Chapitre 12. Jalousie
Une réaction d'auto-défense face à une menace perçue comme dangereuse pour une relation à laquelle on accorde de la valeur.
(Age : douze ans)
“Bill, ça suffit,” gronda Tom tandis que son frère tirait de nouveau sur ses nouvelles dreadlocks. Elles venaient tout juste d'être nouées et n'avaient pas encore durci. Si Bill continuait à tirer dessus elles pourraient être foutues. “Tu vas me les foutre en l'air !” cria-t-il lorsque Bill tira de nouveau.
“Bien. Je les aime pas,” dit Bill pour la centième fois. Il se coucha en travers du canapé, tirant de nouveau sur les petites dreads.
Tom éloigna Bill d'une tapette et lui lança un regard mauvais. “C'est quoi ton problème ? C'est mes cheveux. Je peux faire ce que je veux avec.”
Bill s'affala de nouveau sur le canapé et fit la tête. Il avait essayé pendant un mois de retirer à Tom l'idée des dreads de la tête, mais celui-ci n'avait pas changé d'avis. “On n'a plus l'air pareils,” il fit la moue, révélant enfin le vrai motif qui se cachait derrière l'incessant tirage de cheveux.
Tom leva les yeux vers son frère, pensant que c'était sans doute la chose la plus stupide qu'il ait jamais dite. “C'est toi qui as commencé en te teignant les cheveux et en te mettant ce truc dans le sourcil !” dit Tom d'un ton accusateur, préférant l'attaque à la défense. Sans particulièrement prêter attention à la réponse de Bill, il recommença à fourrer ses affaires dans son sac de cours.
“Tu as dit que tu aimais mon piercing,” dit Bill, faisant semblant d'être blessé par la remarque de Tom. Il n'empêchait que ce que Tom avait dit était vrai. C'était toujours Bill qui se détachait et changeait de style. Des années auparavant il avait choisi de se couper les cheveux alors que Tom voulait qu'ils les gardent tous les deux longs. De même il avait récemment commencé à se les teindre. Ces dernières années sa garde-robe était progressivement devenue de plus en plus “unique” tandis que Tom se contentait de suivre ce qui était à la mode à l'école. Le piercing de Bill au sourcil était le changement le plus radicalement drastique.
Tom avait bien accepté ces changements, soutenant toujours la créativité de Bill quant à son look même si ça le blessait secrètement que Bill ne veuille plus qu'ils se ressemblent. Dans le noir d'encre de la nuit, quand ils partageaient leur lit, ils étaient encore pareils. C'était suffisant pour Tom. Il acceptait pleinement le fait qu'ils n'aient plus l'air identiques. En fait, il accueillait leurs différences à bras ouverts, et c'était la raison pour laquelle il avait finalement pu rassembler le courage de se dreader les cheveux.
“Je m'y suis habitué. Tu t'habitueras à mes dreads,” dit Tom, enfonçant le dernier de ses bouquins dans son sac. Il se laissa tomber sur le canapé à côté de Bill et lui donna joueusement un petit coup de coude. “Allez, Bill, tu sais bien qu'on est toujours pareils. C'est un bon look pour le groupe, et un bon look pour, tu sais... empêcher tout le monde d'être sur ses gardes,” ajouta-t-il, murmurant la dernière partie.
Bill soupira et reposa sa tête sur l'épaule de Tom, faisant grimper sa main jusqu'à ce qu'elle touche les dreads, plus gentiment cette fois-ci. “Je suppose que tu as raison,” agréa-t-il. Plus ils se séparaient extérieurement, plus ils étaient libres.
Les jumeaux étaient vraiment passés maîtres dans l'art de la dissimulation. Ils n'étaient pas encore connus, mais ils avaient déjà créé des personnalités à exposer à la face du monde. Seul le docteur Engle les voyait tels qu'ils étaient vraiment, et ils ne le voyaient presque plus. Ils n'allaient plus le voir que pour des “check-up”, tous les trimestres environ. Simone pensait que ce n'était plus nécessaire qu'ils consultent, ce qui était une bonne chose même si ça rendait les choses plus difficiles pour les jumeaux. Ca leur manquait, la sécurité apportée par le fait de savoir qu'on avait quelqu'un à qui se confier.
“Bill...” dit Tom avec un ton d'avertissement. Bill avait relevé la tête de son épaule et s'était tourné vers lui pour lui déposer un léger baiser sur la gorge.
“Maman est dans le studio. Gordon n'est pas à la maison. Juste un baiser,” murmura Bill, sa respiration chaude contre la gorge de Tom.
“L'école... Andreas... Il nous accompagne, tu te rappelles ?” marmotta Tom. Ca devenait difficile de réfléchir, avec les lèvres de Bill qui caressaient sa peau. Bill prenait toujours des risques stupides comme celui-ci, repoussant toujours la limite. Andreas serait là d'un moment à l'autre.
“Juste un, et je ne tirerai plus sur tes dreads,” promit Bill. Il pouvait se montrer tellement manipulateur parfois. Personne ne pouvait lui résister quand il voulait quelque chose, surtout pas Tom.
Tom abandonna ; il abandonnait toujours. Il se tourna vers Bill, laissant leurs lèvres se caresser en un bref baiser qui satisferait la demande de Bill mais laisserait Tom frustré pour le reste de la journée. Tom avait bien l'intention que cela reste un baiser chaste et bref, mais lorsque Bill se tortilla pour se rapprocher, Tom ne put se forcer à se dégager. Ce ne fut que lorsqu'ils entendirent la porte d'entrée grincer que leurs lèvres se séparèrent.
“Hey, vous êtes prêts les mecs ?” appela Andreas depuis l'entrée. Ils étaient amis depuis si longtemps maintenant qu'il ne prenait même plus la peine de frapper.
Les jumeaux se séparèrent instantanément. Tom sauta sur ses pieds pour aller attraper son sac et s'essuya rapidement les lèvres du dos de la main, se débarrassant du gloss que Bill insistait pour porter ces derniers temps. Il s'agenouilla sous le prétexte de refaire son lacet afin de jouir de quelques secondes supplémentaires pour faire disparaître le rose qui lui teintait les joues avant de faire face à Andreas.
“Ouaip'. Il faut juste que je trouve mon... mon...” Bill s'interrompit, oubliant ce qu'il cherchait. Il était trop occupé à se lécher discrètement les lèvres et à souhaiter que Andreas ait eu quelques minutes de retard.
“Livre de science. Sous le canapé,” compléta Tom, pointant du doigt le livre caché sous le meuble. “Salut Andi,” ajouta-t-il, enfilant l'une des bretelles de son sac et laissant Bill se débrouiller pour réussir à faire rentrer ses affaires de classe dans son propre sac.
Le regard d'Andreas passa d'un jumeau à l'autre et il se demanda ce qu'il se passait. La façon dont Tom et Bill se comportaient quand il entrait dans une pièce donnait souvent à Andreas l'impression qu'ils parlaient de lui derrière son dos. C'était comme si tout se trouvait modifié quand il apparaissait, et il ne voyait pas d'autre explication que celle-là.
“Uh... salut. J'ai interrompu quelque chose ?” demanda nerveusement Andreas.
“Nan. Juste Bill en train de jouer les idiots et de me faire chier à tirer encore sur mes dreads,” répondit Tom, jetant un regard mauvais à son frère. Bill tira la langue et lui lança un morceau de papier millimétré.
“Oh, ben elles ont l'air bien. Mieux que les cheveux de Bill en tous cas,” plaisanta Andreas. Il était assez dangereux d'insulter l'un des jumeaux en présence de l'autre, mais il était l'une des rares personnes qui pouvaient s'en tirer après l'avoir fait.
“Hey ! Mes cheveux sont bien. Et au moins ils sont propres,” pointa Bill, attaquant son jumeau plutôt que de se moquer des cheveux de paille d'Andreas, abîmés par sa décoloration.
“Ta gueule, Bill. Mes dreads sont propres. Tu m'as vu les laver hier,” dit Tom, oubliant un instant qu'Andreas était là. Ils faisaient presque autant confiance à Andreas qu'au docteur Engle, et ça voulait dire que les jumeaux étaient plus prompts à faire une gaffe quand il était là.
“Mec... t'as vu ton frère dans la douche ? Je sais que vous êtes proches mais là c'est un peu trop proches,” taquina Andreas. En fait il n'en pensait rien de particulier. Après tout, ils se voyaient tous nus les uns les autres quand ils se changeaient pour la gym. Andreas leur rendait la vie dure juste parce que les jumeaux se rendaient toujours la vie dure, et il essayait de se mettre au diapason.
Tom devint rouge pivoine et ne pipa plus un mot, comme il le faisait toujours quand ce genre de choses arrivaient. Heureusement, Bill savait parfaitement comment attirer toute l'attention sur lui. Il éclata de rire et fronça le nez de dégoût. “Pour rien au monde je voudrais voir le petit cul pâlichon de Tom ! Juste, il avait l'air d'être prêt à camper dans la douche et j'avais besoin de mon spray fixant,” mentit Bill avec aisance. La vérité était bien plus intéressante et n'avait rien à voir avec du spray fixant. Heureusement, Andreas sembla parfaitement se satisfaire du mensonge et ne remarqua même pas que Tom rougissait avec nervosité.
Une fois tous ses livres entassés dans son sac, Bill prit la tête de la marche et ouvrit la porte comme si rien ne s'était passé. Les choses de ce genre arrivaient très souvent, et Bill avait appris que la meilleure des défenses était de faire comme si de rien n'était. Montrer comme Tom qu'on était secoué ne faisait que rendre les gens plus suspicieux. Bill avait découvert que la meilleure parade était juste d'en rire.
En marchant les jumeaux se placèrent chacun d'un côté d'Andreas, s'assurant de ne pas l'exclure comme ils le faisaient étant plus jeunes. Se forcer à ne pas exclure les autres était l'une des nombreuses choses à propos desquelles le docteur Engle les avait aidés. C'était un travail constant et ils avaient encore des progrès à faire, mais les choses allaient de mieux en mieux. Toujours un peu nerveux à cause de son erreur, Tom garda les yeux fixés au sol en traînant les pieds. Bill traînait lui aussi les pieds, mais c'était pour une raison totalement différente.
“Vous voulez qu'on traîne après l'école ou un truc du genre ?” demanda Andreas avec espoir, shootant dans un caillou le long du trottoir tandis qu'ils marchaient. Il pouvait déjà deviner quelle serait la réponse.
“On a répèt' aujourd'hui. On a un concert dans pas longtemps,” répondit Tom sans avoir l'air désolé du tout. En ce moment précis la perspective d'avoir Andreas dans les parages ne le réjouissait pas du tout.
“Tu peux venir voir,” suggéra Bill avec enthousiasme, inconscient du désir de son frère de se retrouver un peu loin d'Andreas. C'était l'un des problèmes que le docteur Engle n'avait pas encore réussi à leur faire résoudre. Bill oubliait souvent de prendre en considération ce que les autres voulaient, Tom inclus.
Bill n'avait peut-être pas encore appris la leçon qui consistait à se mettre d'accord avec Tom d'abord, mais ce n'était par contre pas le cas d'Andreas. De se retrouver deux fois avec le nez en sang et régulièrement avec le visage dans la poussière avait appris à Andreas l'importance de s'assurer du niveau de jalousie de Tom. Andreas était maintenant assez sage pour savoir qu'il devait précautionneusement jeter un œil à Tom avant de répondre, et le regard furieux qu'il récolta le renseigna quant à la manière dont il lui convenait de répondre.
“Non merci. D'être assis là à t'écouter chanter faux devient pour ainsi dire relativement chiant après la centième fois,” répondit Andreas avec un sourire. Il lui fallait alléger l'atmosphère, ou sinon il allait une fois de plus de retrouver avec la bouche pleine de poussière. Parfois Andreas ne savait pas comment il faisait pour se retrouver dans la merde vis-à-vis de Tom, mais ça finissait toujours par arriver. “Je viendrai à votre concert par contre, d'accord ?” ajouta-t-il, réussissant enfin à tirer un sourire à Bill. Etre le meilleur ami des jumeaux Kaulitz requerrait plus de tact et une vitesse de raisonnement plus rapide que ce qui était nécessaire pour apprivoiser un lion.
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“Donc ce n'est pas avec Andreas que vous vous êtes battus ?” demanda le docteur Engle. Il avait patiemment écouté Bill lui reporter le plus insignifiant des détails de leur journée, s'attendant à s'entendre dire que le garçon qui était prêt à affronter l'amitié des jumeaux Kaulitz avait fini par exploser et par imposer à Tom ce que celui-ci lui faisait subir.
“Non, la bagarre a eu lieu plus tard,” dit Bill, clairement frustré d'avoir été interrompu. Il essayait de raconter une histoire là, et le docteur Engle n'arrêtait pas de poser des questions. Tom se tortilla nerveusement et Bill tendit par réflexe la main vers lui, venant la poser sur sa cuisse. Le plus âgé des jumeaux avait l'air positivement misérable tandis qu'il maintenait le sac de glace contre sa mâchoire et pliait ses doigts enflés à l'intérieur de leurs bandages.
Ils étaient censés être en répétition avec leur groupe, mais lorsque l'école avait appelé Simone elle avait immédiatement appelé le docteur Engle pour qu'il reçoive les garçons en urgence. La réaction première de Simone lorsque survenait un problème avec ses garçons semblait être de les envoyer chez le docteur Engle. Ce n'était pas qu'elle ne voulait pas s'en occuper elle-même, c'était juste qu'elle ne savait pas vraiment comment faire. Bien que Simone aime énormément ses garçons, cela faisait bien longtemps qu'elle ne les comprenait plus. Elle voulait juste ce qui était le mieux pour eux, et si ça voulait dire les envoyer chez cet étranger qui avait l'air d'entrer si facilement dans leurs têtes, alors c'était ce qu'elle ferait.
“Tu peux me dire ce qu'il s'est passé juste avant la bagarre, Bill ?” demanda le docteur Engle. L'histoire détaillée que Bill lui avait faite de leur journée avait été assez révélatrice, mais elle n'expliquait pas pourquoi Tom avait la mâchoire enflée et les articulations meurtries. Il avait déjà dû décaler deux rendez-vous pour pouvoir s'occuper des jumeaux, il fallait vraiment qu'il obtienne des réponses.
“Très bien,” dit Bill, levant les yeux au ciel. A vrai dire, il n'avait pas envie d'en arriver à ce moment précis de l'histoire. Il avait fait exprès de s'étaler sur tout le reste, espérant que la fin de la séance arriverait avant qu'il n'ait à en parler. “Tomi, dis-lui ce qu'il s'est passé,” incita Bill. La mâchoire de Tom avait beau être enflée, sa douleur diminuerait sans aucun doute s'il racontait ce qu'il s'était passé.
“Alex et Lukas ont traité Bill de pédale,” murmura doucement Tom, ses mots un peu mâchés à cause de sa blessure à la bouche, les yeux noircis par la colère.
“Ca a dû être très difficile à entendre. Qu'est-ce que tu as ressenti quand ils ont dit ça, Tom ?” demanda le docteur Engle avec grand intérêt. Il savait que Bill était probablement secoué lui aussi, mais vu la façon dont les choses se présentaient, c'était Tom qui le vivait le plus mal.
“J'ai eu envie de les tuer,” répondit froidement Tom.
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Malgré la tendance de Bill à semer ses livres de classe, les garçons arrivèrent tout de même à l'école avant que la cloche ne sonne. Tandis qu'ils traversaient la cours, Tom se souvint qu'il avait oublié quelque chose dont il avait besoin pour la première heure dans son casier. Promettant de les retrouver au niveau du bâtiment des sciences après l'avoir récupéré, Tom se dirigea rapidement vers le bâtiment principal pour aller chercher son cahier de TP de chimie. Tom n'avait pas encore traversé la moitié de la cours avant qu'une voix hargneuse ne lui fasse faire demi-tour et qu'il ne retourne vers Bill. Il n'avait pas eu besoin d'assister à l'échange verbal pour savoir que l'insulte était destinée à son frère.
“Hey la pédale, est-ce que ton petit copain et toi vous vous êtes tenu la main en venant à l'école aujourd'hui ?” railla le garçon brun qui pourrissait la vie des jumeaux depuis la maternelle. Et oui, c'était aussi lui qui avait déclenché la bagarre qui avait eu lieu dans la cours du Kindergarten. Et tout comme il l'avait été la fois précédente, Alex était accompagné par son meilleur ami Lukas. Alex et Lukas étaient restés amis pendant le primaire, et ils avaient aussi entretenu la haine qu'ils éprouvaient à l'égard des jumeaux Kaulitz.
Bill choisit d'ignorer l'insulte malgré la douleur cuisante provoquée par ce mot infect. Il arrivait à supporter d'être traité de bien des choses, mais ce mot particulier le brûlait de l'intérieur. “Donc voilà, le concert est samedi. Ca ne sera pas un très gros truc, mais au moins on nous verra,” dit-il à Andreas, tournant le dos à Alex et Lukas, faisant semblant de ne pas avoir entendu l'insulte. Bill était soulagé que Tom ne soit pas là. Tom n'arrivait pas à juste laisser couler les choses comme ça.
Mais Alex n'était pas prêt à laisser couler. Il s'approcha d'un peu plus près, suivant les mouvements de Bill pour pouvoir se placer pleinement face à lui. “Tu parles de ton petit groupe d'homos, Kaulitz ? J'ai entendu dire que tous les quatre vous êtes une belle petite bande de tapettes. Alors dis-moi, lequel est-ce que tu suces ? Le batteur ou le bassiste ?”
Lukas intervint, répondant à la question de son ami, “Je parie que c'est le batteur. Le bassiste a plus l'air d'être le genre de mec de Tom.” N'ayant que douze ans, il n'était pas apparu au garçon à tâches de rousseur que de porter autant d'attention aux couples que pourraient former d'autres garçons n'était pas exactement le passe-temps le plus hétérosexuel qui soit.
Andreas n'était pas bien sûr de savoir quoi faire. Il était furieux de la merde qu'Alex et Lukas déblatéraient sur ses meilleurs amis, mais il était légèrement plus petit que les autres garçons, et il ne pensait pas être capable de pouvoir se battre contre les deux en même temps. Bill pourrait sans doute essayer d'aider, mais Andreas ne voulait pas que Bill soit impliqué dans la bagarre. Il n'avait aucune envie de devoir faire face à Tom et à ce dont il serait capable si son frère était blessé. “Viens, Bill, allons retrouver Tom,” dit Andreas, tirant Bill par le bras pour l'entraîner vers le bâtiment principal.
“C'est quoi le problème, fillette ? T'as peur que je te botte le cul et qu'on finisse une fois de plus par te le reprocher ? Ce sera juste comme à la maternelle. Les profs seront de mon côté parce qu'ils savent que toi et ton frère vous n'êtes que deux petites pédales et que personne ne veut de vous ici,” cracha Alex.
Bill finit enfin par ouvrir la bouche pour répliquer aux insultes, mais il n'en eût jamais l'occasion. Personne n'avait vu Tom approcher. Personne ne l'avait vu de tapir dans le renfoncement du bâtiment, écoutant les autres garçons insulter son frère, devenant de plus en plus furieux. Lorsqu'Alex s'approcha trop près de son frère, Tom lui bondit dessus.
Le poing de Tom entra violement en contact avec le ventre d'Alex, lui coupant et le souffle et les jambes. Il n'en fallait pas plus à Andreas pour qu'il participe. Quand Lukas fondit sur Bill, toutes les inquiétudes d'Andreas quant à une éventuelle punition s'envolèrent. Il plaqua bizarrement le garçon plus grand, le faisant tomber au sol par la seule force brute. Bill ne pouvait que rester là à regarder, hurlant alors que son frère et son meilleur ami roulaient au sol, prenant la poussière, jouant des poings pour prendre sa défense.
Ils furent rapidement entourés par un cercle d'élèves qui criaient des encouragements tout en observant la bagarre, et la cours se trouva tachetée de sang avant que les professeurs ne puissent enfin séparer les garçons. Il avait fallu l'intervention de deux professeurs et l'aide de trois élèves plus âgés pour réussir à séparer les quatre garçons, surtout lorsque Bill avait commencé à donner des coups de pied à l'un des garçons plus âgés qui essayait d'aider. Ce garçon avait fait l'erreur de toucher Tom avec trop de brutalité, et Bill en avait assez de rester juste là, debout à crier.
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“Qu'est-il arrivé à Andreas après la bagarre ?” demanda le docteur Engle après que les jumeaux aient enfin fini de lui retracer l'histoire. Tom avait donné la plupart des précisions quant à ce que les garçons avaient dit, mais c'était Bill qui avait apporté la description de la bataille. Naturellement, l'histoire que les jumeaux lui avaient racontée était montrée en leur faveur, mais le docteur Engle était assez avisé pour savoir faire la part des choses et se faire une idée assez exacte de ce qu'il s'était véritablement passé.
“Il a un œil au beurre noir,” murmura misérablement Tom. Il lui arrivait bien de malmener lui-même Andreas de temps à autres, mais il était furieux que quelqu'un d'autre que lui ait levé la main sur lui. Andreas était monté dans son estime en venant l'aider à défendre Bill.
“Et pour l'école ? Est-ce que ses parents sont en colère ?” s'enquit le docteur Engle.
“Il est exclu pour trois jours, comme nous. Ses parents lui ont interdit de venir à notre concert, aussi,” dit Bill, écaillant son vernis à ongle sans vraiment y faire attention.
Le docteur Engle ne fut pas surpris d'entendre que les jumeaux allaient monter sur scène malgré ce qu'ils avaient fait. De plus en plus, il semblait que leur musique prenait le pas sur ce qui était juste pour eux. Il y eut un moment de silence durant lequel il prit en considération la leçon qu'ils pourraient retirer de cette expérience. Au final, il décida de laisser les garçons la trouver par eux-mêmes.
“L'un d'entre vous a-t-il tiré quelque chose de ce qu'il s'est passé aujourd'hui ?” demanda le docteur Engle sans user du ton condescendant qui accompagnait généralement cette question lorsqu'elle était posée par un adulte.
“Il faut pas se battre,” dit mécaniquement Bill. C'était ce genre de réponses que les adultes voulaient entendre quand ils demandaient des choses du genre de “As-tu bien appris la leçon ?”
“La violence ne résout rien,” marmonna Tom, répétant une phrase que le docteur Engle lui avait déjà dite.
“Ce sont deux choses qu'il est bon de retirer de cette histoire, mais je pensais à quelque chose qu'un peu plus global. Les décisions que vous avez prises aujourd'hui ont blessé plusieurs personnes. Cinq personnes ont été exclues, quatre ont été blessées, et vos actions ont secoué les autres élèves, les professeurs, et les parents,” dit le docteur Engle, gentiment, mais en jouant tout de même les mentors. Contrairement aux autres adultes, il n'était pas vraiment une représentation de l'autorité. Il était leur confident, leur allié fidèle en qui ils avaient toute confiance. Ils prenaient en compte ses paroles avisées, et ce même quand ils n'avaient pas envie de les entendre.
Le docteur Engle observa les jumeaux se tortiller, mal à l'aise d'avoir à considérer une réalité qu'ils n'avaient pas envie de voir. “Tom, Bill, il faut que vous pensiez au-delà de vous. Il faut parfois s'arrêter et prendre la peine de réfléchir. Andreas est votre meilleur ami, et vos choix d'aujourd'hui l'ont blessé. Je ne dis pas qu'Andreas n'est pas responsable d'avoir choisi de se battre lui aussi, mais il faut que vous réfléchissiez à la façon dont vos actions affectent les autres. C'est comme de jeter une pierre dans un étang. Même si vous ne jetez qu'une pierre en plein milieu, les ondulations qu'elle va provoquer atteindront chaque endroit de la rive.”
Les jumeaux écoutèrent sobrement, hochant juste suffisamment la tête pour que le docteur Engle sache qu'il avait été entendu. Il n'avait pas besoin d'une réponse. Il les laissa réfléchir durant quelques minutes avant d'engager leur conversation dans une nouvelle direction. La demi-heure restante de cette double séance fut consacrée à une discussion quant à la façon dont ils géreraient les caïds à l'avenir, ainsi qu'aux sentiments de ce mot horriblement abject leur faisait ressentir à tous deux. Pour la première fois, les jumeaux parlèrent vraiment de ce que cela voulait dire que d'être gay et essayèrent de voir si c'était vraiment ce qu'ils étaient. La conclusion immédiate que fit Tom fut qu'il ne l'était pas, mais Bill dit qu'il n'était pas encore bien sûr de savoir pour le moment, et le docteur Engle leur dit que ça ne posait aucun problème.
A la fin de la séance les jumeaux pouvaient ressentir ce soulagement que seul le docteur Engle savait provoquer. Durant l'année précédente ils l'avaient vu de moins en moins, et ils avaient oublié à quel point ses mots pouvaient être réconfortants. Il les faisait réfléchir à des choses auxquelles ils n'avaient pas envie de penser. Il leur parlait en toute franchise des risques liés à ce qu'ils faisaient. Il les exhortait à envisager de se séparer, mais jamais il ne les faisait se sentir sales et tordus comme cela leur était déjà arrivé de se considérer.
“C'est la fin de la séance les garçons. Je vais discuter avec votre mère de la prochaine séance où je vais vous revoir, et j'espère que la prochaine fois ça ne sera pas à cause d'une erreur, d'accord ?” dit le docteur Engle avec un gentil ton de réprimande. Les jumeaux hochèrent honteusement la tête et se levèrent du divan, s'obligent à se lâcher la main, comme ils le faisaient toujours quand ils retournaient affronter la dure réalité du monde extérieur. “Tom ? Je peux te parler seul à seul juste une minute avant que vous ne partiez ?” demanda le docteur Engle, arrêtant Tom avant qu'il n'ait franchi la porte.
Tom hocha la tête à l'intention de Bill, lui faisant savoir qu'il pouvait y aller sans lui. “Qu'est-ce qu'il y a ?” demanda-t-il nerveusement une fois qu'il se retrouva seul avec le médecin.
Le docteur Engle se déplaça dans la pièce, préparant ses affaires pour son prochain patient tout en parlant d'un air dégagé à Tom. “Il y a une chose à laquelle je veux que tu réfléchisses. C'est quelque chose qui pourra avoir de l'importance dans ta vie future. Je veux que tu réfléchisses à la raison pour laquelle tu as frappé Alex et Lukas aujourd'hui. Je sais que tu étais en colère qu'ils aient insulté Bill, mais je me demande s'il n'y avait pas autre chose. Je veux que tu réfléchisses à ce que tu as ressenti quand ils ont suggéré que Bill puisse être avec Andreas ou Gustav. Est-ce que tu peux faire ça pour moi, Tom ? Je pense que c'est une chose dont nous devrions reparler la prochaine fois.”
“Ouais, d'accord,” murmura doucement Tom. Il ne comprenait pas vraiment, mais en général quand le docteur Engle lui disait de réfléchir à quelque chose, ça s'avérait toujours par se révéler être quelque chose d'important.
“Très bien Tom, on se voit la prochaine fois. Ne t'attire pas d'ennuis et souviens-toi ce dont nous avons parlé,” dit le docteur Engle avec un sourire amical.
La porte se referma derrière Tom et le docteur Engle put profiter de quelques instants de répit dans son sanctuaire pour enfants. Il s'enfonça dans son fauteuil et ajouta quelques notes falsifiées dans le dossier des jumeaux Kaulitz. Il finit rapidement et repoussa les dossiers, et s'affala dans son fauteuil. Avec un soupir, il remonta la manche gauche de sa chemise et retraça doucement la petite cicatrice qui ornait son avant-bras, symbole qu'il avait gagné en protégeant Charlie. Les choses auraient été tellement moins douloureuses s'il ne s'était ne serait-ce qu'un tout petit mieux compris, ne serait-ce qu'un tout petit peu plus tôt. Ils avaient tous deux dû payer le prix de sa jalousie.
FIN CHAPITRE 12