C H A P I T R E * 14



Un regard plein d'incompréhension dans le miroir. Une main qui effleure la peau du ventre puis celle de la joue, et un gros soupir, à l'origine poussé par le stress. Deux semaines que les Tokio Hotel sont aux Etats-Unis. Et même si tout ne se passe pas tout à fait comme ils l'auraient souhaité, ils remportent néanmoins un succès considérable. Un coup frappé à la porte de sa chambre dérange le dreadeux dans sa contemplation inquiétante. Il quitte la salle de bain pour la pièce principale et attrape négligemment t-shirt plus baggy dans sa valise éventrée au sol. Leurs cinq concerts précédents se sont merveilleusement bien passés et ils se sont éclatés. Se faire rappeler par la foule avec un accent anglais ... rien de meilleur.

Mais pendant ces longues semaines, d'autres choses sont arrivées. Bien moins enthousiasmantes. Qui, parmi toutes leurs fans, sait que le chanteur du groupe évite scrupuleusement son frère durant les backstages ? Une fois habillé, le guitariste abaisse la poignée, faisant entrer deux jeunes hommes du service et plusieurs plateaux chargés de nourriture en tout genre. Il est onze heures, mais le petit déjeuner est encore disponible. Heureusement car, ici, ils ne sont pas encore assez connus pour avoir droit à des faveurs.

-« Posez-les là, merci. » déclare Tom, d'une voix légèrement éraillée.
Il se laisse tomber sur un des canapés, et attrape sa tête de ses longues mains, soupirant un grand coup, signifiant par la même occasion que le room-service n'aura pas de pourboire. Les jeunes hommes quittent la chambre sans plus d'explications, et la porte claque légèrement, mais le dreadé n'est pas en état de faire des constatations. Ces derniers jours, il s'est posé énormément de questions. Que ce soit à cause de son corps, ou du manque de contacts avec son frère.

C'est cruel. J'vois pas d'autres mots pour définir ce que la vie me fait vivre. Je suis une star, en passe de devenir internationale, et je suis ... une espèce de transsexué sans l'avoir demandé. J'ai franchement de la chance. Je répugne mon propre frère. Il ne m'a pas adressé la parole de son plein gré depuis la discussion dans l'avion. Je me sens seul. Pourtant, je sais bien que Georg est là. Même très souvent ... mais ça ne suffit pas ... j'ai confiance en lui, certes, mais pas assez pour lui parler de tous mes problèmes. Que dirait-il en apprenant que je suis à moitié une fille ? J'ai tellement peur de tout ça. Ca m'a blasé l'espace de quelques mois, mais maintenant ... maintenant ... je n'sais pas, il y a ... quelque chose qui ne va pas. Encore moins qu'avant. Il y a vraiment quelque chose qui cloche chez moi. J'ai peur de savoir quoi ... et pourtant je n'devrais pas ! J'ai ... j'ai fait le test ... Mon Dieu, si seulement ça pouvait être autre chose !

Tom sursaute en entendant un nouveau coup frappé à la porte. Il soupire pour expulser le stress qui accapare toute son attention en ce moment, et se redresse, prenant la direction de la porte. Une fois celle-ci ouverte, quatre garçons entrent lui adressant un bonjour matinal. Tous sauf un, bien entendu. Bill ne jette pas un seul regard vers son frère, trop occupé à rapporter une conversation qu'il a eut avec un des gars du staff à David.

Les autres n'ont pas l'air dérangé par le froid qui s'est créé entre les jumeaux. A vrai dire, ils y sont plutôt habitués. Non pas que ça ne les tienne pas à cœur, au contraire, ils sont peinés par la situation. Mais qu'y peuvent-ils ? Pas grand-chose. Cette histoire de famille ne les concerne que si les protagonistes leur demandent. Les garçons se jettent littéralement dans le petit coin salon de la chambre, et prennent place, prêts à manger. Tom soupire imperceptiblement, et se rapproche, l'air fatigué et las.

Souriant avec compassion, Georg tapote la place libre à côté de lui. Il a bien remarqué que Tom allait vraiment mal ces temps-ci, et il a même essayé de lui soutirer quelques informations. Mais ... rien à faire, Tom reste muet face à sa peine. Celui-ci s'assoit lourdement à ses côtés, et se laisse aller dans le canapé.

-« Alors les gars ... » commence David, tentant de capter l'attention de la table.
Chose difficile, car c'est bien connu, les garçons n'écoutent pas quand ils mangent. On ne peut pas tout faire à la fois. Même Tom, qui reste pour l'instant le seul à ne pas se délecter d'un croissant ou autre, semble passionné par la couleur de son t-shirt. David inspire lentement, et déclare :
-« Bon, ce serait trop vous demander de, simplement me regarder au moins ? Que j'ai l'impression d'être un être vivant ! »
Des grognements lui parviennent, et les regards se fixent finalement sur sa personne. Leur manager est assez imbu de lui-même, ce n'est pas rien de le dire.
-« Okay, c'est mieux. Vous avez intérêt à m'écouter, car la journée et longue. Donc, aujourd'hui, on a deux interviews à quatorze heures et ... »

Sa tirade continue, plus pour lui-même que ses protégés, car la plupart du temps, ils ne se rappellent pas de tout, et lui redemandent sans cesse où ils vont après. Néanmoins, ça l'occupe, et sa voix est même devenue soporifique pour certains d'entre eux. Si bien que Georg se rendormirait s'il n'était pas entrain de manger une pomme. Son voisin de canapé ne va pas tarder à piquer du nez. La fatigue accumulée se fait sentir. Tom ne dort plus sainement depuis quelques semaines.

Depuis qu'il a des doutes, ... qui s'avèrent de plus en plus inquiétants. La peur lui tient le ventre chaque nuit, moment le plus propice à la réflexion. Et lorsqu'il dort, c'est pour mieux se réveiller d'un cauchemar affreux, et récurrent. En d'autres termes, Tom est épuisé. Et personne ne s'en rend vraiment compte. Tout le monde sait qu'il va mal, psychologiquement, mais physiquement, ça se remarque à peine. Si ce n'est ... un petit problème de poids que personne ne peut vraiment voir. Mais que Tom considère avec angoisse. La nuit dernière lui a apporté une preuve de plus qu'il aurait aimé ne jamais connaître. A ce souvenir, sa peau frissonne, et il se crispe un peu.

Le monologue de leur manager est interminable et Tom n'arrive pas à se concentrer dessus. Pourtant, il ferait tout pour oublier sa dernière pensée. Il manque de sursauter, lorsque Georg tend un croissant devant ses yeux. Il lui offre un petit sourire et prend l'objet avant de mordre dedans, avec cet appétit insatiable et intarissable qu'il possède. Il lève un peu les yeux et rencontre malencontreusement le regard de son frère : insensible et froid. Il pince les lèvres sans pouvoir s'en empêcher et détourne bien vite les yeux au profit de David. La journée risque encore d'être longue ...

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-« Tom ! Ohé ! »
Le dreadeux ouvre difficilement les yeux pour découvrir le visage amical du bassiste. Il grimace, le mal de tête s'insinuant lentement dans son crâne.
-« Quoi ? » geint-il doucement, en s'étirant.
-« Bah on est un peu arrivés à l'hôtel, mais bon, si tu préfères dormir là ... » taquine Georg en souriant.

Tom passe sa main sur son visage, et appuie un peu sur son front, espérant vainement faire partir le mal. Il se redresse un peu et regarde autour de lui, légèrement hébété de son petit somme. Son meilleur ami regarde la scène avec agacement.

Même si ça n'a jamais été vraiment une pensée partagée, Georg s'est toujours senti une espèce de grand frère protecteur pour Tom. Certes, il n'en a pas vraiment eu besoin les années précédentes. A cette époque, le dreadeux se la jouait gros dur, sans sentiments. Mais visiblement, la carapace s'est fissurée. Georg pensait que les choses allaient être différentes après ça. Effectivement, c'est le cas. Mais pas dans le sens où il l'aurait espéré. Il soupire et quitte l'habitacle, se tenant près de la portière en attendant Tom. Celui-ci apparaît, l'air plus éreinté que jamais. Georg comprend à cette simple vue, qu'il doit absolument parler à son meilleur ami. Tom est entrain de se détruire.

Il tapote amicalement son dos, et le pousse à avancer, tirant un petit sourire au dreadeux. La tournée ne fait que commencer, et Tom envisage, certes avec peur, mais également beaucoup d'ironie tout ce que lui fait subir son corps en ce moment. Il a encore une dizaine de dates de concerts éparpillées sur trois mois, et des trentaines d'interviews en tout genre, avec photoshooting. Les derniers étant les plus contraignants. Son problème de poids commence à l'incommoder pas mal. Autant qu'il l'effraie en tout cas.

Tous deux traversent le hall vide, Tom en tête. Le bruit de leurs pas résonnant dans l'espace. Ils récupèrent leurs clefs à l'accueil et se dirigent vers l'ascenseur. Tom fonctionne complètement par automatisme. La journée a été épuisante. Toutes ces interviews où les journalistes, présentateurs radios et télés n'ont cessé de lui poser des questions toutes plus bêtes les unes que les autres ... assommantes. Combien aurait-il donné pour, ne serait-ce que passer la journée au lit ? Des milliers ?

Tom se pose sur le mur en attendant l'ascenseur, les yeux fermés. Il serait capable de se rendormir là. Peut-être. Si son ventre ne le rappelait pas à l'ordre avec un gargouillement un peu sonore. Il grimace. Un rire lui parvient et il rougit sans pouvoir s'en empêcher. Il rouvre les yeux, et son regard se pose sur Georg qui lui sourit, amusé. Tom soupire, et s'apprête à parler mais l'ascenseur ouvre ses portes, le faisant renoncer à sa répartie du même coup. Georg tend son bras, lui intimant d'entrer avec galanterie, riant lui-même de son geste. Sans qu'il s'en aperçoive, Tom rougit mais entre.

Chacune des blagues bidons faîtes par les gars le renferme un peu plus sur lui-même. Il se sent tellement ... différent à présent. Son corps lui montre, son esprit, lui, en prend à peine compte. Pourtant oui, Tom est différent. Il l'a toujours été. Comme tous, il est unique. Aujourd'hui, il est juste un garçon coincé dans un corps de plus en plus ... féminin. Tom lui-même, a du mal à le nier. Le temps qu'il passe dans la salle de bains est chaque jour un peu plus court, tant il fuit son miroir.

Ils traversent plusieurs couloirs, suivant les indications des panneaux. L'hôtel est luxueux et bien gardé. Saki et leurs gardes du corps ont été congédiés pour la soirée. Tom fixe le numéro de la chambre, plissant les yeux. Il jette un œil sur sa propre clef et soupire. Oui, c'est bien le numéro quarante-deux. Mais, l'espace d'un instant, il a cru qu'il était bourré tant il était difficile de se concentrer sur le chiffre. La fatigue peut être effrayante parfois. Ce n'est d'ailleurs qu'à ce moment, alors qu'il tournait la clef dans la serrure, qu'il s'aperçu de la présence de son meilleur ami, toujours derrière lui, observant chacun de ses gestes.
-« Qu'est-ce tu fais encore là ? » demande Tom, sans prendre la peine de réfléchir.

S'il n'arrive plus à lire, il ne va pas se poser de questions. Georg sourit et pousse le dreadeux dans la chambre, allumant la lumière et fermant derrière lui. Tom ne demande rien de plus et s'assoit dans le premier fauteuil qu'il trouve, détendant doucement ses muscles et frottant son visage en gémissant. Il est à bout. De quoi ? De forces, d'idées, de courage, de persévérance ... De tout en somme.
-« Ca ne va pas. »

La déclaration résonne dans la pièce.
Tom inspire fortement avant de soupirer de la même façon. Georg le sait.

Bien sûr qu'il le sait ... c'est mon meilleur ami. Il me connaît depuis des années, et peut-être mieux que Bill en ce moment. J'aimerais lui parler. J'aimerais tellement ... mais je ... je n'peux pas me permettre de le perdre lui aussi é_è Je n'peux pas ...

Tom reste silencieux, n'osant pas retirer ses doigts de son visage. Une main atterrit sur son genou.
-« Dis-moi ce qui ne va pas Tom. Je veux savoir. J'en peux plus de te voir crever de fatigue. »
Le dreadé se tait, mais ne peut s'empêcher de mordiller sa lèvre.

Sa tête lui fait si mal, cette veine qui bat dans sa tempe. Il n'a qu'une envie, que ça s'arrête. S'endormir pour être débarrassé de ses problèmes. Malheureusement, même le sommeil n'est plus son allié. Ses cauchemars récurrents ne lui sont d'aucune aide. Ils ne font que lui montrer ce qui arrivera dans quelques mois.

-« Ca va ... »
La voix tremblante de Tom ne joue pas vraiment en sa faveur.

Les sourcils froncés, Georg fixe son ami. Le guitariste ne s'en rend peut-être pas compte, trop accaparé par ses propres soucis, mais il est entrain de rendre les autres nerveux. Surtout Georg, qui ne supporte plus de voir que Tom ne lui fait pas confiance.

-« Tu ne dupes personne. » déclare le bassiste, sèchement. Il s'assoit sur le fauteuil juste à côté, qu'il rapproche pour être en face de Tom. « Et je ne bougerais pas tant que tu ne m'auras pas dit ce qui te mets dans cet état. J'ai besoin de savoir. »
Le silence pesant qui suit cette déclaration aura raison du dreadeux.

Lui-même s'en aperçoit quand la voix de Georg s'éteint. Le stress lui monte à la gorge et l'envie de parler l'écorche fortement. Mais il ne peut pas. Sa raison lui hurle de se taire. L'impression qu'un combat monstrueux prend place en lui, finit par le faire réagir. Ses mains quittent son visage pour s'abattre sur les accoudoirs qu'il serre brutalement. Il a tellement envie de frapper à cet instant. Il tente de calmer sa respiration bloquée en soufflant doucement. Georg s'étonne de sa réaction, et reste inactif, ne sachant s'il doit faire quelque chose ou pas. Mais Tom se calme tout seul de cet excès de colère. Et puis comme d'habitude, la tristesse la plus profonde s'abat sur son esprit. L'envie d'un suicide lui vient même en tête. Lui qui disait aimer la vie au point de ne jamais y penser. Ses changements d'humeur le rendent malade. Presque plus que ses nausées.

Il adresse enfin un regard criant de détresse à son meilleur ami qui se sent complètement déboussolé. C'est d'une voix tremblante que Tom finit par supplier :
-« Aide-moi. J'en peux plus ... j'en peux plus ! »

Il tente de contrôler son humeur mais c'est peine perdue. Il va encore pleurer.
Pour la onzième fois cette semaine.

Georg regrette tellement d'être entré dans sa chambre ce soir. Il pensait pouvoir maîtriser les choses. Mais voir Tom pleurer le met extrêmement mal à l'aise. C'est un peu comme si les poules avaient des dents. Le dreadé est le garçon le plus résistant qu'il connaisse, et le voir flancher à ce point est vraiment déstabilisant pour lui. Il se doit de l'aider. Il vient de le lui demander. Et c'est déjà un grand pas en avant.

-« Explique-moi. Je dois tout savoir pour pouvoir t'aider, Tom. » dit-il doucement.

Tom a l'air perdu. Il a envie de parler. Mais par quoi doit-il commencer ? Tellement de choses sont arrivées. Qu'est-ce qu'il doit cacher ou avouer ?
Il se tord finalement les doigts, regardant le sol, cherchant du courage avec difficulté.

-« Je ... je n'sais pas par quoi commencer. » dit-il, quelques sanglots dans la voix.

Il ne sait même plus pourquoi il pleure, mais il ne peut s'en empêcher. Il est fatigué, et aurait préféré dormir plutôt que passer cet interrogatoire, mais en un sens, il veut partager son lourd fardeau avec quelqu'un. Peu importe l'épuisement.

Georg réfléchit quelques secondes, cherchant ce qui lui parait le plus troublant et qu'il veut absolument éclaircir. Il sourit faiblement et cherche une façon de formuler ses questions.
-« Est-ce que tu ... sais pourquoi tu manges autant ces temps-ci ? » demande-t-il lentement, de sorte à ne pas effrayer Tom.

Mais la question le braque instantanément, et le fait rougir sans que le bassiste comprenne pourquoi.
-« Je ... je ... »

Il doit répondre, car oui, il le sait.
Mais il ne veut pas l'admettre lui-même, alors l'affirmer à quelqu'un d'autre ...

-« Eh, ne panique pas. Je n'vais pas partir en courant, rassure-toi. » plaisante doucement Georg.

Tom acquiesce, comme un enfant et avale difficilement sa salive. Et puis, une phrase simple lui vient à l'esprit. Celle qui a tout gâché dès le début. Et elle doit sortir, parce qu'elle est la cause de tout.

-« Je suis une fille. »

Le temps semble s'arrêter pour Tom. Il se repasse l'instant dans sa tête une dizaine de fois, et finit par tourner le regard vers Georg, qui le fixe avec étonnement et patience. Comme s'il ne croyait pas ce qu'il venait de dire, mais ne lui en tenait pas rigueur parce qu'il était déjà assez secoué comme ça. Oui, après tout, ça peut paraître normal que Tom dise ça, vu le degré de terreur qui habite son regard. Il a parlé sans vraiment en avoir conscience et a raconté n'importe quoi. Parce que ... ça ne peut pas être vrai ce qu'il vient de dire. A cet instant, Tom lui-même doute de ce qu'il est.

Mais tous les souvenirs ancrés dans sa mémoire sont bien vrais. Le moment lui parait franchement risible, ridicule même. Pourtant c'est vrai ! Il voudrait le hurler au monde entier pour que tout le monde sache qu'il a subit une transformation miraculeuse. Mais si Georg, son meilleur ami, ne le croit pas ... qui le fera ? Non, il ne doit pas perdre espoir ! Il doit le croire. Tom a tellement l'impression de devenir fou. Et le sang qui bat dans sa tempe. Ses doigts se posent sur celle-ci. Il soupire, relève les yeux vers le bassiste.

Et c'est d'une voix claire et nette qu'il déclare solennellement :
-« Je suis une fille. » répète-t-il une seconde fois.

Georg parait beaucoup moins sûr de lui, mais sourit imperceptiblement. Il est vrai que c'est amusant de voir un garçon dire ça d'une manière aussi convaincue.

Tom soupire et prend se tête entre ses mains, tentant de calmer le mal.
-« Tu n'me crois pas ... » déclare-t-il, déçu.
Il re-fixe son regard sur son ami.
-« Tu dois me croire Georg ... même si c'est difficile à avaler. Je suis une fille. Je suis devenu une putain de fille et je n'sais pas comment, mais c'est arrivé ! »

Le bassiste le regarde avec étonnement. Comment peut-il dire ça ? Est-ce que c'est une blague ? Georg se sent vexé tout à coup. Il veut venir en aide à Tom, et celui-ci s'amuse à lui faire croire des bêtises.

-« Ne dis pas n'importe quoi. » dit-il en soupirant. « Je veux connaître la vérité. Ca n'a aucun intérêt ... pourquoi tu me racontes ça ? Tu veux te foutre de ma gueule c'est ça ? Tu veux me faire comprendre subtilement que je n'dois pas m'occuper de tes problèmes ? » s'énerve-t-il.
-« Non ! Au contraire ! Je ne te mens pas ! » déclare Tom désespérément. « Tu n'comprends pas ... »

Malheureusement, Tom sait qu'il n'y a qu'une seule façon de convaincre Georg. Lui montrer. Le bassiste à l'air franchement énervé. Et s'il partait ? S'il l'abandonnait lui aussi ?
-« Ecoute moi, et ne me coupe pas, s'il te plait. » supplie à moitié, Tom.
Georg soupire et passe une main sur son visage.
-« Okay ... »

Tom inspire un coup, il doit tout dire.
-« Il y trois mois à peu près, alors qu'on était en vacances chez nous ... je ... je me suis réveillé un matin, et je n'avais ... je n'avais plus de ... pénis. »
Il murmure la fin de la phrase en rougissant.
-« Je sais que c'est dur à croire, et imagine que ça été encore plus dur pour moi. Alors vas-y, traite moi de malade, envoie moi voir un psy ... je sais pas, mais aide-moi. J'ai enchaîné les conneries depuis ce jour, et maintenant ... je ... je crois que j'ai fait quelque chose ... d'irréparable. »
Tom semble à nouveau sur le point de craquer.

Le silence reprend sa place. Il s'attend à entendre la porte de sa chambre claquer à tout moment. Signe que Georg en aurait enfin eut marre de l'entendre déballer des âneries. Mais sa voix résonne à nouveau.
-« Montre-moi. »

Les yeux de Tom s'écarquillent rapidement, alors qu'il lève le regard vers Georg. Celui-ci le fixe avec ... amusement. Son cœur se serre. Il ne le croit toujours pas. Mais le dreadé peut le comprendre. C'est incroyable. Alors, il va le faire. De toute façon il n'a qu'à enlever son pantalon. Georg pourra constater que son boxer n'est plus du tout rempli.

Tom se redresse doucement du fauteuil, vacillant un peu. Sa fatigue lui revient finalement en pleine tête. Il pose des mains tremblantes sur sa ceinture, qu'il défait d'un coup. Son baggy tombe au sol, dans un tintement métallique. Il soupire et attrape le bas de son t-shirt, pour ne dévoiler que son boxer. Il ne tient pas à ce que Georg s'évanouisse en voyant le reste. Mais il n'aura peut-être pas besoin du reste pour s'évanouir. Tom se tourne un peu, rougissant, pour être de profil.

-« Mais ... comment tu ? » bégaye le bassiste, sans comprendre.
Devant lui, se tient Tom, son meilleur ami. Qui n'a visiblement plus de pénis dans son boxer, comme il l'avait avoué. Finalement, le dreadeux trouve le retournement de situation assez drôle.

Le silence devient un peu gênant, et Tom finit par lâcher son t-shirt pour s'asseoir. Ses jambes commençaient à flageoler d'épuisement. Il fixe Georg, priant pour ne pas le voir partir en courant. S'il le laissait lui aussi, alors Tom n'aurait plus personne sur qui compter, sauf sa propre mère. Qui se trouve à des milliers de kilomètres de lui. Cette pensée l'attriste brusquement et il se force à se recentrer sur la situation présente, quand même plus importante qu'un vulgaire mal du pays.

Et la réalité le frappe de plein fouet. Lorsqu'il voit le regard perdu de son meilleur ami, Tom se rend violement compte qu'il vient de le dire. Pour la première fois, quelqu'un sait. Quelqu'un d'autre que lui, sait qu'il est devenu une fille. Une bouffée de joie et de soulagement s'abat sur lui, lui tirant un soupir de bien être. C'est tellement bon de ne plus être seul. Georg pourrait aller le balancer au premier journaliste qui passe que Tom n'en serait même pas vexé tant il se sent heureux à l'instant.
Encore un de ces merveilleux changements d'humeur.

-« C'est impossible ... tu m'fais une blague, c'est ça ? » demande le bassiste, apparemment à côté de la plaque.

Tom lui sourit tristement.

-« Malheureusement non. Mais tu comprends pourquoi je n'me tape plus de filles depuis des semaines. » soupire-t-il doucement. « J'aurais l'impression de trahir mon propre sexe. » rajoute-t-il avec ironie.

Georg ne relève pas, fixant le sol, les yeux dans le vague. Tom en profite pour finalement remonter son baggy sur ses jambes avec difficulté. Il s'affale dans le fauteuil, se demandant s'il ne va pas s'endormir à nouveau. Pourquoi sa vie est-elle si remplie d'émotions ?
-« Tu as voulu changer de sexe ? »

La question prend Tom au dépourvu. Il lance un regard étonné à Georg. Le bassiste semble avoir repris un tant soit peu ses esprits. Et c'est avec joie que Tom remarque qu'il n'y a pas de dégoût dans son regard.
-« Bien sûr que non ! »

Georg prend son visage dans ses mains et souffle un bon coup.
-« Je comprends vraiment rien. » avoue-t-il, riant faiblement. Enfin, nerveusement surtout.

Tom sourit.
-« Moi non plus, rassure-toi. Et ça fait un moment que j'ai arrêté d'essayer de comprendre. Je m'en sortais plus. »
Le silence revient. Tom est crevé.
C'est une déclaration suffisante pour ce soir, mais il sait que Georg ne va pas s'arrêter là.

-« Et ... hum, je sais que ... je ... je ne devrais pas te demander ça, mais ça ... me perturbe. »
Tom rouvre les yeux, luttant contre le sommeil et la fatigue, comme il le fait depuis qu'ils sont entrés dans cette chambre. Georg semble gêné, et ça ne lui dit rien qui vaille.

-« Qu'est-ce que ça fait ? J'veux dire ... d'être ... d'avoir ... enfin ... » bégaye-t-il.
Étrangement, les choses ne se passent pas comme Tom l'aurait cru. Il ne rougit pas. Ne se sent pas gêné, au contraire de son ami. C'est comme si ... la question lui semblait normale venant ... d'un homme. Et Tom saisit d'où vient le problème. Il commence à penser de plus en plus comme s'il était une fille. Et c'est un gros, gros problème. Un soupir accueille la réflexion.

-« C'est ... c'est difficile à décrire. Je déteste ne rien avoir entre les jambes. C'est désagréable ... et c'est totalement différent au niveau sex- »
Tom se coupe lui-même en se rendant compte qu'il en a trop dit. Cette fois-ci le rouge lui monte aux joues, évidemment. Le manque de sommeil peut avoir de graves conséquences.

Le regard de Georg se fait surpris au départ, puis dur par la suite.
-« Comment ça ?! Tu veux dire que tu t'es tapé un mec ? » dit-il avec sérieux.
Combien de fois avait-il pu dire ça en riant, pour charrier Tom. Non pas que ça l'étonne. Tom peut faire ce qu'il veut. Mais s'il commence à mettre en danger leur réputation, les choses sont différentes.
-« Enfin, j'peux pas te le reprocher, mais ... putain Tom, et s'il avait tout raconté à la presse ? Tu crains pas pour ta propre image ? Et celle du groupe ? » demande-t-il, abasourdi par autant de bêtise.

Finalement, le changement de sexe est rapidement assimilé par son esprit, le premier choc passé.
La situation échappe légèrement au blond qui regarde ailleurs. Que peut-il dire ? Les idées défilent rapidement. Enfin, le plus vite possible dans son cerveau embrumé de fatigue.
-« Il ... je ... j'étais bourré et lui aussi ... C'est arrivé très vite ... Il doit pas s'en rappeler ... » déclare-t-il, bredouillant de façon peu convaincante.
Georg soupire, voyant bien que, faire la morale à Tom ne changera rien. Ce qui est fait, est fait comme on dit.
-« Tu me sidères. » dit-il en soupirant.

Tom ne peut retenir un faible sourire. Quoi qu'il fasse, le sommeil ne va pas tarder à l'emporter. Il n'en peut tout bonnement plus. Mais Georg ne semble pas enclin à le laisser se reposer.
-« Tu t'es protégé au moins ? » demande-t-il brusquement.

Il relève les yeux et s'aperçoit que Tom est sur le point de s'endormir.
Le dreadeux ouvre à peine les yeux et gémit.

-« Putain Gé ... non, bien sûr que non, j'ai dit que c'était arrivé 'vite', ça n'a pas été mon premier réflexe en tant que fille ... » marmonne-t-il, laissant la fatigue prendre le dessus.
Il ferme les yeux, mais les rouvre en sentant son corps défaillir. Georg passe son bras autour de sa taille et l'allonge sur le lit. Tom soupire de bien-être en sentant le lit moelleux de l'hôtel luxueux sous son dos. Il entend à peine Georg s'éloigner, et encore moins sa dernière phrase.

-« On parlera demain, bonne nuit. »
Si seulement il avait su.

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Quelques gémissements se perdent dans la chambre noire. Un corps qui se tourne et se retourne dans le lit. Il finit par sursauter, haletant faiblement, il se redresse, allume sa lampe de chevet. Tom prend son visage dans ses mains en s'adossant à la tête de lit.

Putain ... putain putain, quand est-ce que ce ... ce cauchemar va me lâcher !

Il essuie ses yeux douloureux et brouillés de larmes. Ce n'est jamais le même cauchemar, mais évidemment, il reprend toujours le même thème. Et c'est affreux. Inconsciemment, il le sait. Mais il ne veut pas l'admettre. Il ne veut même pas y penser, pourtant il ne fait que ça. Il cherche sans arrêts des preuves, scrutant chacun de ses propres gestes et envies. Et c'est une des raisons qui font qu'il fuit obstinément la salle de bains. Chaque douche matinale exige un effort constant.

Il reprend doucement son souffle, et déglutit. Sa gorge est sèche. Il se frotte à nouveau les yeux, passant les jambes dans le vide et posant les pieds par terre. Il s'approche du minibar installé dans sa chambre et l'ouvre rapidement. Des rangées d'alcool et de canettes de Coca s'étendent devant lui. Pas d'eau.

Un choix s'impose immédiatement dans son esprit : prendre une des boissons ici, ou aller jusqu'à la salle de bains, boire au robinet. Où est le problème ?

C'est quand même mieux de boire du Coca dans une canette, que de l'eau au robinet. Surtout dans un hôtel de luxe. Mais pourtant, Tom n'a pas la conscience tranquille. Et si ... si c'était vrai ? Si ses cauchemars disaient la vérité ?

Il tend la main vers la canette, et ses doigts se referment dessus. Sans s'en rendre compte, il se met à la fixer, ne sachant pas s'il doit la boire ou pas. Il a l'impression de trahir son corps.

C'est stupide. C'est totalement stupide. Ca ne peut pas être vrai. Je me fais des films débiles. J'ai ... putain, j'ai fais le test, pourquoi je stresse encore ? Il n'y a aucune raison que ça m'arrive. C'est impossible. C'est fiable ces saloperies ... Merde, j'en reviens pas, je me tâte pour savoir si je vais boire du Coca ? Mais quel con ...

D'un geste rapide, il enlève l'opercule, entendant le 'pshit' caractéristique et sourit de sa propre bêtise. Ce n'est que du Coca. Ça ne va pas le tuer. Ça n'aura aucun autre impact que la désaltération sur son corps. Bien sûr.

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Un jeune homme traverse le hall, tout de marbre et de dorures, de l'hôtel. La réceptionniste lui adresse un sourire qui ne lui est pas rendu. Peu importe, c'est son job, on ne lui répond pas souvent de toute manière. Les Stars sont comme ça, hautaines et imbues d'elle-même. Georg emprunte plusieurs couloirs, et bifurque à certains carrefours. Cet hôtel est un vrai labyrinthe. Il finit par se retrouver devant la porte qu'il cherchait. Numéro quarante-deux.

Il retire ses lunettes noires, dévoilant des cernes peu marquées. Il a réfléchi toute la nuit, et pour ça, il tuerait Tom. Lorsque la solution lui est venue à l'esprit, il a cru ne jamais réussir à retrouver son souffle. Il glisse la clef dans la porte et pénètre la chambre. Il avait enfermé Tom, tout simplement, mais il se doutait qu'il n'allait pas se réveiller avant lui. D'ailleurs Georg n'a pas vraiment dormi en fin de compte. Il traverse la chambre d'un pas pressé, appuie sur un interrupteur, juste en dessous d'une petite diode lumineuse et les volets s'ouvrent électriquement. Un demi-tour sur lui-même lui permet de voir la princesse Tom dans toute sa splendeur. C'est-à-dire, étalée de tout son long et à moitié recouverte.

Mais sa colère et son angoisse sont telles que même cette vue ne lui tire pas un sourire. Lorsque la lumière atteint les yeux de Tom, celui-ci grogne et se couvre du drap en se retournant. Sa nuit aussi a été courte. Il ne comprend pas vraiment qui vient le réveiller.

En général c'est David, mais ça voudrait dire qu'il avait dormit très très longtemps. Il grogne une seconde fois pour manifester son mécontentement, espérant ainsi faire fuir l'intrus. Ce qui bien entendu échoue lamentablement. Ça ne fait même qu'aggraver les choses. Georg s'approche du lit et le découvre entièrement.
-« Debout ! » dit-il, sèchement.

Un nouveau grognement lui parvient. Il soupire faiblement et pose sa main sur sa hanche qu'il tire pour le mettre sur le dos. Tom oppose une brève résistance avant de lâcher, grondant encore sourdement. Georg le maintient dans cette position, observant attentivement ce qu'il a sous les yeux. Son regard d'abord attiré par le boxer 'vide', se porta sur le ventre découvert du blond. Ça n'était pas limpide. Mais c'était bien différent de ce dont Tom s'était vanté tout l'été dernier. Les tablettes de chocolat n'existent plus. Georg attrape son poignet et soulève le dreadé un coup.
-« Daviiiid ! » gémit Tom, encore inconscient de son environnement.
-« Rooooh réveille-toi un peu ! C'est moi ! Geoooorg, ton ami qui s'est inquiété toute la nuit pour toi. Alors lève-toi maintenant. » dit-il, agacé.

Le dreadeux ouvre à peine les yeux, avec difficulté. Collés par le sel, il s'y reprend à trois fois avant de pouvoir constater qu'effectivement, c'est bien Georg. Dans sa chambre. Il tourne le regard vers le réveil. A dix heures du matin.

-« Qu'est-ce tu faiiis ? » gémit-il, en refermant les yeux, près à se rendormir. « T'as vu l'heure ? »
Georg ne peut s'empêcher de lever les yeux au ciel. Tom est, et restera désespérant. Pour toujours.
-« Je viens changer ta vie, Tom. Alors tu pourrais avoir la décence de bouger ton petit cul okay ? »
Le bassiste s'énerve de plus en plus, mais le guitariste ne s'en aperçoit pas, trop occupé à essayer de dormir.
-« Change ma vie un autre jour steuplait. » gémit-il, à moitié enfoncé dans l'oreiller.

Cette fois-ci sans pitié, Georg pose ses mains sur les hanches de Tom et le tire hors du lit. La perte de l'équilibre finit par le réveiller totalement. Surtout quand il atterrit par terre, sur la moquette moelleuse. Il lance un regard virulent à son ami qui le fixe avec le même air sérieux qu'au départ.
-« Putain, tu fais chier. Qu'est-ce tu veux ? » demande-t-il, colérique.
Georg soupire, et réfléchit quelques secondes, cherchant à ne pas trop brusquer le dreadé. Tom remonte sur le lit, où il évite de s'étaler, puisque le bassiste n'en a visiblement pas envie.
-« Je crois que tu ... que tu ... enfin, j'sais pas, rappelle toi, ces envies de bouffe bizarres que t'as eues, et ... le fait que tu pleures tout le temps ! Ca plus ce que tu m'as expliqué hier soir ... ça me semble clair. » dit-il, avec hésitation.

Le cœur de Tom se met à battre plus vite. Il ne veut pas le reconnaître. Ca ne peut pas arriver. C'est impossible.
-« Non ... » murmure-t-il, l'air perdu tout à coup.

Georg s'assoit sur le lit, et glisse sa main dans la poche intérieure de sa veste.
Il pose une petite boîte rectangulaire sur le drap.

-« Tu devrais le faire. » déclare doucement le bassiste.
Tom n'arrive pas à en détacher son regard. Mais sa volonté met encore plus de force dans le refus.
-« Non. J'en ai déjà fait un. » dit-il lentement, comme si les mots lui écorchaient la langue.

Georg sursaute presque à l'entente de cette phrase.
-« Quoi ? Quand ça ? » demande-t-il, plus qu'étonné.
Il ne pensait pas que Tom avait pris conscience de tout ça. Même si ça peut paraître évident pour certains, ça n'est pas forcément le cas de tout le monde.

-« Quelques semaines ... » murmure-t-il.
La vue de ce test le rend toute chose, et il ne sait pas comment décrire ce qu'il ressent, mais ... c'est comme si son esprit de scindait en deux. Une partie voulant qu'il reconnaisse que c'était vrai, et qu'il en prenne conscience en refaisant le test. L'autre lui disant de refuser. Mais au fur et à mesure, le temps passe et les preuves s'accumulent. Pourquoi attendre ?

-« Et ... le résultat ? » demande Georg, hors d'haleine.
-« Négatif. »
Tom semble être déconnecté du monde. Il répond aux questions de son ami par automatisme. Le regard toujours fixé sur la boîte, le combat continue intérieurement. Est-ce que c'est vraiment une bonne idée ?
Georg regarde son ami, intrigué. Pourtant, il était tellement sûr. Il y avait réfléchi toute la nuit et ça lui paraissait très clair. Il vit avec étonnement Tom attraper la boîte et se lever, l'air déterminé et à la fois effrayé.

-« Tom ? »
Le dreadé ne lui répondit pas. Il marqua une pause devant la porte de la salle de bains, et la franchit finalement, fermant avec douceur derrière lui.

C'était l'instant décisif .

 

FIN DU CHAPITRE 14

 

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