CHAPITRE 8 CETTE SI MERVEILLEUSE NUIT
Deux garçons, à moitié endormis dans leurs bols, sont assis à la table d'une cafétéria.
-« Tom, tu m'passe les biscottes ... ? »
Le guitariste se trouve, actuellement, dans un état affreusement perturbé. Normal. Il s'est passé beaucoup de choses aujourd'hui, et il n'a pas encore réussi à trouver le sommeil plus d'une heure.
-« TooOooOoom ... »
Les yeux fixés sur sa petite cuillère qu'il tourne inlassablement, d'un geste mécanique dans son bol. Dans lequel il n'y a pas de lait, ni céréales ... ni rien en fait. Il a l'esprit occupé par autre chose que les biscottes demandées et un bol de lait. Rien d'autre n'a d'importance face à ce qui lui est arrivé cette nuit.
-« ... putaiiiin ... »
Le batteur finit par se lever de sa chaise et attraper lui-même trois biscottes dans le panier mit à leur disposition. Il les pose dans son assiette, prend un couteau à bout rond et un petit carré de beurre ; pour, finalement, relever les yeux vers son ami qui n'a pas l'air du tout, dans la sienne d'assiette. Il se demande quelques secondes ce qui a bien pu lui arriver pour qu'il soit dans un état pareil. Le dreadeux a des cernes sous les yeux et un air totalement anéanti.
Ça fait plusieurs jours que Tom ne va pas bien. A peu près depuis la dispute avec son frère. Elle dure plus longtemps que les autres, il faut avouer. Gustav trouve qu'il le mérite. Ce qu'il a fait est dégueulasse. Cependant, lui n'a pas besoin de le priver de son amitié. La punition infligée par Bill est suffisante à son goût.
Et il ne sait pas tout.
Le petit blond pose son regard sur le bol de son ami. Un soupir sort de ses lèvres et il se relève pour attraper la brique de lait qu'il avait demandé en arrivant. Il l'ouvre et verse une quantité suffisante du liquide blanc dans le récipient.
-« A défaut de te réveiller, ça va faire taire ce bruit insupportable. » maugréait-il, en reposant le tout et profitant du silence partiel.
La cuillère continue de tourner. Et cela jusqu'à l'arrivée de Georg, dix minutes plus tard. Gustav lui adresse un bonjour matinal, sans détacher ses yeux du journal qu'il lit. Tom n'a pas cessé son activité, mais son regard a dévié sur l'extérieur. Les gens passent dans la rue, certains en courant, d'autres en tenant la main de petits enfants, sans se douter qu'une star du Rock les regarde à travers le miroir sans tain qu'est la vitre de l'hôtel.
... Je n'me suis jamais senti aussi mal de toute ma vie. Pourquoi j'ai fait ça ?! Pourquoi j'l'ai laissé me ... toucher ? J'aurais pas du ... j'avais pas l'droit. Pourquoi j'l'ai pris alors ? ... ... le pire c'est que ... c'est ... c'était MOI le faible dans cette histoire ... moi qui suis le dominateur ! ... Mes couilles oui ! Enfin, mes ovaires ... ... comme si j'avais besoin de ça, EN PLUS de ces sentiments de merde et de cette chatte à la con !! ... comment j'vais arriver à changer ? Comment j'vais faire pour retrouver ma bite et mes mimines ? ... qu'est-ce que j'vais bien pou-
-« Eh !! »
-« Ouaaaaaah, t'as réussi à arrêter le mouvement perpétuel de la petite cuillère ?! ... enfin, j'aurais p't'être pu le faire aussi, mais j'ai pas osé le coup du verre d'eau dans la gueule, moi ! » déclare le batteur, hilare.
Tom se tourne vers le bassiste qui ne le regarde même pas. Le bruit minuscule que produisait la cuillère en cognant les rebords du bol, résonnait aux oreilles de Georg comme un troupeau de bœufs en rut devant une seule femelle. Les yeux vitreux, le lissé avale de grosses gorgées de son café brûlant, alors que le guitariste le fusille du regard tout en s'essuyant.
-« Tu me le paieras ! »
-« T'as même réussi à le faire parler ! » s'exclame le batteur, une nouvelle fois.
Gustav avait retrouvé sa bonne humeur à la vue de son ami mouillé et de la petite cuillère hors du bol ... Son regard dévie tout à coup, un peu plus sur sa gauche, et un sourire encore plus grand lui fend le visage, avant qu'il n'éclate de rire, s'attirant toute la rage de Georg dont le son se répercute encore et encore au fond du crâne.
Putaiiiiiiiiiiiin ... j'croyais pas qu'on pouvait avoir SI mal à la tête MERDE !
Qu'on m'achève j'vous en supplie. Et cet abruti qui me perfore les tympans ...
-« Roh, ta gueule Gus' !! » m'écriais-je, d'une voix railleuse.
J'en ai marre ... qu'est-ce j'ai foutu hier quoi ?! J'ai encore trop bu, j'ai aucun doute la dessus ... mais après ? Aucune idée ... ... j'vois un peu beaucoup flou. J'espère que j'vais réussir à attra- ... loupé ... loupé ... làààà. Ça y est ! J'ai le dossier de la chaise en main ! ... ... ... je tiiiiire vers moi. Voilà. Et maintenant ... JE ME RETAME PAR TERRE !
Le rire de Gustav est désormais impossible à calmer. Et devient contagieux qui plus est. Georg lève les yeux vers le bruit sourd qui vient de résonner dans sa tête, il regarde un peu autour de lui puis aperçoit Bill qui n'a pas bougé du sol, ruminant contre lui-même. Evidemment, il suit le batteur dans son fou rire. Le chanteur leur lance un regard noir.
Quels cons ... j'ai mal à la têêêeeeete, pfioouuuu.
Marre ... ... ... tiens, une main. Euh ... ... une main ? ... oh ... c'est juste Tom.
J'en veux pas d'sa main, j'pourrais attraper l'égoïsme ou l'égocentrisme aigu.
Allez ... Billou, steuplait ... m'en veux plus.
J'tiendrais pas si tu continues à m'éviter et me faire du mal comme ça ...
Prends-la Bill ! C'est qu'une main merde !
Les regards se croisent et ne se lâchent plus, les rires des G's en fond sonore. Mais ni Bill, ni Tom n'entendent les gloussements. Bill à cause de son effort de concentration, Tom à cause des jolis yeux noisette mal réveillés de son homologue. Le brun ignore superbement son double, lui faisant encore plus mal au cœur.
Mais Tom ne compte pas en rester là. Il s'accroupit, saisit la main de Bill sans lui demander son avis et se relève en le tirant avec lui. Un frisson le parcoure alors que les dits yeux noisette ne sont qu'à quelques centimètres de son visage. Le chanteur vacille un peu mais repousse son frère. Pas méchamment. Mais pas gentiment non plus. Se faire rejeter alors qu'on veut aider, ce n'est pas ce que l'on peut appeler de la gentillesse.
Bill s'assoit enfin sur la chaise sans la moindre attention pour le dreadé qui le fixe douloureusement. Sans un regard, sans un remerciement. Tom soupire et retourne s'asseoir à sa place.
Débile, j'veux pas de son aide et il me saoule là ...rah, c'qu'il peut m'énerver ce con ... j'suis pas un bébé, j'ai pas besoin de beaucoup de gens, et encore moins de lui ... mais putaiiin, c'que j'ai besoin d'un aspirine ou ou ... le café <3
La main peu habile du chanteur attrape difficilement la cafetière, la loupant à plusieurs reprises, jusqu'à ce que son frère ne la lui rapproche. Bill lui lance un regard noir, puis se re-concentre sur une manœuvre délicate : verser le café dans la tasse et pas sur la jolie nappe blanche. Le batteur, ayant perdu son euphorie, jette un œil au brun et lui prend la cafetière des mains pour le servir, ce que Bill ne refuse pas.
Il baisse la tête, ses cheveux noirs cachant son visage qu'il masse vigoureusement, essayant de faire fuir son mal de crâne. Tom observe minutieusement ce frère qu'il désire tant, et aime tellement, ne pouvant s'empêcher de repenser à-
... cette si merveilleuse nuit ... putaiiiin ... je ... pourquoi il a fallu, que ... que ça m'arrive à moi, merde ! ... et Bill qui me hait là ... *soupir* ... moi je ... je, pourquoi tu me hais ? Juste ... juste à cause de cette fille ? Mais ... est-ce que c'est ma faute si elle m'aimait ? Est-ce que c'est ma faute si je t'aime ? ... ... peut-être. Elle n'aurait pas du s'attacher à moi comme je n'aurais pas du m'attacher à toi. Je ... je n'arrive pas à m'en empêcher pardonnes-moi ... p'tit frère. Je t'aime. C'est la première fois et tu es la seule personne a qui je ne l'aurais jamais dit ... ... Quel putain de romantisme à la con ... Quand je pense que c'est à toi qu'on prête ce rôle dans les interviews. Y'a un truc horrible quand même dans tout ça. Plus horrible que le fait que j'aime mon propre frère jumeau, mon reflet, mon moi-même bis. Même plus horrible que ça fasse déjà cinq années. Et même plus, que la baise qu'on a eu ensemble, hi- ... ce matin. C'est que ... que ... putaiiiin ... j'étais ... je suis une FILLE, j'ai baisé avec mon frère en étant une fille. C'est i-mmonde. Nan, nan c'est pire : c'est UNE CATASTROPHE ! ... merdeuh, je me suis fait ... domineeeeeeeeeer, Aaaark ...
Le silence continue à peser sur la table des musiciens. Georg fixant son thé comme s'il pouvait le débarrasser de sa gueule de bois en deux secondes et demie ... qui sont largement passées depuis que l'idée a germé dans son esprit. Gustav perpétuant sa lecture de la page Sport de son journal. Bill se massant le crâne puis buvant une gorgée de café, approximativement toutes les trois minutes trente deux. Et Tom regardant son frère, se repassant en boucles toutes les erreurs qu'il a commises dans sa vie, en une longue série de flashs, entrecoupés de scènes qui se sont déroulées ce matin même, sept heures plus tôt.
Puis, la vie reprend. Le batteur décide de se lever, finalement. Il jette un regard sur ses amis amorphes et un fin sourire se forme sur ses lèvres. Il ne dit rien et quitte la table. Tom ne remarque son absence que trente minutes plus tard, alors que Georg s'était lui aussi levé, sous un élan d'énergie considérable, pour aller re-dormir. Son cœur commence à battre la chamade quand il s'aperçoit qu'il ne reste plus que son frère et lui à table. D'autant plus, qu'une idée lui est venue.
Inspires, expires, inspires, expires ... alleeeez ... ... c'est réussi dis dooonc, je dois lui dire. Je dois lui faire des excuses. Il faut qu'il me pardonne ... je peux pas vivre en sachant qu'il me hait. J'ai trop besoin d'un minimum d'amour de sa part ...
Merde. J'me souviens. Mais ... mais, qu'est-ce que cette fille me faisait ?
... ... pétasse, elle m'a touché !
Allez, allez ! Je vais y arriver. Hum, un petit essai d'abord : Bill ? Je dois te dire quelque chose ... euh, nan, ça fait catastrophe nucléaire ... Bill. Par-
-« Tom ? »
Merde ... c'était pas prévu qu'il engage la conversation !
-« Euh ... oui ? »
-« Qu'est-ce qu'on a fait hier ? »
... ... argh. Comment ça ... qu'est-ce qu' « on » a fait ?! ... qu'est-ce que je peux répondre à ça ? Là, je sais pas s'il se souvient de quoi que ce soit. Ni de la soirée, ni ... erm, de cette nuit ...
-« ... pourquoi tu fais cette tête ? »
-« Euh, je- »
-« Nan, c'est bon, en fait j'm'en fous. » me coupe t-il, en reprenant une gorgée de son café, fixant la rue. Putain Bill ... j't'en prie arrêtes ça. Arrêtes de chercher à me blesser constamment.
-« Bon, alors ? »
Qu'est-ce que je fais ?
-« Tu ... euh, on-, ... tu te rappelles ... de rien ? » déclarais-je en déglutissant avec peu de raffinement. Il me fixe quelques secondes, de ses grands yeux noisette embrumés et son visage tiré par la fatigue.
Des scènes reviennent encore et encore à mon esprit. Je crois que je n'oublierais jamais. Ce serait bien la première chose d'ailleurs ... ... Je sens encore le bout de ses doigts sur mes hanches ... oh mon Dieu. J'vais mouiller rien qu'en y repensant <3 Han, il ouvre la bouche *bave*
-« Pas vraiment. J'ai dansé. Et puis ... j'me rappelle d'une fille ... » mon cœur bat à un rythme fou « elle ... j'ai fait des choses avec elle j'crois ? » oh, mein, Gott ! « j'sais plus mais elle m'a touché c'te conne, c'est sûr. Encore une pétasse en chaleur qui ira tout raconter à la presse ouais ... putain, David va me tuer si ça arrive ! »
C'était pas fait exprès tout ce qu'il vient de dire mais ... le mot 'pétasse' a bien résonné dans ma tête. J'suis pas une pétasse ... moi, je ... je l'aime et ... les pétasses l'aiment aussi ... ... j'arrive pas à le croire, j'ai couché avec Bill et il s'en souvient. Je-suis-dans-la-merde. Profondément, même.
-« ... mais pourquoi j't'en parle ? Tu t'en fous de toute façon. Il n'y a que toi qui t'intéresse, n'est-ce pas ? » me dit-il, le regard noir.
... est-ce un crime de tuer son frère ? ... merde, ouais, c'est un crime. Ça s'appelle un fratricide même ... mais qu'est-ce que j'raconte ?! ... enfin, si seulement ce n'était pas le cas ... putain ... t'es ... t'es ...
-« T'es vraiment qu'un sale con. »
... Oups.
Les regards s'échangent à nouveau. Celui du dreadeux angoissé avec celui du chanteur énervé. La répartie ne tarde pas à fuser ... en même temps que le brun se lève et quitte la table.
-« C'est l'hôpital qui se fout de la charité, dis-moi. »
Il jette un dernier regard à son frère et sort de la cafet', les idées un peu plus claires qu'à son arrivée. Tom soupire, prenant sa tête entre ses mains, coudes posés sur la table. A cet instant, le dreadé a une pensée stupide : pourquoi ça n'arrive qu'à lui ?
~
L'après-midi même, c'est chacun de son côté.
Les quatre chambres demandées par les Tokio Hotel ne sont pas toutes occupées à 16h48.
Le bassiste a réussi à sortir en douce pour se changer les idées en se promenant aux alentours de l'hôtel. Sans être suivi par une horde de gardes du corps qui se cacheraient derrière les arbres.
Le batteur est de sortie également, mais il n'a pas été bien loin. Assis sur son balcon, protégé de la vue des curieux, il prend le peu de soleil présent dans la grande ville d'Hambourg, un casque sur les oreilles, plus par habitude qu'envie. Ses doigts battent la cadence sur l'accoudoir de sa chaise sans qu'il s'en aperçoive. Habitude, oui.
Le chanteur est parti faire quelques courses vestimentaires, accompagné d'un de leurs gardes du corps. C'est un moyen de détente après une aussi rude cuite et belle gueule de bois que celle de ce matin. Il en a encore les restes sur l'esprit et le cœur. Il se sent mal d'avoir couché avec une fille et de reprocher toujours à son frère de ne même pas connaître le nom de ses conquêtes. Il vient de le faire lui aussi. De plus, il regrette de s'être trahi en l'avouant à Tom le matin même. Mais encore une fois, sa gueule de bois a eu raison de ses intentions.
Le guitariste est bien le seul à ne pas bouger.
Cette après midi de répit lui fait du bien.
Il va peut-être enfin pouvoir dormir ... si sa conscience le lui permet .
FIN DU CHAPITRE 8