient pas du tout.

Enfin le commissaire permit à tout le monde de partir.

« Profitez de la pause de midi pour faire connaissance. » leur dit-il.

Bill hocha la tête, plus par politesse qu'autre chose.

Il suivit Tom à travers les couloirs, le dreadé ne prenait pas le temps de lui présenter les locaux, il marchait à vive allure sans se retourner.
Enfin il pénétra dans un bureau. Les murs étaient blancs avec quelques bandes grises par endroit, un imposant bureau noir trônait sous les fenêtres et une armoire de la même couleur occupait tout un mur.

Tom s'assit sur sa chaise et fixa Bill sans ciller.

Personne ne parla pendant plusieurs minutes. Bill commençait à en avoir assez. Il était venu lui apporter son aide, il n'avait rien demandé à personne, il s'était montré avenant et plein de bonnes intentions et voilà que monsieur le capitaine faisait des siennes sans même avoir appris à le connaitre.

Toujours aucun mot échangé, Bill devait agir. Il prit son dossier et ouvrit les rabats, il sortit quatre photos et les posa sur le bureau face à Tom.

« Ca, c'est Elizabeth Miller, 26 ans, jeune institutrice, célibataire, sans enfant. Ici, Martha Franck, 24 ans, secrétaire médicale, célibataire, sans enfant. Noémie Wanui, 19 ans, étudiante en sociologie, célibataire, sans enfant. Polly Newton, 22 ans, américaine, jeune fille au pair, célibataire, sans enfant. Et enfin les deux dernières. »

Il attrapa deux autres photos et les posa à côté des précédentes.

« Mathilda Brown et Suzan Cospa. »

Tom ne parlait toujours pas.

« Excusez-moi de vous parler franchement mais je me fous de ce que vous pensez de moi. Je suis là pour elles, pour ces six jeunes femmes. Alors laissez moi bosser avec vous, on vous a donné cette affaire vous êtes donc à la hauteur, tout comme moi. »

Il se tut et attendit une réponse. Et enfin Tom ouvrit la bouche.

« Vous êtes vraiment flic ? »

La question était si soudaine et inattendue que Bill explosa de rire.

« Je vous retourne la question. »

Il n'aurait pas cru ça possible une heure auparavant mais le capitaine sourit légèrement.

« Je suis flic, un très bon flic. »
« Mais je n'en doute pas. » répondit Bill.
« Simplement je ne suis pas du genre à partager mon enquête. »

Bill tilta au mot « mon » mais ne releva pas.

« Moi non plus. »

Il voulait lui faire comprendre que lui aussi devait partager quelque chose, après tout c'était lui qui était sur les premiers crimes, c'était son affaire.

« Pourquoi vous a-t-on confié ce dossier ? »

Cette fois Bill ne rigola pas. Il pensait avoir détendu l'atmosphère et un peu réchauffé leur relation mais il semblerait qu'il s'était trompé.

« Ne me dites pas que vous ne vous êtes pas posé la question, vous êtes jeune, encore inexpérimenté et on vous met sur ce genre d'affaire ? »

Bill le fusilla du regard. Il ne supportait pas qu'on mette en doute ses capacités.

« Peut-être mais ils me font confiance, ils savent que mes méthodes marchent et même si je n'ai pas beaucoup d'années de métier ce que j'ai fait jusque là est plus que satisfaisant. Vous ne m'aimez pas ok mais on va devoir travailler ensemble alors je vais faire comme si cette conversation n'avait jamais eu lieu. On se voit après manger pour faire le point sur le profil et on avisera ensuite. »

Tom aurait pu se mettre en colère et c'était ce à quoi le brun s'attendait mais le capitaine fut au contraire surpris.

« Un profil ? »

Bill ne comprenait pas vraiment la question.

« Oui le profil psychologique de notre tueur, avec les deux dernières victimes je pense pouvoir arriver à établir quelque chose de plutôt exact. »
« Un profil ? » répéta Tom incrédule.
« Oui un profil, le truc qui sert à déterminer comment agit une personne et son état en fonction de ses gestes. On vous a pas appris ça à l'école de police ? »

Son ton devint plus dur. Il voulait bien faire des efforts pour s'intégrer dans une nouvelle équipe et faire bonne impression mais là il commençait à perdre patience.

« Vous... vous êtes profiler ? »

Dans la bouche de Tom ce mot sonnait comme une insulte.

« Pas exactement, je fais plus de la psycho-criminologie, ça aide beaucoup dans une enquête vous savez. »

Le blond leva les yeux au ciel.

« Manquait plus que ça... » souffla-t-il « J'ai besoin d'hommes entraînés et compétents, pas de pseudo voyants qui pensent tout deviner en restant assis à contempler des photos. » reprit-il, à voix haute cette fois-ci.

Le sang de Bill ne fit qu'un tour.

« Sauf votre respect capitaine, allez vous faire foutre. »

La bouche de Tom s'ouvrit en grand.

« Je reviens dans une heure, je serai en salle de conférence à contempler des photos comme vous dites, si vous voulez connaitre ce que je déduis de tout ça passez me voir. »

Il sortit du bureau en claquant la porte.

Ce mec avait beau être canon, ils n'allaient vraiment pas s'entendre.

FIN CHAPITRE 2

 

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