CHAPITRE 10


_ Papa ?

Je vois mon père se rapprocher de moi pour me prendre dans ses bras.

_ J'étais si inquiet de ne pas te voir à la maison...

Je m'extirpe lentement de ses bras lui posant mille et une questions tacitement. Il détourne son regard vers les valises jonchant le sol.

_ J'ai quitté mon emploi. J'en ai un autre maintenant, qui me permet de travailler à mi-temps.

_ Pourquoi ?, dis-je sèchement.

_ Ta mère va vivre chez une amie pendant quelque temps, et je crois qu'il est temps que tu aies un père à défaut d'avoir une mère.

Une boule se forme dans ma gorge alors que des sanglots peinent à rester en moi. Mais bientôt des ruisseaux de larmes silencieux sillonnent mes joues, et s'échouent à la commissure de mes lèvres alors que certains atteignent le creux de mon cou.

Ma douleur vient-elle du fait d'avoir perdu ma mère ? D'avoir été abandonné ? Ou d'avoir enfin un vrai père en 18 ans de vie ? Des trois combinés je dirais...

Mon père comprend ma douleur, ou du moins la lit sur mon visage, et décide donc de me reprendre dans ses bras une seconde fois. Mais cette fois-ci je ne le repousse aucunement, j'ai juste besoin d'affection, j'ai juste besoin de savoir qu'on m'aime.

Ma respiration se saccade me faisant trembler légèrement dans les bras que je veux protecteurs de mon paternel. Je le serre davantage contre moi alors que ma tête s'engouffre dans son cou, l'humidifiant au passage.

_ Ca va aller Bill... Ca va aller...

Ses mains étrangement longues et chaudes me caressent paisiblement le dos, alors que je sais que dans son soi intérieur il est aussi bouleversé que moi.

Je calme mes sanglots et au fur et à mesure que mes larmes cessent je quitte le cocon de chaleur qui s'était formé autour de nous en vue de la froideur de l'événement.

_ Alors, tu vas t'installer ici.

_ Oui, si tu veux toujours de moi.

Je souris faiblement et murmure un « bien sûr » tout aussi bas de ton. Mon père hausse alors les épaules de désarroi en grognant comiquement. Eh oui, va falloir tout ranger. Je ris plus distinctement cette fois et prend une valise en main en faisant un signe de tête pour lui indiquer sa chambre. Il rit à son tour en prenant lui aussi une valise, et un autre bagage en main.

Je me retourne vers lui avec un sourire de gamin sur le visage.

_ Je te fais la visite ?

_ Tu vas voir sal mioche qui va te faire la visite de chez lui !

Je me mets à courir sous cette mise en garde qui pèse sur moi trop lourdement. Je pose précipitamment sa valise dans sa chambre et continue ma course là où mes pas me mènent sans être stoppés par un quelconque obstacle pouvant me compromettre.

_ Bill revient immédiatement ici !

J'exagère alors mon rire pour répondre négativement à mon père. Mais celui-ci ne s'en vexe pas. Ce n'est qu'un jeu, un jeu de gamin, un jeu que j'aurais dû faire avec lui il y a bien longtemps. Mais ce jeu est aussi une promesse, la promesse d'un commencement.

[Ellipse]

Nous sommes sur le canapé, télé éteinte, radio éteinte, album photos ouverts.

_ Et là tu t'en souviens ?, je lui montre la photo de mon souvenir le plus marquant de ma jeunesse, c'était le jour de mon entrée en primaire.

_ Oui, je m'en souviens.

_ Je ne voulais pas y aller mais tu m'en as convaincu, tout ça parce que tu m'avais dit « mon fiston, je suis déjà fier de toi et je le serais toujours, aussi si tu décide d'arrêter tes études, commence-les avant ce serait mieux ».

_ Et au fond de moi je priais pour que tu ne me dises pas que tu avais déjà commencé tes études à la crèche, tu étais tellement fourbe !

_ Je le suis toujours, dis-je en me tournant vers lui avec un sourire perverti par ma sournoiserie.

_ Oui, mais en bon fils que tu es, tu vas éviter de faire tourner en bourrique ton vieux père si tu veux pouvoir le conserver.

_ Et si je veux mon héritage ?

_ Je te déshérite dès demain matin, dit-il, et nous rions tous deux.

Je vois qu'il fait abstraction du fait que c'est ma mère qui touchera tout et je l'en remercie. Je ferme alors cet ultime album et me tourne vers mon père.

_ Dis papa... Depuis quand ça ne va plus avec maman ?

_ Tu parles de notre couple ?

_ Oui...

_ Depuis longtemps. Trop longtemps même. Quand tu étais jeune, même bambin, on se disputait souvent. Mais on faisait en sorte que tu ne sois jamais à côté de nous. Mais tu vois, notre couple battait de l'aile, alors ta mère m'a donné un ultimatum. Soit je prenais un boulot prenant et elle restait mère de famille ; soit on se séparait et elle avait ta garde totale.

Je le vois soupirer en s'adossant au canapé.

_ Alors tu as préféré avoir un boulot prenant, dis-je doucement.

_ Non, j'ai choisi de garder mon fils, dit-il aussi doucement.

Ne sachant que faire, je choisis de fixer le sol, le rouge aux joues. Alors que j'ai passé mon temps à bannir mon père pour ses absences, lui, ne le faisait que pour moi ? Mon cœur commence à battre à la chamade et je ne sais plus où me mettre, quelqu'un pourrait-il creuser mon tombeau, je me sens trop faible !?

_ Pardon, à peine ai-je prononcé ce mot que je me rue sur mon père pour l'étreindre, pour m'excuser de tous ces reproches que j'ai pu lui faire.

[Ellipse]

Pour la première fois depuis longtemps je suis heureux en ce matin. Ma cigarette au bec, une connaissance en face de moi, un ami non loin, je suis heureux. Bien que ma mère m'aie lâché, bien que je me sente délaissé, je me sens bien. Comme un fils qui a passé du temps avec son père.

Je souris donc pour la première fois à Fabrice tout en recrachant la fumée de ma cigarette.

_ Bill ? Tu fais souvent patienter tes amis quand ils sont plantés à côté de toi pour te dire bonjour ?, m'interpelle Fabrice.

_ Hein ?, je me tourne vers ma droite quand une personne m'ôte ma cigarette des mains, ah Tom.

_ Heureux de me voir on dirait.

Je lui souris en lui faisant la bise. Il fait un petit mouvement de recul.

_ Tu pues la cigarette froide.

Je me rapproche alors de lui en lui reprenant ma cigarette et en m'approchant de son cou puis de son oreille.

_ Et toi tu sens bon, je lui fais un petit baiser sur la joue, vous venez, on va en cours ?

_ Bill ? Non mais d'où viennent ta tendresse et ta bonne humeur ?? T'arrête de niaiser maintenant, hein ? Rends-nous le vrai Bill, c'est un ordre !!

Je ris en continuant mon chemin et ne m'arrête que quand je me retrouve nez-à-clenche avec la porte de ma salle de cours. Tom se laisse glisser contre le mur et je me retourne pour le regarder. Tiens, on est seuls.

_ Depuis quand tu vas en cours avant que ça sonne Bill ?

_ Et toi, depuis quand tu me suis quand je vais en cours avant que ça sonne ?

_ Depuis que t'es mon ami.

Je souris et vais m'assoir à ses côtés.

_ Bonne réponse.

Je pose ma tête sur son épaule tout en fixant le mur d'en face. Il faudrait d'ailleurs lui redonner un peu de fraicheur à ce vieux taco !

_ Alors, que nous vaut cette bonne humeur ?

_ T'avais tort, une mère peut abandonner son enfant. Mais un père peut revenir, je me tourne vers lui et fait un « clock » avec la langue.

_ T'es matraqué comme mec..., dit-il en ébouriffant mes cheveux.

J'enlève ma tête de son épaule et le fixe méchamment.

_ Non mais Tomeuh ! J'ai pris du temps à me coiffer ce matin !

_ A te quoi ?

Je remets ma tête sur son épaule en soupirant et en ré-aplatissant mes cheveux sur ma tête.

_ En attendant c'est toi qui en profite.

_ Soit...

Je devine son sourire pervers qui orne son visage. Il fouille dans son sac en s'acharnant dessus et en sort une petite pochette en plastique pour cd.

_ Tiens.

Je prends le cd et y lit « maquette n°4 ». Je me tourne vers lui interloqué puis il me sourit face à mon « non-savoir de ce qu'est cette chose ».

_ C'est la chanson que je t'ai jouée la dernière fois. Comme ça tu pourras chanter seul.

_ Merci !, je l'embrasse sur la joue en contemplant le cd , tu me le donne ?

_ Bah oui !

Je me tourne vers lui outré.

_ C'était pas évident !

_ Maintenant ça l'est.

Je souris de nouveau en prenant soin de mettre la maquette en sécurité dans mon sac de cours.

_ Dis-Tom. Pourquoi t'as fait semblant de sortir avec Misha ?

_ Heu... Disons que je voulais prouver à certaines personnes que je pouvais avoir une relation longue et sérieuse avec quelqu'un.

_ Ouais ben c'est pas malin, parce qu'au final t'en es incapable !

_ Ouais, je le regrette un peu.

Je me tourne vivement vers lui pour me mettre en face, mort de rire.

_ Style tu vas te plaindre de plaire aux filles toi !

_ Je me plains de ne pas tomber sur une fille avec qui ça peut durer c'est tout.

_ Mais oui, mais oui...

_ Mais si !

Il se jette sur moi, lance une attaque chatouille, et moi je galère à maitriser en même temps mon rire et mon équilibre. Il continue à me chatouiller jusqu'à ce que je n'en puisse plus et une fois fini, je m'écroule sur lui, anéanti.

Récapitulatif : nous sommes seuls dans un couloir, Tom à moitié allongé par terre et moi à bout de souffle allongé sur lui. Vous croyez que c'est suspect ?

_ Bill... Si tu ne te lèves pas je crois que mon sang va déserter mon cerveau.

Oui, soit, le problème c'est que moi je n'ai plus la force tu vois...

_ Non, peux pas, grogne-je

Je sens alors ses mains passer outre mon t-shirt et caresser tendrement mon dos. Je pourrais avoir des doutes quant à cette action mais je ne m'en formalise pas. Ses doigts quittent ma peau pour remettre mon t-shirt et s'affèrent à me masser la tête. Encore... Je vais presque m'endormir...

_ Bill sans rire hein ? Je ne vais pas tenir longtemps.

_ M'en fous, continue de masser.

Il rit et à mon grand soulagement continue son massage. Je ronronne me laissant totalement faire. Allez savoir si c'est Tom ou si je supporte maintenant qu'on me tripote les cheveux.

Ses mains enserrent légèrement mon cou et il en profite pour relever mon visage près du sien. Nos visages sont très proches si bien que je peux voir les quelques imperfections qui surplombent sa peau. Ses lèvres meuvent lentement et j'en conclue que des mots en sortent.

_ T'es sûr de vouloir oublier... ?

Je le fixe comme perdu dans mes pensées. Si j'en suis sûr ?...

_ Vous sortez ensemble ?

A l'entente d'une voix masculine et interloquée je me sépare relativement vite du corps de Tom, les joues empourprées.

_ Non, répond simplement Tom, pourquoi ?

Je me tourne vers l'intrus et découvre qu'il n'est autre que Fabrice.

_ Je vous trouvais bien proche c'est tout, affirme Fabrice en haussant les épaules.

_ Tu te fais de fausses idées c'est tout, dis-je avant de regarder avec insistance Tom, et d'ailleurs oublie-les.

La cloche sonne et bientôt une cohue envahit les couloirs. Tom se relève à son tour et nous sommes rejoints par ses amis.

Mon cœur bat encore trop vite. Tom aurait déjà du avoir oublié ce qu'il s'est passé, moi aussi d'ailleurs...Pourquoi dire « oublier » si c'est impossible ? Ou si ce n'est possible que momentanément ou partiellement?

Misha me sort de mes pensées peu revigorantes.

_ T'as passé une bonne soirée avant-hier ?

_ Oui, j'avoue que c'était pas mal, j'en ai beaucoup appris sur vous.

_ Le matin aussi , ajoute Tom l'air de rien.

Je baisse le regard, surtout ne rien laisser paraître, surtout ne rien laisser paraître.

_ Ouais c'est vrai que vous avez passé pas mal de temps dans la salle de bains. Après on n'était pas assez proches pour en avoir entendu grand-chose, ajoute Georg le sourire pervers aux lèvres.

S'il te plait Tom aide-moi !

_ Après tout c'est pas nouveau que Tom soit attiré par un gars, affirme Gustav le sourire aux lèvres.

Ah bon ? Ben j'en apprends encore aujourd'hui ! Tom se décolle du mur le visage impassible et passe devant nous en murmurant « le prof arrive ». En effet, le prof passe à son tour devant nous pour ouvrir la porte de la salle et les élèves commencent à entrer en peine pour la plupart.

Je m'assois à côté de Fabrice et quelques tables derrière Georg et Tom se placent à leur tour. Je soupire encore et toujours. Mais où ça va me mener cette connerie que j'ai faite hier ?

_ Ca va ?, me demande Fabrice inquiet.

_ Ouais, ouais.

Je lui souris faussement avant de sortir mes affaires.

_ Il se passe quelque chose hein ?

Je baisse le regard honteux. Suis-je si transparent pour que l'on puisse lire à travers moi ?

_ Pourquoi tu dis ça ?

_ Parce que quelqu'un qui n'a rien à se reprocher ne réagit pas précipitamment comme tu l'as fait.

_ Pourtant il ne se passe rien, mens-je.

[POV Tom]

Je m'assois à quelques tables de Bill en soupirant. Pourquoi il m'a demandé d'oublier hein ? Je suis sûr que tout à l'heure il me parlait à moi et non pas à Fabrice pour le fait d'oublier !

Je sors mes affaires coincé entre énervement et délusion. J'ai aimé ce que j'ai fait avec Bill, et le pire c'est que je le considère comme un ami. Mais amitié plus contacts charnels ne veut pas dire amour. J'ai besoin de jouer jusqu'au bout. J'ai toujours été au bout des choses que j'ai entreprises de faire, et il est fort peu probable que je tombe amoureux de Bill un jour. Et puis, Bill non plus n'est pas amoureux, alors pour l'instant tout va bien dans le meilleur des mondes. Oui j'essaye de m'en convaincre et alors ?

_ Tom ?

Je me retourne vers Georg.

_ Quoi ?

_ Bah t'as même pas réagis à l'opportunité de caser « mer du nord » dans le cours.

_ Ah... J'ai trop pris l'habitude de ne pas écouter c'est pour ça !

_ Mouais, marmonne un Georg peu convaincu de mes propos.

J'ai juste encore envie de le toucher dès que je l'approche. Déjà que je n'ai jamais rien fait d'approfondi avec un homme, alors en plus si c'est tout le temps que j'en ai envie... Je me savais déluré mais là !

[Ellipse]

J'attends Bill à la sortie des cours pour lui proposer de bosser sur notre dossier ce soir mais je trouve qu'il tarde un peu trop à mon goût.

[POV Bill]

Putain mais Tom tu vas te bouger de là oui ! Aller oust vas-t-en que je puisse rentrer chez moi sans te croiser ! Ne me dis pas qu'il m'attend sinon on est partis pour des heures comme ça jusqu'à ce que je me fasse virer du lycée pour cause de fermeture.

[POV Tom]

Non mais c'est pas vrai, il s'est perdu où quoi ?? Bon ... Je m'avance sur le trajet et vais me mettre sur assis sur un muret non loin de là. Cinq minutes plus tard je vois Bill sortir du lycée. Je trouve ça bizarre n'empêche... Ou alors il a fait exprès de m'éviter à cause de ce qu'il s'est passé ce matin...

Je décide de ne pas bouger de ma place mais de simplement fixer Bill jusqu'à ce qu'il me regarde, si tant est qu'il me voie... S'il veut vraiment m'éviter alors je ne vais pas aller vers lui.

Nos regards se croisent et Bill semble perdu, comme pris au piège. C'est bien ce qu'il me semblait, il ne voulait pas me croiser. Il reste debout devant les grilles juste assez près pour me voir, mais juste assez loin pour ne pas que l'on puisse se parler.

Je prends alors mon portable et lui envoie : « si tu veux qu'on en discute, tu as raison ce n'est pas le bon moment, mais si tu veux rendre ton dossier à l'heure, c'est maintenant. »
Je le vois sortir son portable et sourire faiblement. Il se dirige alors vers moi et une fois assez près il me lance un « t'es con » avant que nous ne partions chez moi.

Nous entrons et montons directement dans ma chambre. Bill me semble mal à l'aise d'ailleurs.

_ Bill, ça va ?

Je vais m'assoir sur mon lit à ses côtés. Son regard fuit le mien alors que ses joues rougissent. Bon ben va falloir en parler je crois.

_ Si tu veux que j'oublie, je ne te promets pas de le faire, mais je pourrais ne plus t'en parler si tu veux.

_ De toute façon c'était bête, on n'avait qu'à ne pas le faire c'est tout.

_ Je ne regrette pas moi.

Un silence s'installe, silence pendant lequel Bill ne m'adresse aucun regard.
Pris d'une pulsion, je dirige ma main vers sa nuque et l'oblige à se rapprocher de moi et à me regarder.

_ Dis-moi que tu regrette Bill, murmure-je.

Sa bouche est entrouverte et ses yeux légèrement luisants. Je crois que je l'ai perdu, il me fixe peu intéressé par mes paroles. Je me rapproche lentement et pose mes lèvres sur les siennes une fraction de seconde avant de m'en détacher. Je le sonde quelques secondes avant de m'engager dans un baiser, mais avant que je n'ai pu effleurer sa bouche, il me murmure tout bas, les yeux mis clos rivés sur mes lèvres.

_ Je vais tout te dire pour Klaus.

FIN CHAPITRE 10

 

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