chapitre 16
Tom était étonné. Vraiment, étonné. Scotché même. Le proverbe « On ne sait jamais tout » ne s?était jamais adressé à lui, mais là, il devait bien l'admettre : il avait encore énormément à apprendre. Mais la chose la plus surprenante était qu?il avait à apprendre de Bill.
Oui. Bill. Il n?a cessé de m?impressionner. Il a déjà fini cinq modèles, je n?ai rien eu à modifier, directement envoyés à la compo?. Impressionnant, vraiment. Il est très sérieux et studieux. Je ne comprends pas ces facettes aussi différentes de sa personnalité. C?est affolant et déboussolant.
Là, il est 23 heures du soir, les bureaux sont déserts, mais devinez qui est resté ? Bien !
Tom : Bill, je suis exténué, on peut y aller ?
Bill : Non, je n?ai pas fini la jupe de ce modèle, je n?arrive pas à faire cette dentelle?
Tom : Ce n?est pas grave, on a quelqu?un qui fait ça tu sais? Tu n?a qu?à entourer l?emplacement, et dire laquelle tu veux.
Bill : Je veux le faire moi-même.
Tom : *soupir* Si tu veux, mais moi je rentre.
Je me retourne, en soupirant encore. Je sens son regard sur mon dos, mais je ne fais rien et continue mon chemin vers la porte. Depuis qu?il a ce travail, notre vie de couple est pour ainsi dire réduite à néant. Le Bill que je connaissais a été happé dans mon monde? Apparemment, il ne faut pas mélanger amour et travail Ca ne donne vraiment pas de bonnes choses.
Une fois l?ascenseur appelé, je patiente un peu. Il fait froid. Trop froid, on a un problème de chauffage aujourd?hui, donc on peut voir tout le monde avec des doudounes et manteaux. Je n?échappe pas à la règle, j?enfile rapidement le mien, gris et réarrange mon écharpe. Je tâte mon portable dans ma poche et m?apprête à rentrer dans l?ascenseur quand j?entends la voix de Bill et les talons de ses santiags frapper le sol marbré.
Je retiens alors les portes, et attends qu?il arrive à ma hauteur. Une fois dans la boîte métallique, les portes se referment et un long, froid silence s?installe, que seuls les bruits de sa respiration rapide due à sa course viennent couper.
Une fois calmé, l?ascenseur descend toujours. Il me regarde. Mon regard, lui, ne vacille pas. Droit sur les portes fermées.
Bill : Est-ce que tu me fais la gueule ?
Tom : Non.
Bill : Alors pourquoi tu ne parles pas ?
Tom : Peut-être parce que je n?ai rien à te dire.
Bill : Mmh... Il faudra que tu m?aides à finir le modèle n°7 s?il te plaît, à la maison, je n?arrive pas à comprendre pourquoi le modéliste a-
Tom : D?accord, on le fera demain matin.
Bill : Non mais je te parle quand on va rentrer là. Il faut que je l?ai terminé pour demain. Je dois aller voir un peintre pour un projet de tissu. Et ça risque de me prendre la matinée, voire la journée.
Tom : Bill, demain, on ne devait pas aller manger chez El Gusto ? Ensemble ?
Bill : On le fera une autre fois, toi et tes idée romantiques la?
Tom : Si sauver notre couple est une idée conne, excuse-moi.
Bill ; Sauver notre couple ? On est encore ensemble que je sache !
Tom : Psychologiquement oui. Enfin pour moi, mais physiquement non. En tout cas, on ne fait plus rien ensemble ! Même pour regarder la télé, il faut se prendre en rendez-vous !
Bill : N?exagère pas.
Je me retourne vers lui, ses yeux fixent durement les boutons de l?ascenseur, qui s?éteignent et s'allument au fil des étages. Sa main serre son sac et son sourcil est levé. Je rigole jaune, et me tourne complètement vers lui. Lui ne bouge pas.
Tom : Tu trouves que j?exagère ? Entre toi et moi, qui passe le plus de temps enfermé dans son bureau ?
Bill : Parce que je fais bien mon travail.
Tom : Qui ne répond plus au téléphone ?
Bill : Je suis occupé.
Tom : Je suis ton petit ami !
Bill : J?ai maintenant une vie professionnelle !
Tom : Putain, moi aussi j?en avais une, bon sang ! Moi aussi, avant que tu n'envahisses mon espace personnel et professionnel, j?en avais une ! Mais je trouvais toujours le temps, j?essayais toujours au possible de passer du temps avec toi ! Pour ton respect, et celui de notre couple !
Bill : Tu n?es jamais là, tout le temps parti je ne sais où pour je ne sais quelle remise de prix ! Ou pour aller voir je ne sais quels nouveau tissu et nouveaux bijoux pour sertir tes putains de robes !
Tom : Et qui te propose tout le temps de voyager au bout du monde ? Pour se retrouver ensemble ? Et qui passe ses soirées avec toi ? Hein qui ? Ose dire que je ne t?appelle pas tous les jours quand je suis à l?étranger !
Bill : Les voyages en amoureux ce n?est pas mon truc.
Tom : Ah oui, c?est vrai, ce n?est pas ton truc. Ouais. C?est vrai et bah tu sais quoi, t?avoir dans mes pattes pendant que je travaille, ça non plus c?est ''pas mon truc''.
Bill : Tu te contredis toi-même. Tu dis qu?on ne se voit pas assez, et tu dis que tu m?as dans les pattes ! Faut savoir !
J?appuie violemment sur le bouton d?arrêt de l?ascenseur, le faisant se stopper, ce qui l'ébranle.
Tom : Je t?arrête tout de suite ! J?arrête de travailler quand je quitte ces locaux. Je le fais depuis que nous vivons ensemble. Parce que je fais tout pour que notre relation ne souffre pas de mon travail, qui prend déjà 90% de mon temps. J?ai fait et je fais tout mon possible pour pouvoir avoir une putain de vie professionnelle, et toi? Et toi, tu fous tout en l?air quand je t?offre la chance de ta vie !
Bill : Ne fais pas ton connard, j?essaie juste de faire du bon travail et toi-
Tom : Bon sang, Bill. Arrête de rejeter la faute sur les autres tout le temps. Tu es sûrement autant, voire plus fautif, que moi là dedans.
Bill : Putain mais tu vas la fermer ! Tu n?avais qu?à pas m?engager si c?est pour me dire des trucs dans le genre ! Je préfère me faire enculer tous les jours plutôt que d?entendre ça !
Tom : Eh bah si c?est ça ce que tu veux, vas-y ! Si ta vision de la fidélité dans le couple est celle de se faire défoncer comme une pétasse tous les jours, vas-y ! De toute façon, ça revient au même ! On ne se verra plus !
Bill : EUX, au moins, me comprennent !
Tom : Oh oui, qu'ils te comprennent ! Quand tu hurles que t?aimes les bites, ouais putain, ils te comprennent très bien ! C?est se présumer « acteur » autant que les milliards de pauvres types qui se tapent tes films en se masturbant !
Son visage est rouge, moi je suis à bout. Il frappe la cage de fer de son poing et hurle de rage. Les portes s?ouvrent, je ne perds pas une minute et sors en furie.
Dehors le vent fouette durement mon visage, je pense qu?il ne va pas tarder à neiger. J?entends encore Bill crier de rage en essayant de me rattraper. Je cherche des yeux un taxi? Ah, il y en a un au feu. Et c?est le feu rouge. Merde.
Bill : Tom reviens ici, je n?ai pas fini !
Tom : Moi si !
Bill : Ne fuis pas !
Tom : Je ne le fais pas, bon sang ! Je tente juste? Juste de m?éloigner le plus de toi, pour ne pas être désagréable !
Bill : Tu l?es !
Tom : Bordel, Bill? Arrête, tu m?énerves encore plus.
Bill : Toi aussi, c?est toi qui pète ton câble tout seul, là !
Tom : Je peux t'assurer que tu m?aides beaucoup !
Je me retourne vers lui et me retiens pour ne pas l?étrangler. Son sourire reste toujours constant et arrogant, mais? Je ne ressens absolument rien, ce qui est assez étrange. J?entends le taxi arriver, j?ouvre la portière, et rentre dedans.
Bill : Tu ne prends pas ta voiture ?
Tom : Je te la laisse, je vais faire un tour. Je te le répète, j'essaye de contenir ma colère. Et je ne dois pas être près de toi pour ça.
La voiture démarre, sans que je ne lui demande quoique ce soit. Tant mieux. Je regarde une dernière fois Bill, sur le trottoir, ses cheveux noirs volant au-dessus de son manteau blanc. Dans une main, son porte-dessins et dans l?autre, son sac à main en cuir Balenciaga ®, qui me regarde partir dans ce taxi.
Léger pincement au cœur, grand soupir de bonheur.
Contraste que Tom n?avait encore jamais connu.
FIN CHAPITRE 16