C H A P I T R E * 13
Le grésillement d'une fermeture éclair perturbe le silence. Un corps tout habillé de noir se déplace lourdement dans la pièce. Il est près de cinq heures trente du matin. Il fait encore nuit dehors, et le vent souffle, froid et sec. Le guitariste attrape la bride de sa housse de gratte et la passe sur son épaule, puis saisit une des quatre valises qu'il va emmener. Il ne va que les déposer dans le salon, les gardes du corps feront le reste. Une brève inspiration, et il passe la porte de sa chambre, espérant ne rencontrer personne en chemin. Mais la lumière qui filtre sous la porte de la chambre voisine le rassure. Enfin, il presse tout de même le pas, au cas ou cette porte s'ouvrirait.
Arrivé en bas des escaliers, il aperçoit sa mère qui s'affaire dans la cuisine. Il aimerait aller la voir. Il aimerait qu'elle le prenne dans ses bras. Même lui a besoin de tendresse. Surtout lui, et surtout maintenant en réalité. Et Simone est déçue. Ses fils sont arrivés réconciliés, après des années de torture pendant lesquelles, elle les a vu se battre comme des forcenés, pour une raison qui lui reste inconnue ... et désormais, ils repartent fâchés. Comme toujours. C'était trop beau pour être vrai n'est-ce pas ? Elle soupire faiblement pour elle-même, et sert le café dans les deux tasses présentes sur la table.
Tom se rapproche doucement, l'air anéanti, ce qui est le cas. Les cernes sous ses yeux font mal au cœur de sa génitrice. Elle tend vaguement la cafetière devant elle, pour savoir s'il en veut, mais le guitariste nie. Tom ne s'assoit pas, et préfère retourner chercher ses dernières valises avant que son frère ne sorte de sa chambre.
Quelques minutes plus tard, trois hommes frappent à la porte, que Simone ouvre en leur souriant. Ils s'emparent des valises et ressortent comme si de rien était. Le silence troublant de la maison oppresse le cœur d'un certain dreadeux aux pensées tristes. Assis en bas des marches d'escalier, déjà prêt à partir, il n'attend qu'une chose. Que ce soit l'heure des adieux déchirants avec sa mère, Gordon dormant encore. Il ne va pas s'éclipser en avance sous prétexte qu'il ne veut pas sortir en même temps que son frère. Frère dont il n'a pas vu le visage depuis le repas de midi, la veille. Il se rappelle encore ... son regard. Les larmes lui montent aux yeux. Il préfère ne plus y penser, même s'il sait que ce sera plus que difficile.
Pendant ce temps-là, dans la cuisine, Bill avale une dernière gorgée de son café brûlant, souriant faiblement à sa mère qui le regarde avec ... passion, visiblement. Il soupire, se redresse et attrape son sac blanc en cuir synthétique. Simone s'empresse de le serrer contre elle, ce à quoi Bill répond avec un petit peu de retard. Elle soupire doucement dans leur étreinte.
-« Pourquoi vous devez toujours partir ? » dit-elle, l'air mélancolique, en se détachant lentement de lui.
Le chanteur sourit tristement à la question qui, il le sait, n'en est pas une. Il pose un baiser sur sa joue et se détourne rapidement, sortant en coup d'vent de la maison. Il déteste les adieux difficiles.
Tom le voit à peine passer, et son cœur se serre. Il ne l'a même pas attendu cette fois. Les yeux braqués sur la porte, il essaye de digérer cette information supplémentaire, tandis que Simone sort de la cuisine, et le trouve là, l'air complètement désorienté. Elle ne supporte plus de le voir comme ça. La relation qu'entretiennent ses fils devient carrément invivable et elle ne sait plus quoi faire. A-t-elle vraiment un rôle à jouer dans celle-ci ? Elle n'en sait rien, mais visiblement, si c'est le cas, elle n'est pas très efficace.
En la voyant se poster devant lui, Tom se réveille de sa contemplation et se redresse brusquement. Ses yeux brillants finissent par arracher quelques larmes à sa mère. C'est lui qui craque en premier, serrant la taille fine de sa maman entre ses bras.
Elle lui caresse doucement le dos, alors que son visage glisse dans son cou chaud.
-« Tu n'es pas encore parti et tu me manques déjà ... » murmure-t-elle à son attention.
Le guitariste s'agrippe à elle de toutes ses forces. Il aimerait pouvoir rester là. Pour toujours, dans les bras de sa mère.
Mais non, il doit partir, sur un autre continent, répondre à des questions dans une autre langue, et rester près de son frère.
-« J'en ai marre ... » lâche Tom, dans un sanglot.
Simone dépose un doux baiser sur la joue de son fils, continuant ses caresses.
-« Je comprends Tommi, moi aussi. »
Elle embrasse à nouveau sa tempe, et se décolle comme elle peut de son étreinte. De ses longs doigts, elle essuie tendrement les larmes qui coulent sur ses joues.
-« Ca va aller. Et si à un moment ça ne va vraiment pas, tu m'appelles hein ? »
Le dreadé renifle imperceptiblement, et acquiesce en essuyant les dernières larmes d'un revers de manche.
Un dernier baiser et Tom passe la porte, sentant ses joues refroidir d'un coup, glaçant sa peau en lui tirant un frisson. Il marche d'un pas mitigé vers la voiture noire qui n'attend plus que lui. Il en ouvre la portière, son cœur s'accélérant. Il fait en sorte de ne pas regarder son frère, de l'autre côté sur la banquette, et une fois installé sort rapidement son i-pod. Il s'enfonce un peu dans son siège, regardant à travers la vitre, tandis que le chauffeur démarre en ayant vérifié que les deux passagers soient derrière.
Sa mère est sur le pallier, à les regarder partir, une énième fois. Tom sait qu'elle est fière d'eux. Mais ... être avec sa maman lui manque énormément. Elle a sans doute eu une place un peu trop importante dans son cœur. Mais Tom préfère qu'il en soit ainsi. Car c'est toujours un peu moins de place pour Bill.
Ses écouteurs bien calés dans ses oreilles, il risque un regard vers son frère. Celui-ci a les yeux fermés, les deux mains coincées entre ses jambes. Tom n'a qu'une envie : se lover contre lui et dormir. Mais voilà, il ne pourra que dormir. Et ce en faisant bien attention de ne pas lui tomber dessus. Il ne peut plus se permettre un tel quiproquo. En revanche, il a bien fait de ne pas prendre de café. La seconde chanson de Samy Deluxe venait à peine de commencer lorsque le sommeil l'emporta, loin de ce monde triste dans lequel il n'avait aucun avenir amoureux.
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La situation est malencontreuse. Un jeune dreadé regarde avec désespoir son frère alors qu'ils viennent d'arriver à l'aéroport de Berlin. Le brun est profondément endormi, et sa respiration tranquille rend Tom encore plus nerveux.
Putaiiiin Bill ... réveille toi tout seul je t'en suppliiie é_è Je n'veux pas voir ... ton ... ton regard sur moi ... Qu'est-ce que j'fais ? Les autres vont s'impatienter et j'peux pas rester là, la porte à moitié ouverte et le cul à l'air pendant des heures. J'vais m'faire violer -_-
Le dreadeux triture nerveusement le bas de son sweat, jetant un œil un peu partout autour, cherchant un objet un peu bruyant pour le réveiller sans s'impliquer. Finalement, son sauveur arrive. Il se dégage rapidement de la porte, attrape la bretelle de son sac en le balançant sur son épaule, et marche d'un pas rapide jusqu'à l'entrée de l'aéroport sans plus se soucier de son frère.
-« Hey Tom ! Ca va ? »
Le guitariste n'adresse même pas un regard à son manager qui se stoppe en le croisant.
-« Tu pourrais répondre au moins ! è_é »
Un simple grognement conforte David dans son idée que Tom n'est pas d'humeur.
Il soupire, se rapprochant de la voiture noire, dans laquelle il trouve son chanteur endormi. Un sourire sadique apparaît sur son visage.
-« Debout là d'dans ! » hurle-t-il dans l'espace confiné.
Bill sursaute tellement fort qu'il s'en cogne la tête au plafond, lui tirant un gémissement de douleur, alors que David se bidonne de sa blague tout seul à côté. Un regard plus que noir lui parvient.
-« Connard. » déclare-t-il, en ouvrant sa portière, saisissant la bride de son sac.
-« Rooooh, les Kaulitz sont pas joueurs ce matin. »
L'air furieux, Bill visse une casquette noire sur ses cheveux et prend à son tour la direction de l'entrée pour les départs.
Le brun entre dans la grande salle blanche, deux gardes du corps à ses trousses, et aperçoit rapidement ses deux amis au loin, assis sur des chariots. Néanmoins, une fois rapproché du groupe, il ne trouve pas son frère. Tant mieux. Moins il le voit, mieux il se porte, très certainement. Penser à lui le fait trop réfléchir. Et dès le matin, avec le goût du café dans la bouche et le crâne douloureux ... très peu pour lui.
-« Hey ! Alors ces vacances ? » demande Georg, tout sourire.
Il ne récolte qu'un soupir en guise de réponse. Les G's se regardent, surpris.
-« Où est Tom ? »
-« J'sais pas. »
Nouvelle vague d'étonnement.
-« Comment ça ... 'tu n'sais pas' ? » questionne Gustav, inquiet.
Bill lève les yeux au ciel, et leur lance, excédé :
-« Bah j'sais pas ! Il est sorti avant moi d'la voiture et il m'a pas réveillé, donc je-ne-sais-pas ! »
Georg trésaille sous la violence de ses propos. Un Bill aussi énervé pour le départ le plus glorifiant qu'ils aient jamais fait ... ça a de quoi inquiéter. Gustav décide de jouer la carte de la prudence en changeant de conversation.
-«Bon ... notre vol est à sept heures quarante huit. On a le temps de manger quelque chose, si ça vous dit.»
Le silence le plus complet lui répondit.
Le voyage risquait d'être long.
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De petits sanglots étouffés parviennent des toilettes hommes plus ou moins propres de l'aéroport. Tom essaye, en vain, de stopper le flot de larmes qui s'écoule sur ses joues, mais la tristesse, et le manque l'insupportent. Sa mère lui manque, son anonymat lui manque, sa pleine santé lui manque, et par-dessus tout son frère. Il n'a rien mangé ce matin, et il a dorénavant la preuve que ça ne change rien. Ca ne l'a pas empêché de vomir. Il espère juste que ça n'arrivera pas dans l'avion. Lui qui a horreur de ça, si en plus une nausée lui tombe dessus ... Il s'était pourtant fait une raison. Il était impossible qu'il apprécie son voyage américain à sa juste valeur. Parce que sa santé n'y met pas du sien et que son frère le regarde avec un mélange de dégoût et de peur, depuis qu'il lui a avoué son amour ...
Je n'aurais jamais du ... je le savais pourtant ! Il y avait bien une raison pour que je n'dise rien ! Quel con ... je suis si stupide ! Pourquoi j'ai fais ça ?! C'est fini maintenant ... Bill ne me touchera plus jamais ... on ne se câlinera plus ... on ne se parlera plus ... j'ai peut-être même signé la mort du groupe ?! Peut-être que Bill va le dire au monde entier ... qu'il me fera passer pour un malade et qu'on me fera interner ... C'est tout c'que j'mérite de toute façon ... je n'peux pas guérir ... je suis malade d'amour é_è
Un énième sanglot lui échappe tandis qu'il se redresse faiblement. Ses jambes tremblent et sa salive a un goût acide répugnant. Il s'empresse d'avaler plusieurs gorgées d'eau qu'il recrache immédiatement. Néanmoins, ce goût l'accompagnera un moment, il en a déjà fait le test. Un petit reniflement et il respire plus ouvertement, se redressant de sa hauteur et jetant un dernier regard sur son reflet. Il se trouve pitoyable. Et il l'est. Mais il n'y peut rien. Après toutes ces années sans craquer aux yeux des gens, Tom ne sait plus se retenir. La vie est si injuste.
Il attrape un bout de son baggy qu'il remonte un peu, et sort de la pièce. Après avoir parcouru plusieurs dizaines de mètres dans l'immense hall, il découvre enfin ses amis, assis à même le sol contre un mur, un café en main. Son souffle s'accélère. Bien sûr, Bill est là. Il s'avance à leur encontre et voit les G's lever leurs yeux vers lui. Son frère ne semble même pas intéressé par la conversation que tenait les autres membres du groupe, avant son arrivée. Il fixe le sol. Du moins, c'est tout ce que Tom peut voir pour le moment.
C'est à cet instant qu'il s'aperçoit que ses propres yeux sont encore humides. Il soupire, comprenant que personne ne doutera de ce qu'il vient de faire désormais. Pleurer, comme d'habitude. Comme une fille. Arrivé à leur hauteur, il se laisse tomber doucement contre le mur et glisse jusqu'au sol.
-« Alors mec ? Et ces vacances ? Bill est vraiment pas d'hu- »
Gustav s'interromp au moment où Georg lui met un coup d'coude bien placé. Le batteur rougit légèrement, se rendant compte qu'il vient de mettre les pieds dans l'plat.
Le bassiste tourne la tête vers son meilleur ami pour apercevoir un regard mouillé. Visiblement, ces vacances n'auront pas servi à grand-chose. Pourtant, Tom l'avait appelé pour lui apprendre, avec une légère euphorie, qu'ils s'étaient réconciliés, après toutes ces années. Georg s'était dit qu'avec un peu de chance, ça allait tenir, et qu'ils allaient en revenir à leurs débuts, dans la bonne humeur et la joie. Mais non. Ca n'avait, apparemment, même pas tenu l'espace d'un mois.
Gustav n'avait jamais supporté de se mettre dans de telles situations. Il détestait littéralement tomber dans le seul et unique sujet qui fâche. Et par habitude, sa langue fourcha une seconde fois. Il ne pouvait tout d'même pas en rester là, et se faire passer pour un abruti ... n'est-ce pas ?
-« Hum, au fait ... où t'étais Tom ? On a voulu te chercher mai- »
Un second coup lui arriva dans les côtes.
Décidément, il n'avait pas de chance.
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Son cœur battait à tout rompre. La pression lui monte déjà aux oreilles. Un de ses nombreux symptômes ... Il n'a pas de vraie phobie. C'est juste qu'il en a un peu ... peur ? Du moins, c'est ce qu'il dit à tout l'monde. Pourtant, personne n'est dupe. Tom regarde avec angoisse vers le sol, à travers ce hublot qu'il maudit tout autant que la carcasse de cet appareil. Oui, l'avion, c'est pratique. Mais c'est si effrayant. Depuis le drame du World Trade Center ... sa peur irrationnelle avait fini par devenir maladive. Autant, prendre l'avion pour aller en France, en Espagne ou tout autre pays européen ... il pouvait contrôler. Mais là ... pour aller à ... New-York. Après ce terrible attentat du onze septembre. C'est trop.
Il sent déjà les larmes lui monter aux yeux, alors que l'avion n'a même pas encore bougé. Son souffle devient impossible à contenir. Il agrippe un accoudoir, et se penche doucement du côté du hublot, fermant les yeux, tentant de ne pas voir un avion s'écraser derrière le voile noir de ses paupières. Malheureusement, si tôt dit, si tôt fait. Une main se pose doucement dans son dos, lui tirant un sursaut de panique. Il avait déjà l'impression qu'une hôtesse allait lui demander de mettre un gilet de sauvetage. Une véritable peur bleue.
Mais ce n'est que le regard inquiet de Georg qu'il croisa. Il n'a pas voulu essayer de s'asseoir avec son frère. Chose qu'ils faisaient à tous les vols, malgré leur 'haine' réciproque. Pourquoi ? Tout simplement pour Tom. C'est aujourd'hui qu'il en aurait le plus besoin au monde ... mais comme par hasard, les choses ne se passaient pas comme il le fallait. Tom avait besoin de son frère pour le calmer. Il était le seul à avoir ce pouvoir. Même si Georg était son meilleur ami, il n'était pas Bill.
Le bassiste frotte doucement son dos.
-« N'aie pas peur Tom, tout se passera bien. »
Mais les paroles de Georg lui paraissent tellement inutiles et transparentes. De l'autre côté de la rangée, il aperçoit à peine son frère derrière Gustav qui, lui, s'apprête à enclencher son mp3.
Son souffle court ne s'améliore pas. Il va faire une crise, il le sait. Il essaie juste de la retarder. Mais pourquoi ? Dans quelques minutes à peine, l'avion va décoller. A cette pensée, il laisse échapper un bref sanglot. Il aimerait se recroqueviller sur lui-même, mais l'indicateur rouge en face des rangées de sièges vient de s'allumer sur le phrase 'attacher vos ceintures'. Une larme solitaire coule sur sa joue, tandis que, de ses doigts tremblants, il tente de faire glisser les deux parties l'une dans l'autre.
Finalement, la bande aura raison de lui. Il lâche les embouts et se met à pleurer plus franchement. Le simple fait d'imaginer ce qui va se passer après lui donne la nausée. Pire que tout en somme. Sa tête tourne un peu, il voit malgré tout Georg s'affairer à lui attacher sa ceinture, et le regard inquiet d'une hôtesse se poser sur lui.
-« Est-ce que ça va aller ? » demande-t-elle.
Mais Tom n'est plus en état de répondre. Il voudrait son frère. Il voudrait tellement qu'il le serre dans ses bras. Là, il serait en sécurité.
Georg prend la relève auprès de la jeune brune.
-« Il fait des crises de panique. Est-ce que vous auriez quelque chose ... pour, le calmer, l'endormir, je n'sais pas ! Mais ça va être nécessaire là ! »
Le bassiste adresse un autre regard à son meilleur ami qui sanglote faiblement, les avants bras plaqués sur le visage, comme pour se protéger d'une menace invisible. L'hôtesse esquisse une moue d'embarras, avant de se rendre à l'avant de l'appareil, lui demandant quelques secondes.
Tom ne peut plus se retenir, il n'a plus qu'une envie, c'est se lever et courir jusqu'à la sortie. Toute la matinée, et la veille déjà, il avait préféré occuper ses pensées avec cette nouvelle affolante qu'il avait révélé à son frère et toutes les réactions possibles qu'il pouvait avoir. Il savait bien qu'il allait se retrouver dans cette situation, et quelques semaines plus tôt, il n'en avait que faire. Bill et lui étaient réconciliés. Il savait que son frère n'aurait vu aucun inconvénient à le serrer dans ses bras durant tout le vol s'il le fallait. Mais là, il n'était même pas assis à coté de lui !
Cette pensée finit de l'achever sur ses craintes. Ils vont mourir. C'est désormais incontestable. Il voit déjà les masques à oxygène leur tomber dessus, et son ventre se tordre sous l'effet du crash imminent. Un sanglot, plus gros que tous les autres, se répand dans l'espace de l'appareil. Quelques visages se tournent vers lui. Ils ne sont pas très nombreux pour ce vol. N'y tenant plus, le bassiste passe ses bras autour du dreadé, espérant calmer un minimum ses angoisses.
-« Arrête ! C'est toi qui te mets dans cet état ! Tu te stresses tout seul ... tu n'as aucune raison d'avoir peur, regarde les hôtesses, elles sont quasiment vingt quatre heures sur vingt quatre dans un avion. » murmure-t-il doucement à l'oreille de son ami.
Certes. Mais ça ne change rien à la situation. Et ça ne va faire qu'empirer.
En d'autres circonstances, on l'aurait laissé sortir. Là c'est impossible. Parce qu'ils se doivent de partir aujourd'hui, que des interviews leur sont déjà programmées pour le lendemain matin, et un concert le jour suivant. En somme, il faut qu'ils partent maintenant. Et ce n'est pas la phobie d'un des membres qui va les stopper. Lorsqu'une légère accélération fait trembler l'appareil, le blond se sent frissonner de la tête aux pieds. Il a horreur de ça. C'est bien pire que n'importe quel manège à grande vitesse dans le monde. Là, il n'y a pas de rails de sécurité.
-« J'veux pas ... j'veux sortir, s'il te plait, je veux sortir ! » gémit-il faiblement en regardant Georg.
Difficile de ne pas craquer devant autant de détresse contenue dans un seul regard. Le bassiste ne sait plus quoi faire. Il savait bien qu'il aurait du laisser Gustav à sa place. Lui, au moins, il sait maîtriser toutes les situations catastrophiques. Mais Tom est son meilleur ami, et en ce moment, il vit tellement de choses difficiles ... jamais il ne se le serait pardonné.
-« Non ... tu as réussi à ne pas craquer des centaines de fois ! Tu vas y arriver. » dit-il, glissant ses mains sur ses joues mouillées « On a confiance en toi. Il faut que tu le fasses .... D'accord ? »
Le dreadeux referme les yeux, tentant de contenir ses sanglots. Georg tend le bras et abaisse le store du hublot, pour empêcher Tom de voir qu'ils sont sur le point de décoller. Ca ira mieux après. Du moins, il l'espère.
Le guitariste ne contrôle plus rien. Ni sa respiration, ni ses pleurs, ni ses tremblements ... c'est comme si son corps ne lui répondait plus. La seule chose à laquelle il peut se raccrocher à l'instant ... c'est la main de Georg posée là, sur l'accoudoir juste à sa gauche. N'est-ce pas horrible ?
Les petites secousses et l'accélération plus prononcée du décollage finissent par se faire sentir. Le cœur de Tom bat à une vitesse telle qu'il a peur que celui-ci s'arrête. Et personne autour de lui ne réagit, personne ne trouve ça horrible. Il se sent tellement seul dans sa peur, immergé au plus profond. Et même dans cette situation, il a honte. Sa phobie le répugne.
Lui qui doit jouer devant des milliers de personnes tous les soirs, et ce, sans fausses notes, avec le sourire ... a peur de prendre l'avion. C'est ridicule. Il ferme les yeux, tentant de penser à autre chose, espérant que tout ça va passer très vite. La peur installée au fond de son ventre ne cesse de grandir et un sanglot traverse ses lèvres contre son gré. Il ne peut pas. Il ne veut pas. Toute sa volonté le rend fou à ce moment précis. Il ne comprend pas qu'il doive faire quelque chose d'aussi ignoble ... pourquoi ?
Tout s'efface et se mélange. Il voudrait tellement être ailleurs. Des voix lui parviennent de la gauche, mais il est si concentré sur son souffle trop irrégulier qu'il n'y fait pas attention.
-« Monsieur ?! Qu'est-ce que vous faites ? Non, rasseyez vous ! Vous n'avez pas l'droit de vous lever ! »
La tête lui tourne alors que la gravité défailli. Le bruit d'une ceinture, des voix encore.
-« Ca va j'suis attaché ! »
Ses mains se crispent de plus en plus sur l'accoudoir ... il sent la montée que fait l'avion. C'est tellement angoissant ! Un nouveau sanglot franchit ses lèvres, le sang lui monte à la tête et les larmes aux yeux. Lui qui pensait ne plus en avoir, tant il avait pleuré.
-« Calme-toi ... tout va bien. »
La phrase chuchotée à son oreille résonne doucement en lui.
Une main longue et fine se noue à la sienne, tandis qu'une seconde lui caresse le bras. Un baiser atterrit sur sa tempe et il se sent serré contre quelqu'un. Il ne lui faut pas longtemps pour reconnaître l'odeur de son frère, celle qu'il aime tant. Il s'empresse de glisser son visage dans son cou, sanglotant faiblement tandis que l'avion continue lentement sa montée. De petits 'chuts' lui parviennent, et une main se perd dans ses dreads le couvrant de douces caresses.
Bill sent les tremblements de son frère contre son flanc. Il n'aime pas le voir comme ça. D'autant plus qu'il se sent coupable. Il lui en fait subir beaucoup ces temps-ci. Même si ce que Tom a fait lui semble impardonnable, il ne peut pas le laisser comme ça. Surtout après cette ... révélation plus que surprenante, et ... inquiétante. Ca fait des jours qu'il y pense. Et ça le rend craintif par rapport à son frère. Il ne sait pas comment il doit le prendre en réalité. Il n'arrive pas à savoir si Tom a dit le vérité, ou si c'était pour cacher autre chose ... malgré tout, la sincérité des ses propos était voyante mais ... c'est tellement ... incroyable !
L'avion se stabilise désormais, mais l'étreinte de Bill reste telle quelle. Le brun sait que Tom aura peur pendant un bon moment encore. Et il leur reste beaucoup d'heures de vol.
La peine et la honte causées par sa crise se mêlent comme deux menaces supplémentaires sur le cœur déjà meurtri de Tom. Il hait l'avion. Il le déteste plus que n'importe quoi au monde, et il est pourtant forcé de s'y confronter. Mais la douce présence de son frère commence à le calmer. Cependant, la crainte de le voir partir lui noue l'estomac. Il doit rester. Il le faut. Ses mains s'agrippent plus fermement à la taille de Bill pour remonter dans son dos, allant jusqu'à attraper ses épaules, pour plus de sûreté. Le chanteur ne peut retenir un petit sourire.
Il tente de s'installer un peu plus confortablement lorsqu'un petit signal sonore retentit, signifiant que la ceinture n'est plus obligatoire. Ses doigts quittent le corps de son frère pour détacher sa boucle. Tom émet un couinement dont lui seul a le secret, de peur que Bill ne parte maintenant. Etant donné la force qu'il met dans son étreinte, c'est peu probable mais la terreur qui l'habite règne en maître. Le brun soupire faiblement avant de se caler du mieux qu'il puisse dans son nouveau siège, risquant un œil vers les G's. Leurs regards inquiets se posent sur lui et il leur fait brièvement signe qu'il contrôle la situation.
Tom lève des yeux remplis de larmes vers son frère. Ses mains tremblent, son corps tremble. Il peine pour contenir ses sanglots. Il a beau tenter de se concentrer sur le joli visage de Bill qui lui adresse un regard compatissant, seules des pensées noires lui viennent en tête. Son frère soulève d'un coup l'accoudoir qui les séparait, et la main qui tenait encore la sienne l'attire un peu.
Il n'en faut pas plus à Tom pour se jeter dans ses bras. Toutes les occasions sont bonnes pour être tout contre Bill. L'amour qu'il a à son égard lui remonte en plein cœur. C'est si douloureux d'aimer son frère jumeau. Aucune discussion n'a encore commencé à ce propos et il la redoute énormément. Il a peur ... d'effrayer Bill au point de lui faire horreur. De le perdre ... il en mourrait certainement.
Sous le regard étonné des passagers qui avaient choisi le même vol en première classe, le brun continue ses caresses sur le corps tremblant du blond terrifié.
Ce n'est pourtant rien de plus qu'une étreinte fraternelle ...
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Le silence troublé de l'appareil résonne plus que bruyamment aux oreilles de Tom. Toujours pressé contre le flanc de son frère, il fixe distraitement les motifs de son t-shirt noir. Ses pensées perdues comme à leur habitude. Il ne sait pas comment va réagir Bill, mais le fait qu'il ne le rejette pas totalement le rassure beaucoup. Il est venu. Comme il l'a toujours fait, il est venu le protéger, lui retirer sa peur. Sa main agrippée au tissu ne s'ouvre pas, et ne le fera pas avant un bout de temps. Elle est constamment crispée, le rester un peu plus longtemps ne la gênera pas plus que ça.
Il renifle imperceptiblement, relevant les yeux. Georg et Gustav sont entrain de parler à voix basse, ce qui ne lui dit rien qui vaille. Il n'a plus confiance en beaucoup de gens. Et ça a toujours été le cas. Il s'est toujours débrouillé seul pour résoudre ses problèmes, par manque de confiance. Mais aujourd'hui, ses soucis se révèlent plus compliqués que prévu. Il voit les traits visiblement inquiets de Gustav, et Georg soupirer. Celui-ci tourne la tête vers eux, et sourit gentiment à Tom, qui baisse les yeux.
Il se sent tellement ridicule, et ce après chacune de ses crises. Mais ne pas savoir si Bill allait venir n'a pas vraiment arrangé les choses. Désormais, il n'a qu'une hâte : atterrir.
Une caresse dans son dos stoppe le flot de ses pensées, lui tirant un frisson. Il se sent un peu soulevé et relève les yeux jusqu'à rencontrer leurs homologues. Un sourire triste s'étire sur les lèvres de Bill.
-« Ca va mieux ? » murmure-t-il.
Tom retire une de ses mains pour essuyer ses yeux douloureux à force d'avoir trop pleuré, tout en acquiescant doucement. Son frère semble hésitant face à quelque chose qui lui échappe, mais il ne se trouve pas vraiment en état de réfléchir avec cohérence à cet instant.
Malheureusement, Bill en a décidé autrement.
-« Est-ce qu'on peut parler ... ? »
Sa question reste en suspend alors que leurs regards se fixent. Ils savent tous deux de quoi il retourne. Et rapidement, les joues de Tom prennent une teinte rosâtre. Il ne répond rien et détourne les yeux.
Bill s'installe de façon à cacher son frère et tourner le dos à la rangée de gauche.
-« Il faut que je sache ... il faut que tu m'en parles. C'est ... c'est trop important. » déclare-t-il, insistant.
Désormais assis normalement, Tom se triture les doigts, éprouvant un soudain et vif intérêt pour ses mains de guitariste. Un silence s'installe, pesant sur l'esprit du dreadé, et les nerfs du chanteur.
Ne le supportant plus, Tom finit par le briser par une question.
-« Qu'est-ce ... qu'est-ce que tu veux que je te dise ? » chuchote-t-il faiblement, la voix légèrement cassée.
-« La vérité. »
-« Mais ... c'est la vérité ! » gémit-il, désespéré que Bill puisse encore croire le contraire.
Il baisse brusquement les yeux, honteux. Le brun le fixe, chaque parcelle de son visage passant aux rayons x quasiment. Un air ahuri finit par s'appliquer sur ses traits.
-« Mais non ... non, tu ... non tu n'peux pas Tom ! Ca n'peut pas être la vérité ! »
Mais rien ne change, le dreadeux ne bouge plus d'un poil, détournant le regard partout ailleurs.
-« Tu te trompes ! »
La situation est déstabilisante.
Et pourtant, Bill connaît ça, les situations déstabilisantes.
Il en a vécu plus d'une. Mais jamais aussi grave. Jamais des situations qui remettent en cause sa vie de manière si radicale. Il avait toujours le choix avant. Là, on vient de lui poser un sentiment en pleine figure, qu'il ne peut pas contrôler.
C'est dur.
-« Tom ! » crie-t-il, légèrement trop fort.
Mais ce que tout l'monde pense de lui passe franchement après cette déclaration étrange. Le dreadé n'ose pas lever les yeux. Son frère attrape son bras et le secoue un peu, pour le forcer à lui dire quelque chose.
-« Je ... si, c'est vrai. » marmonne-t-il, sans savoir quoi faire d'autre.
Bill ne veut pas le croire.
Il ne veut pas croire qu'il l'aime plus que tout. Il ne veut pas croire qu'il est amoureux de lui. Peut-être ne veut-il simplement pas croire qu'il puisse savoir ce que signifient les mots 'amour et 'sincérité'.
-« Mais pourquoi ?! »
Tom réfléchi à peine quelques millisecondes à la question avant d'en rire. Un petit rire qui change vite pour s'amplifier. C'est certainement la question la stupide qu'on puisse poser à quelqu'un d'amoureux. Il regarde son frère, la tristesse et le désespoir rongeant son âme.
-« Tu crois vraiment que si je le savais j'aurais pas essayé de me débarrasser de mes sentiments ? » dit-il, méchamment.
Bill commence à l'agacer. Pourquoi ne veut-il pas le croire ? Pourquoi n'aurait-il pas le droit d'éprouver des sentiments pour quelqu'un à sens unique ? Qui n'a pas déjà vécu une telle situation dans sa vie ? Personne. Alors pourquoi pas lui ? Mais son frère semble complètement dépassé par les événements. Tom soupire faiblement. Son cœur bat toujours très vite, sa phobie mêlée à ses problèmes.
-« Je suis désolé. Je n'sais pas quoi faire. » murmure-t-il, sa voix se brisant à la fin.
Le silence oppressant revient. Pourtant pas mal troublé par les bruits des passagers, mais les jumeaux ne s'en aperçoivent qu'à peine. Tom tente de maîtriser ses émotions, face à sa peur, face à la future réaction de son frère. Il a envie de chialer.
Oui, encore. Et il n'en peut sincèrement plus.
-« Depuis ... depuis quand ? »
La gorge de Tom se serre.
-« Depuis trop longtemps ... » gémit-il faiblement.
Il se sent tellement mal. Pourquoi ne peut-il pas échapper à ça ? Sa ventre se tord douloureusement, lui tirant un rictus. Il soupire.
-« Précisément. » déclare le chanteur, d'une voix hésitante.
Il ne sait pas s'il est vraiment près à en apprendre plus. Ca voudrait tout simplement dire que depuis des mois, des années même peut-être, son frère le regardait différemment. Peut-être avait-il profité de la situation à de nombreuses reprises. Et ça répugnait Bill d'avance.
-« Cin ... cinq ans. » déglutit Tom, difficilement.
Bill contient mal un cri d'étonnement, qui serre le cœur de son frère. Rien. Il ne s'était rendu compte de rien.
La panique s'empare légèrement du brun, laissant les mots sortir sans même les contrôler.
-« Mais ... putain, pourquoi tu n'as rien dit ?! Pourquoi tu n'as rien fait ?! Mon Dieu, t'es vraiment dégueulasse Tom ! Combien de fois t'en a profité ?! » gémit-il, d'abord fort pour se raviser plus doucement.
La situation est tellement injuste.
La lèvre inférieure tremblante, le dreadeux se laisse aller dans son siège. Il en oublierait presque qu'il est dans un avion à destination de New-York. Il préfère ne pas répondre. Parce que oui, il en a profité. Pour le regarder, pour admirer chacun de ses traits, les connaissant par cœur. Pour le détailler chaque seconde, et ce même lorsqu'il dormait. Et surtout, pour être la personne la plus chère à son cœur sans avoir à le conquérir. Tom en avait effectivement profité. Et il avait également fait une énorme erreur, en une jolie soirée de juillet.
Faute qu'il payerait cher , mais plus tard .
Complètement désemparé, Bill assimile doucement la situation, se remémorant inconsciemment, tous les moments où il avait pu trouver les réactions de Tom excessives. Mais aucun d'eux ne lui semble si vicieux ou horrible. Les mains crispées sur son pantalon, il soupire doucement, tentant de retrouver son calme.
C'est tellement dingue tout ça ...
Il leur reste encore une demi-douzaine d'heures de vol. Bill se décide finalement à bouger, et lorsqu'il s'installe plus confortablement dans son siège, le regard des G's se pose immédiatement sur lui. Il ne dit rien et ne fait rien passer dans son propre regard, se contentant de fouiller dans son sac à la recherche de son mp3.
De l'autre coté, Tom fixe le sol en moquette, appuyé sur sa main gauche, cachant son visage.
Cachant en grande partie ses larmes naissantes.
Si seulement tout était différent ...
FIN DU CHAPITRE 13