Ces derniers jours ont été mouvementés. La presse people ne parle plus que de ça, de l'Europe à l'Amérique du Nord, en passant par celle du Sud. Les Tokio Hotel ont annulé à la dernière minute, mettant des centaines de fans à la porte et remboursant leurs billets, lors d'un concert à Chicago. Pourquoi ? Personne ne le sait encore, et les rumeurs vont bon train.
D'après certains magasines, Bill aurait perdu sa voix, et ne pourrait plus chanter. D'autres disent qu'un des membres du groupe est malade, plus précisément Tom, selon des sources. D'autres encore, plus médisants, se moquent en déclarant que les petits rockeurs avaient juste trop bu.
Et dans la petite sphère du groupe, rien ne va plus. David se fait des cheveux blancs à chaque seconde, passant son temps au téléphone avec les gérants d'Universal, criant parfois sans qu'on en connaisse la raison. A côté de ça, Georg et Gustav profitent de la situation à leur manière. Le second pour se détendre, le premier pour se ronger les ongles en pensant à ce qui les attend ... après.
Tandis que Bill presse son frère pour qu'il voie un médecin, et que le concerné grogne en refusant systématiquement. Il sait qu'il devra y passer, ne serait-ce que pour voir ... s'il peut se faire à l'idée. Mais il préfère reculer l'échéance.
Tout se bouscule et les jours passant, Tom se sent de plus en plus mal dans sa peau. Premièrement parce qu'il est à l'origine de tout ce tintouin. Deuxièmement, parce que des effets indésirables commencent à pointer le bout de leur nez.
Assis dans un canapé, légèrement penché vers l'avant, il fixe le sol, ne pouvant se résoudre à croiser le regard colérique de David. Il lui en veut affreusement, Tom le sait. Il croit que tout est sa faute s'il s'est évanoui comme ça, juste avant un gros concert.
Du bout des doigts, il saisit la visière de sa casquette et la visse un peu plus sur sa tête, se cachant partiellement. Il déteste cette situation ... à un point, inimaginable. Et c'est un peu ce qui modère son choix. Durant ces trois jours passés, depuis l'annulation du concert, il a eut le temps de réfléchir plus amplement.
Tout ça le met très mal à l'aise ... Il ne peut pas dire qu'il n'en a pas envie. En réalité, il ressent tellement de choses à la fois qu'il ne sait plus comment se comporter, ce qui serait déplacé ou pas. Il a envie de garder ce petit être, parce que c'est le fruit de son amour pour Bill, évidemment. En revanche, cet argument pèse aussi contre, dans la balance. Bill est son frère jumeau, il ne peut pas avoir un enfant de lui. Et ça serait une véritable galère médiatique, il faudrait qu'il se cache mais il y aurait forcément des fuites.
Il glisse sa main sur sa joue en soupirant faiblement. C'est tellement compliqué. Ça, combiné à sa découverte de ce matin, font que sa journée commence vraiment mal. Il est dix heures du matin, et David les a sommé de venir immédiatement pour convenir des différents plans à mettre en œuvre.
Debout devant la grande fenêtre de la chambre, il converse au téléphone d'une voix rapide et agacée, qui glace le sang de Tom, et fait circuler des ondes de stress à travers la pièce.
Le dreadé, si occupé à réfléchir et à tenter de décrypter les paroles de David, sursaute en entendant la voix de son frère près de son oreille.
-« Ça va toi ? »
Tom commet l'erreur de planter son regard dans le sien, si ensorcelant à ses yeux, et le baisse rapidement en soupirant.
-« Oui, pas la peine de me ressortir ton couplet. » grogne-t-il en faisant la moue.
Bill ne peut retenir un sourire face à la grimace de son frère, puis se renfrogne de son côté également.
-« Très bien. » déclare-t-il, faisant mine de se vexer.
Le chanteur tente de ne pas trop faire ressortir son côté affectif pour son frère. Il se doute qu'aimer à sens unique peut être vraiment douloureux, surtout quand on partage une certaine intimité avec la personne que l'on aime. Et, se contenir de cette manière, demande en réalité beaucoup plus d'efforts qu'il ne le pensait.
Mais pour rien au monde il ne voudrait blesser son frère, plus qu'il ne l'a déjà fait. Bien que leur passé soit peu glorieux, il ne peut pas lui faire de mal. Il s'en est bien rendu compte lorsqu'il jouait au méchant trois mois plus tôt. Voir Tom pleurer est certainement un des pires châtiments que l'on peut lui infliger. Et si c'est sa faute ...
Il détourne le regard vers David, toujours en grande conversation à la fenêtre et soupire lourdement avant de se redresser, faisant quelques pas dans la pièce. Il se rapproche de Georg, qui a l'air profondément enfoncé dans ses pensées. Néanmoins, celui-ci relève les yeux, en voyant apparaître le bout de ses baskets dans son champ de vision.
-« A quoi ça sert de nous faire lever si tôt, si c'est pour nous faire poireauter comme ça ? Tu peux m'le dire ? » dit-il, agacé.
Le bassiste sourit, compatissant, avant de baisser les yeux pour repartir dans ses réflexions profondes. Bill fait demi-tour, vexé de ne pas trouver d'interlocuteur, puis retourne finalement s'asseoir à côté de son frère dans l'espoir de le convaincre.
Georg jette de temps à autres de petits regards en direction de Tom, mais son air légèrement perdu ne fait que lui confirmer qu'il n'a pas encore pris de décision. Il faudrait qu'il voie un médecin, Bill n'a pas tort. Le mieux serait qu'ils puissent y aller seulement tous les deux, voire avec David. Georg se doute que Tom n'apprécierait pas la compagnie de personnes qui ne sont pas au courant de son ... problème. La situation est un vrai casse-tête.
Quelques mètres plus loin, Gustav observe aussi les jumeaux, son casque sur les oreilles. Il n'est pas si perdu qu'il en a l'air, dans tout ce bordel. Il a fait le lien entre les chicanes des deux frères et la maladie de Tom. Tout comme David, il pense que leur guitariste est entrain de faire un complexe ou un truc du genre, qui lui pose des problèmes d'alimentation. Ce qui expliquerait logiquement son malaise.
Il s'inquiète bien plus à propos de leur image, en réalité. Ce n'est en aucun cas de l'indifférence, mais il sait que Tom est entrain de s'incriminer tout seul dans l'histoire. Il s'en veut, c'est écrit dans son regard. Il faut régler ce problème au plus vite, avant qu'il ne s'empile au dessus de ceux que le dreadeux gère déjà.
Bill fait de petits yeux doux et une bouille mignonne à son frère, tentant de le faire céder. Ça n'a rien de très fair-play de sa part. Après tout, il sait qu'il est attirant à ses yeux - bien qu'il préfère l'oublier - et que Tom aura du mal à lui résister. Néanmoins, il se révèle plus fort qu'il ne le croyait.
-« Non ! J'ai dit non, c'est non. Je ne veux pas. » débite-t-il, détournant le regard pour ne pas voir le visage angélique de son jumeau.
-« Mais Tommiiii ! » gémit-il, à la fois excédé et triste, « fais-le pour moi ! Je n'supporte pas de te savoir malade, peut-être atteint d'une grave maladie ou je n'sais quoi ! Comment fais-tu pour l'ignorer ?! »
Tom soupire fortement, tentant de ne pas péter une durite, comme ça lui arrive ces temps-ci, puis déclare le plus posément possible :
-« Je n'ai pas besoin de voir un médecin, je vais très bien. »
Il insiste bien sur les derniers mots, et se cale dans le canapé, mal à l'aise avec une partie de son corps en particulier et tentant de ne pas la dévoiler aux regards inquisiteurs. Bill se tend un peu et jette quelques regards alentours avant de se pencher vers Tom, coupant la respiration de celui-ci. Ce rapprochement ne lui dit rien qui vaille, et il tire un peu plus son t-shirt vers le bas, évitant le contact avec sa peau.
-« Qu'est-ce que tu caches ? Pourquoi tu n'veux pas voir un médecin ? Ca ne t'engage à rien ... tu sais déjà ce que tu as ? Ou tu as peur qu'on t'envoie voir un psy ? » demande-t-il, les yeux rivés sur le visage de son frère, tentant d'y déceler une émotion à chacun de ses mots prononcés.
Tom se crispe faiblement, et lui jette un regard noir.
-« Je n'veux pas voir de médecin. » répète-t-il pour la millième fois.
Bill soupire fort et retombe légèrement en arrière dans le canapé et passant ses mains sur son visage.
-« Oui, ça j'avais compris. » dit-il sèchement.
L'ambiance devient étrangement tendue tout à coup, et Tom ne se décrispe pas, restant sur ses gardes, ses doigts trop serrés sur son t-shirt large - heureusement. Il fixe un point invisible devant lui, ne prêtant pas attention à ce qui l'entoure. Bill triture ses doigts, visiblement gêné par ses propres réflexions, puis fini par se pencher un peu à nouveau, la voix gutturale de David en fond sonore.
-« Tu sais Tommi ... tu peux me faire confiance. Ça fait des années que tu ne me dis plus rien ... » murmure-t-il, un peu tristement, « et ... la ... la dernière fois, je n'me suis pas enfui. Juste ... un peu éloigné, mais je ne te laisserais pas. »
Cela sonne comme une promesse solennelle, mais Tom ne peut pas lui accorder sa confiance sur tout. Le problème vient de Bill lui-même cette fois-ci. C'est lui qui perdrait sa confiance s'il lui avouait. Son cœur bat pourtant comme un fou à la déclaration de son frère. C'est tellement adorable.
Il passe sa langue sur ses lèvres, mordillant la supérieure sous l'effet de la gêne, et détourne les yeux. Il aimerait. Il aimerait tellement. Mais c'est impossible. Si les choses étaient différentes. Si Bill l'aimait autant que lui, alors oui, il lui avouerait ce qu'il s'est passé cette nuit du vingt-cinq juillet. Mais là, c'est une impasse.
Il entrouvre les lèvres, prêt à refuser son offre.
-« Bon, j'ai réglé quelques trucs avec le label, mais c'est quand même la merde. » s'exclame David en revenant vers eux.
Tom rougit en se renfrognant, évitant le regard de son frère qui attend sa réplique désespérément. Voyant qu'il ne veut plus parler, le brun soupire et lui glisse à l'oreille :
-« Je veux que tu m'en parles Tom, ne recommence pas à me cacher des trucs. »
David attrape une chaise et la place au milieu du petit salon de la chambre, s'asseyant dessus comme s'il venait de faire un marathon. Les G's se rapprochent à leur tour, occupant le canapé restant.
-« On va devoir faire vite, pour éviter toutes les rumeurs stupides qui circulent en ce moment même. J'ai prévu une interview cet après-midi, avec un magazine hyper connu dans le pays. Ça fera facilement circuler l'information. » déclare-t-il d'une voix plus posée qu'auparavant, « Officiellement, il y a juste eut un problème technique. On ne peut pas se permettre de faire peser le doute, sur une quelconque maladie que tu aurais. »
Il fixe Tom, une lueur de reproche dans les yeux. Le jeune homme préfère regarder ailleurs, ne supportant pas toutes ces accusations. Comment peut-il penser à garder cette petite source de problèmes vivante en lui, alors qu'un simple évanouissement lui vaut la perte de l'estime de son manager ? Observant ses doigts se lier et se délier, il écoute avec adoration la voix de son frère.
-« Qu'il a très certainement d'ailleurs, mais apparemment je suis le seul à m'en inquiéter ici. C'est bien. C'est intéressant de voir comme le label n'en a rien à foutre ... » s'exclame le brun, vexé et horrifié par ce manque d'implication.
David lui offre un sourire en coin.
-« Tu ferais mieux de ne pas parler trop vite. »
Tom relève brusquement les yeux, inquiet des événements qui suivront. Le bassiste s'y intéresse aussi fortement, jetant quelques regards au dreadé.
-« Mes supérieurs m'ont ordonné d'emmener ton cher frère chez le médecin. » énonce-t-il, avec lassitude et l'air pourtant heureux d'avoir cloué le bec de son chanteur un peu trop bavard.
-« Quoi ? »
Le manager reporte son attention sur Tom après avoir jeté un regard froid à Bill, qui lui rend aussi bien.
-« J'ai dit que je n'voulais pas ! » s'énerve-t-il.
C'est réellement une question de vie ou de mort. Et si ça ne l'est pas pour lui, ça l'est au moins pour le petit être lové au creux de ses reins. Que diront les gens ? Que diront ceux qu'il connaît ? Ces gens du spectacle et de la régie qui les suivent partout, avec qui il a déjà conversé ? Que diront David et Gustav ? Seront-ils dégoûtés ? Choqués ? Certainement. Et Tom voit déjà s'effondrer sa propre vie comme le sable balayé par le vent.
David le regarde avec un mélange de dédain et de nervosité.
-« Mais tu n'as pas le choix. Tu ne peux pas refuser après t'être évanoui comme ça, sans raisons valables. » déclare-t-il sèchement, « A moins que tu ne veuilles m'avouer que tu t'es shooté. » dit-il sournoisement, l'air agacé par son petit caprice de star.
La gorge nouée, Tom lui lance un regard empli de rancœur. Il ne va pas pouvoir l'éviter si ça continue. Mais il ne peut pas. Il n'est pas prêt pour ça.
-« Non. » énonce-t-il méchamment, le regard noir.
Le désespoir se répand une fois de plus dans son corps, sous l'œil complice de Georg qui observe son pauvre meilleur ami se faire laminer sans pouvoir réagir franchement. L'air satisfait d'avoir remis en place ses deux éléments perturbateurs, David sourit faiblement.
-« Très bien, je prendrais rendez-vous avec un médecin avant l'interview. Il vous suffira de vous excuser auprès des fans et de dire que le problème technique ne venait pas de vous ... tout devrait bien se passer. On publiera un démenti aux rumeurs et j'expliquerais plus en détails de mon côté. Vous n'êtes pas censé être au courant après tout. » dit-il fièrement.
L'estomac de Tom se compresse de secondes en secondes, sous l'effet du stress. Il ne veut pas voir un médecin le regarder avec des yeux écarquillés. Il ne veut pas l'entendre lui demander d'un air confus s'il a bien été un garçon avant. Il ne veut pas se voir étaler du gel sur le ventre comme dans tous ces films à l'eau de rose que Bill regarde. Et surtout, il ne veut pas qu'il l'apprenne.
Lorsqu'il relève les yeux, alors que David leur déclare qu'ils peuvent enfin rentrer dans leurs quartiers, son regard croise celui de son jumeau. Ses yeux noisette allègrement entourés de noir lui font l'effet d'un fer chauffé à blanc. Le faible petit sourire qu'il lui lance ne fait qu'achever chacune de ses convictions, l'enfonçant plus profondément dans deux choix bien distincts.
Garder ce bébé, c'est trahir ouvertement son frère, mais c'est aussi créer une vie de son amour pour lui. A-t-il le droit de gâcher ça ? Doit-il abandonner cet être répugnant ... ou garder ce cadeau de la vie ?
Il serre les dents et fait volte-face rapidement, s'apprêtant à aller se morfondre dans sa chambre. La rage remplace progressivement la peine. Il ne veut pas choisir. Il en est presque à se demander s'il ne doit pas jouer cette vie à pile ou face. Ses pas le mènent hors de la chambre, et il commence à parcourir les couloirs de l'hôtel pour retrouver la sienne.
Il ne peut s'empêcher de prier intérieurement pour avoir une attaque cardiaque dans les plus brefs délais. Cela lui permettrait au moins d'éviter toute cette situation ... Mais ses pensées dérivent immédiatement sur Bill, et il comprend que jamais il ne pourrait s'éloigner de lui.
Alors mourir ...
Dans la chambre qu'il vient de quitter, des négociations commencent entre le bassiste et son manager. Des négociations qui le concernent.
-« Mais bien sûr que je vais choisir un médecin de confiance, tu me crois assez bête pour ça ou quoi ? » dit-il, en riant faiblement, alors qu'il tape à une rapidité fulgurante quelques lignes dans un nouveau mail.
Georg le regarde avec suspicion. Il tente vainement de se trouver quelques arguments. Il va certainement devoir mentir pour y parvenir.
-« Tu comptes venir ? » demande-t-il finalement.
Le manager continue son petit récit avant de lever les yeux, perplexe.
-« Où ça ? »
-« Au rendez-vous ! » s'exclame le bassiste, comme une évidence.
-« Oh, oui sûrement. »
Georg grimace intérieurement. Si seulement ce mec cessait de s'incruster dans leur vie intime ...
-« Il vaudrait mieux que tu me laisses y aller avec lui. Seuls. » déclare-t-il, de façon un peu mystérieuse.
David lève un sourcil, amusé par son attitude, mais aussi étonné.
-« Et pourquoi ça ? Monsieur Tom va encore faire une crise sinon ? »
Le bassiste soupire, et finit par se rasseoir sur une chaise autour de la table. Il fixe un instant le vide, se faisant désirer consciemment.
-« Il ... ne va pas bien. Pendant un moment, il a ... pris la grosse tête tu vois. Et c'est entrain de lui retomber dessus. Il n'arrête pas de se poser des questions, du genre 'et si un jour ça s'arrête, qu'est-ce que j'vais faire de ma vie ?' ... enfin tu vois. C'est bien qu'il aille voir un médecin ... mais je pense qu'il a plutôt besoin d'un psy. » déclare-t-il, du mieux qu'il peut.
Mentir est un horrible défaut. Mais là, il en a grandement besoin. Tom ne s'en remettrait pas de voir David gâcher sa petite visite. Et lui non plus, par la même occasion. Le manager lui offre un regard à la fois surpris et légèrement attristé.
-« Je vois. »
-« Je fais de mon mieux pour le consoler, tu sais. Mais j'ai besoin d'être seul avec lui. Tu n'es pas indispensable pour le rendez-vous. Je veillerais sur lui. Ça suffira. » dit-il simplement, croisant les doigts mentalement.
David semble perplexe face à la situation, les choses se mettant en place progressivement dans son esprit.
-« Okay. Je te passe la main. Il m'énerve de toute manière. » soupire-t-il, se remettant au travail, l'air à nouveau concentré.
Si concentré, qu'il n'aperçoit pas le sourire vainqueur du bassiste qui ressort de la pièce.
~
Le fameux rendez-vous ne s'était fixé que pour le lendemain, et bien que Georg soit entré dans sa chambre un sourire jusqu'aux oreilles pour lui apprendre que David ne venait pas, Tom avait passé une nuit épouvantable - entre cauchemars et insomnies. Le réveil avait été dur.
Il est maintenant neuf heures quarante six, et la gorge du dreadé est si nouée qu'il n'a rien pu avaler, faisant geindre presque humainement son estomac. La salle d'attente est vide, et l'horloge ne cesse de cliqueter à chaque seconde. Il n'arrive pas à stopper sa jambe gauche qui tressaute follement sous le regard à la fois attendri et inquiet de son meilleur ami.
Ils ne devraient pas attendre très longtemps, le médecin les reçoit exceptionnellement seuls dans la matinée. La secrétaire pianote sur les touches de son clavier rapidement, ajoutant un bruit de plus à la cacophonie qui fait battre le cœur de Tom à une vitesse insupportable. Une main se pose brusquement sur sa cuisse droite.
-« Du calme. » murmure le bassiste, lui adressant un sourire sincère.
Le dreadé soupire pitoyablement, l'air abominablement stressé, lorsque la porte blanche qui leur fait face s'ouvre tout à coup. Le souffle du guitariste se coupe sous la surprise de voir apparaître une femme d'une quarantaine d'années, les cheveux remontés en queue de cheval et les traits doux.
Il ne s'attendait pas à ça. David n'a pas du chercher très loin.
Tom se sent gêné sans savoir pourquoi. Il pensait avoir à faire à un homme, vieux même peut-être. La quadragénaire s'approche, un sourire de circonstance accroché aux lèvres et lui tend une fine main.
-« Bonjour, vous devez être Monsieur Anderson. » dit-elle, d'un air convenu.
Tom bafouille un faible bonjour en répondant à sa poignée de main, observant la femme qui va découvrir son anatomie sous un angle un peu gênant. Elle jette un regard à Georg, le salue également puis se décale.
-« Entrez, je vous prie. »
Les jambes tremblantes, et le cœur battant, Tom se redresse doucement. Il aurait tant voulu éviter ce moment, et se cacher dans un trou de souris pour ne plus jamais en ressortir. Mais il ne peut pas. Il est là, et prie de toutes ses forces pour que la doctoresse ne prenne pas ses jambes à son cou en le voyant.
Ses pieds avancent tout seuls par automatisme, tandis que Georg le suit de près. La femme ne s'y oppose pas, et c'est tant mieux. Elle leur indique deux sièges posés devant un bureau en bois clair et simple, couvert de bibelots et cadres photos de toute sorte.
Tom ne cesse de s'imaginer les pires scènes possibles. Lui, fiché dans les magazines et journaux comme un monstre de foire. Lui, qui possède l'ADN de Tom Kaulitz mais n'est même plus un garçon. Lui qui devient entièrement une femme. Lui qui reste tel quel, et est montré du doigt dans la rue, devant des millions de personnes. Des salles de concert vides, où il errerait tout seul.
Sans son frère. Sans sa mère. Sans ses amis.
Les larmes se glissent sournoisement au bord de ses yeux, et Tom les ravale avec difficulté. Il a déjà passé la nuit à pleurer. Il ne veut pas que ça recommence. Pas maintenant.
La quadragénaire s'assoit derrière son bureau, leur souriant platement, et commence à parler dans un allemand impeccable sous leurs yeux ébahis.
-« Très bien, je suis le Docteur Moore. Votre manager m'a contacté hier, et expliqué brièvement la situation. Quoi qu'il vous arrive, je suis tenu sous secret professionnel vous savez, même si j'en avais envie, je ne dirais rien. Ça ne sortira pas de mon bureau, et votre identité est cachée. N'ayez pas peur de me communiquer le moindre de vos symptômes, ça ne peut que m'aider, si vous ne savez pas déjà ce que vous avez. » dit-elle professionnellement.
Tom ne peut s'empêcher de rougir, sachant déjà très bien ce que lui arrive. Il ne bronche pourtant pas, fixant ses doigts, qui jouent nerveusement les uns avec les autres posés sur ses genoux. Georg soupire en voyant l'état de son meilleur ami, et décide de s'exprimer à sa place.
-« Nous savons déjà ce que Tom a, et si nous sommes là, seulement tous les deux, c'est pour vous demander une faveur. » dit-il, légèrement angoissé.
Si jamais cela venait à sortir de ce cabinet ...
La doctoresse l'observe avec sang-froid, l'air parfaitement à l'aise.
-« Dîtes moi. » déclare-t-elle, souriant un peu plus franchement cette fois-ci, heureuse de pouvoir aider.
Le cœur de Tom se serre durement avant de battre à une vitesse vertigineuse. Telle qu'il doit se contrôler pour ne pas tomber en hyperventilation.
-« Tom ... a ... subi un changement, il y a quelques mois de cela. Je préférerais ne pas vous dire comment c'est arrivé. C'est seulement ... arrivé, et depuis, il a ... également, changé de ... condition. » énonce difficilement le bassiste, l'air perdu dans ses propres propos.
La femme le scrute un moment, avant de se tourner vers le dreadé, toujours aussi gêné, voire plus.
-« Pouvez-vous me le dire ... ou le montrer ? Ça ne m'en dit pas beaucoup plus. » dit-elle, prenant sur elle-même pour ne pas lâcher.
Ce genre de patient a de quoi être agaçant. Parler à demi-mot n'amène jamais à rien ...
Tom rougit fortement, à l'idée même d'en parler. Lui qui n'a jamais été très à l'aise avec les mots, commence à sentir la veine qui palpite dans sa tempe gauche, lorsqu'il se redresse doucement, regardant partout ailleurs que dans les yeux de la femme.
-« Où est-ce que je peux ... ? » demande-t-il faiblement, l'air terrifié.
La doctoresse semblant comprendre, lui désigne l'autre partie de la pièce, coupée par un paravent. Le dreadeux rougit encore plus, se sentant bête de ne pas avoir remarqué, et se glisse lentement derrière. Georg soupire tristement, compatissant avec l'état pitoyable du pauvre Tom qui ne sait visiblement plus où se mettre.
Il adresse un regard à la femme, qui semble assez perplexe face à la situation. Néanmoins, elle garde un calme olympien. Elle ne sait pas encore à quoi elle va avoir à faire.
Une minute passe avant que la voix grave de Tom ne résonne à nouveau.
-« Vous ... pouvez venir. »
C'est plus un murmure qu'une affirmation, mais la doctoresse se lève, sans aucune inquiétude. Elle s'attend à des croûtes, des plaques, des boutons. Peu importe, peut-être quelque chose de honteux : un appareil génital rétréci, une orchite, une cryptorchidie ... Mais, elle ne s'attendait pas à ça.
A peine est-elle passée de l'autre côté du paravent qu'elle s'est stoppée, l'air complètement ébahie.
Malgré son air convenu, elle sait très bien qui sont ces jeunes gens. Ils commencent à être connus, et sa fille n'a pas cessé de lui en parler depuis quelques mois. Alors, effectivement, elle ne s'attendait pas à trouver un sexe féminin là où il ne devrait pas y en avoir.
Les joues plus enflammées que jamais, Tom ne résiste pas, ses mains crispées sur sa veste, il la rabat rapidement sur le bas de son corps. C'est si désagréable d'être un monstre.
Il ravale douloureusement ses sanglots. Il savait que ce moment allait être horrible. La doctoresse marque une pause, puis s'approche doucement, réfléchissant à toute vitesse. Les secondes défilent rapidement, alors que le dreadé fixe le coin de la pièce formée par le paravent.
-« Quel est votre problème ? » demande-t-elle doucement.
Tom relève les yeux, étonné par ses propos. Elle ne semble plus choquée, mais concernée. Son souffle s'accélère, et il ne peut empêcher ses sourcils de se froncer, mais se reprend au dernier moment.
-« Vous ne me demandez pas ... comment ? »
Un petit sourire en coin se forme sur les lèvres de la quadragénaire.
-« Votre vie privée ne me regarde que si vous avez besoin de m'en parler. » énonce-t-elle simplement.
La perplexité s'empare de Tom qui l'observe avec incompréhension. Que veut-elle dire par là ? Qu'il aurait choisi ... de changer ? Sa bouche s'ouvre légèrement sous la surprise, et Georg surgit à sa gauche brusquement.
-« Tom a fait un test. » dit-il rapidement, s'apercevant que le jeune homme s'apprêtait à débiter un long discours inutile sur son soudain changement impossible.
La doctoresse lui adresse un regard, attendant la suite des événements. Elle a l'impression de jouer un jeu de piste, et ça faisait longtemps qu'elle n'avait pas reçu de curiosité médicale. Or le dreadeux semble en être une parfaite, mais elle ne sait pas encore à quel point.
Le blond baisse à nouveau les yeux, rougissant. Sa condition le rend extrêmement mal à l'aise. Comme s'il était si différent des autres, que personne ne pouvait plus le comprendre ... ou l'aimer à sa juste valeur.
Georg inspire fortement. Il est aussi stressé que Tom, c'en est presque incroyable.
-« Un test ... de grossesse. » finit-il difficilement.
Il aurait aimé ne plus jamais avoir à dire ça, et à en parler. Le dreadé se crispe brutalement à l'énonciation de ces mots douloureux. Ils lui font mal parce qu'ils lui rappellent trop de choses. Un moment horrible de sa vie qu'il est content d'avoir surmonté. La doctoresse semble un peu étonnée cette fois-ci.
-« Je présume que si vous êtes ici ... c'était ... »
-« Positif ... » murmure Tom, en complément.
Encore un mot qu'il rayerait de son vocabulaire avec plaisir.
La femme l'observe quelques instants, et finit par craquer.
-« Vous pouvez m'expliquer avec plus de détails s'il vous plait ? Je peine à comprendre comment vous avez pu vous retrouver dans cet état ... vous avez pourtant bien subi une opération non ? » demande-t-elle, réfléchissant rapidement.
Le dreadé ouvre la bouche en inspirant, mais Georg le coupe.
-« Tom. » dit-il, menaçant.
-« Mais je -» tente-t-il une nouvelle fois.
-« Non ! » s'écrie le brun, ne voulant pas faire passer son meilleur ami pour plus fou qu'il ne peut le paraître.
Tom lui lance un regard noir et déclare d'une voix énervée :
-« Je n'ai pas subi d'opération, et je n'ai pas voulu ça ! » s'exclame-t-il, fortement agacé.
Georg soupire lourdement, espérant que le ciel ne leur tombe pas sur la tête après ça. La doctoresse assiste à la petite crise du jeune blond et ne retient pas un faible sourire, se rappelant elle-même de ses colères hormonales.
Les arguments de Tom ne valent pas un clou, ce qui lui fait penser que celui-ci n'accepte pas sa nouvelle condition. En réalité, elle vient tout juste de comprendre ce qui a du se passer et se sent rassurée. Elle en parlera avec l'autre garçon, qui semble être un tiers assez coopératif, au contraire de Tom.
-« Très bien, très bien. N'en parlons pas plus, concentrons nous sur le 'problème'. » dit-elle, peu convaincue sur le fait que ce soit un problème.
Le dreadeux se tait brusquement alors qu'elle pose ses mains sur ses bras, le forçant à se coucher sur le fauteuil d'examen. Il rougit tout aussi vite lorsqu'elle commence à retirer sa veste, qu'il retient fortement.
-« Georg ... » murmure-t-il, gêné.
Le brun lui adresse un dernier regard, les sourcils froncés lui faisant bien comprendre de ne pas dire n'importe quoi, et quitte la pièce fictive.
Elle lui sourit doucement pour le rassurer, mais Tom est carrément mort de peur à cet instant. Et de honte, surtout. Ses fins doigts glissent sous son t-shirt qu'elle soulève un peu, faisant rougir le dreadé un degré qu'il n'avait encore jamais exploité.
Depuis qu'il a découvert sa grossesse, c'est-à-dire à peine trois jours plus tôt, il a l'impression qu'un système s'est mis en marche. Un rouage qui ne lui plait pas du tout.
-« Tout à l'air normal pour le moment. Vous connaissez la date de conception ? » demande-t-elle de façon plus automatique qu'autre chose, car la plupart des parents n'ont aucune idée de celle-ci.
Si bien qu'elle sourcille en entendant Tom lui répondre faiblement :
-« Oui ... c'était le vingt-cinq juillet. »
Il ferme finalement les yeux, ne sachant plus où se mettre, espérant même disparaître de cette pièce et retourner près de son frère. La doctoresse compte rapidement les mois, puis rajoute des semaines.
-« Très bien, ça fait donc ... quasiment quinze semaines. » dit-elle, plus à elle-même qu'à Tom.
Ses yeux balayent doucement le bas du corps devant elle, qui se met à trembler légèrement pour en rajouter à sa respiration courte.
-« J'ai quelques bases en gynécologie, mais je ne suis pas spécialiste en la matière. Je ne vais pas vous être d'une grande aide, cependant, tout m'a l'air parfaitement normal. » dit-elle finalement, rendant sa veste à Tom qui n'hésite plus à se cacher, honteux.
-« Mais vous savez aussi que vous ne pouvez plus agir à ce stade de la grossesse ? » demande-t-elle, jetant un regard entendu au dreadeux qui se redresse en réajustant son t-shirt.
Celui-ci acquiesce doucement, n'attendant qu'une chose : être seul pour pouvoir s'habiller le plus rapidement possible.
-« Bien. »
Elle sourit et quitte la petite pièce fictive. Tout à coup, Tom s'aperçoit qu'il aurait aimé qu'elle puisse lui faire une échographie. C'est ce qui lui faisait le plus peur à l'idée de venir ici, mais en même temps, il n'a pas envie de repartir sans savoir. Pourtant, la doctoresse ne semble pas avoir le matériel requis, et sa gorge se noue, tandis qu'il passe ses vêtements.
Des chuchotements lui parviennent de la pièce d'à côté, mais il préfère se perdre dans ses pensées, plutôt que d'écouter Georg débiter des mensonges sur sa condition. Il ferme à nouveau les yeux, soupirant pour s'empêcher d'avoir une nausée due au stress. Son bras glisse autour de sa propre taille, se serrant contre lui, et il peine à réfréner ses tremblements.
Tout est entrain de changer dangereusement dans sa petite vie de rockeur.
A commencer par son corps ...
Il retire doucement son bras, laissant sa main glisser sur son bas-ventre, là où un léger gonflement est apparu ces derniers jours. Tom se sent désorienté à la vue de ce faible arrondi sous son t-shirt, et ferme les yeux précipitamment, ne voulant pas l'observer plus longtemps.
Il retire rapidement sa main et descend du fauteuil d'examen. Il ré entre dans le bureau, dérangeant visiblement la conversation de son meilleur ami avec la doctoresse, et s'assoit dans le fauteuil, soupirant doucement.
Celle-ci se racle légèrement la gorge et lui pose une série de questions sur ses symptômes, incluant l'évanouissement pour lequel il était là, à la base. Tom répond faiblement à chacune d'entre elles, à la fois gêné et déçu. La consultation se termine donc rapidement, par une poignée de main et un « bonne chance » lancé à la sortie.
Les deux jeunes hommes entrent rapidement dans l'ascenseur, indiquant le rez-de-chaussée. Une main se pose doucement sur l'épaule de Tom et la serre affectueusement.
-« C'était si terrible que ça ? » murmure-t-il.
Le dreadé soupire faiblement comme seule réponse, et le bassiste sourit tristement.
-« Je ... sais que ça n'a rien d'agréable pour toi, que tu n'as pas voulu changer, mais ... tu dois faire croire que si. Même si tu n'en as pas envie. Sinon tout le monde va te prendre pour un fou ! Surtout les médecins qui sont si pragmatiques ... » dit-il en faisant la moue, « C'est de ça dont je parlais avec elle tout à l'heure. Elle m'a même offert un mensonge tout fait ... si tu décides de le garder, bien sûr. » finit-il, plus doucement.
Tom soupire une seconde fois, fixant le sol alors que l'objet métallique descend les étages un par un, à une vitesse un peu plus rapide qu'au démarrage. Il est perdu, dans sa propre vie.
Et ça n'est pas prêt de s'améliorer. Car quelques minutes plus tôt, dans ce cabinet de médecin, il a prit la décision la plus importante de toute sa vie.
-« Je le garde. »
FIN DU CHAPITRE 16