Chapitre 22. Souffrance
L'expérience émotionnelle basique d'un individu confronté au désagrément et à l'aversion associés à la douleur ou à la menace de la douleur
David se pinça l'arrête du nez et tâtonna pour saisir la boîte d'aspirine qu'il rangeait dans son sac. Sa tête avait pulsé toute la nuit, particulièrement lorsqu'il avait été au téléphone avec le label, essayant de les convaincre que tout allait bien. Tout n'allait pas bien. On n'en approchait même pas.
Le concert avait été un désastre absolu. Georg et Gustav étaient concentrés, comme d'habitude, mais les jumeaux n'étaient pas du tout focalisés et il était évident, même pour l'œil non averti, que quelque chose n'allait pas. David était terrifié à l'idée de ce qu'il allait trouver dans les journaux à scandales le lendemain, mais il ne pouvait pas y faire grand-chose. Les jumeaux ne s'étaient qu'à peine regardés pendant tout le concert, et à plusieurs moments on aurait dit que Bill était sur le point de fondre en larmes sur scène. C'était un véritable cauchemar en terme de publicité, et comme d'habitude, David allait devoir réparer les pots cassés.
Au matin il irait parler aux jumeaux. Pour le moment ils étaient en sécurité dans leurs chambres et David avait juste assez de temps pour essayer de grappiller quelques heures de sommeil avant de devoir se lever et aller constater les dégâts. Après avoir saisi une bouteille d'eau dans le minibar, David avala un comprimé d'aspirine et se dirigea vers le lit.
“Jost, il faut que je vous parle,” appela une voix bourrue depuis l'extérieur, accompagnant le petit coup frappé à la porte. David soupira et secoua la tête. Evidement, la sécurité voulait lui parler de quelque chose. Adieu, sommeil.
“Un problème, Albert ?” demanda David tandis qu'il ouvrait la porte pour y trouver le garde du corps debout de l'autre côté. Il était assez inhabituel que quelqu'un de l'équipe vienne directement à lui pour lui parler d'un problème. David jeta un œil dans le couloir, se demandant si on lui envoyait Albert parce que Saki était occupé ailleurs.
“On peut dire ça... Il faut que je vous parle en privé. Est-ce que je peux entrer ?” demanda le garde du corps, s'avançant un peu avant même d'avoir été autorisé à entrer et faisant ainsi clairement comprendre que ‘non' ne serait pas une réponse acceptable.
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Bill était tellement fier de lui d'avoir réussi à faire tout le concert sans pleurer sur scène. Il avait même réussi à sourire un peu quand ils avaient signé des autographes sur le retour vers l'hôtel, mais tout ce qui retenait Bill et l'empêchait de craquer s'effondra au moment où il passa le seuil de sa chambre d'hôtel. Bill parvint à y faire trois pas avant qu'un long sanglot réprimé ne passe la barrière de ses lèvres et qu'il ne s'effondre au sol, petit tas secoué par les larmes.
Tom n'avait réussi à faire le concert que parce qu'il était trop engourdi pour sentir la douleur qu'il aurait dû ressentir. Le brouillard était de retour et Tom avait de nouveau l'impression d'être sous l'eau. Ses sens étaient amoindris, ses mouvements lents, et pour lui rien n'avait de sens. Au moment où il rejoignit sa chambre d'hôtel, Tom était tellement déconnecté qu'il n'arrivait pas à se rappeler des heures qui venaient de s'écouler. Il n'arrivait même pas à se rappeler être monté sur scène. Tout ce qui était arrivé après cet horrible moment qui allait bouleverser sa vie était flou. Tom parvint à faire trois pas à l'intérieur de sa chambre d'hôtel avant que la pression du brouillard ne le submerge et qu'il ne puisse plus avancer.
Les sanglots étouffés qui provenaient de la chambre voisine sortirent Tom de son engourdissement. Il se tourna vers la source du son et quand celui-ci retentit de nouveau il réalisa quelle en était l'origine. Malgré l'effort qu'il avait à fournir pour se déplacer, Tom se dirigea vers la porte qui reliait leurs deux chambres. Heureusement, elle n'était pas verrouillée. La première chose que les jumeaux faisaient en s'installant dans leurs chambres d'hôtel était de déverrouiller la porte qui les séparait. Tom ouvrit la porte avec précautions, mais quand un nouveau sanglot secoua le torse de son frère, il se trouva soudainement capable de bouger à nouveau. L'engourdissement et le brouillard n'étaient rien en comparaison de sa motivation à réconforter son frère.
Tom se laissa tomber à genoux aux côtés de Bill et prit son jumeau sanglotant dans ses bras. Bill enfouit son visage dans l'épaule de son frère, essayant de retenir ses larmes, ce qui fit trembler son corps tout entier. Alors qu'ils s'accrochaient très fort l'un à l'autre, l'engourdissement de Tom s'évanouit peu à peu, mais la douleur qui le remplaça fut si violente qu'il se dit qu'il préférait en fait la déconnexion qu'il ressentait auparavant. Les occasionnels sanglots et reniflements mis à part, les jumeaux étaient silencieux. Il n'y avait rien à dire. Ce qu'ils craignaient le plus venait d'arriver, et il n'y avait rien qu'ils ne puissent dire à l'autre qui pourrait mettre fin à ce cauchemar.
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“Attendez... Vous dites que vous avez vu quoi ?” David regardait fixement Albert, incrédule. Le plus jeune membre de l'équipe de sécurité avait tout craché si rapidement que David était persuadé qu'il avait mal compris.
“Je... J'ai surpris les jumeaux ensemble,” répondit Albert, du dégoût dans la voix.
“Surpris les jumeaux ensemble à faire quoi ?” David ne suivait toujours pas. Les jumeaux étaient toujours ensemble. Pourquoi Albert en faisait-il tout un foin ?
“Non... Je les ai surpris ensemble ,” chuchota Albert. Ce n'était pas un sujet dont on pouvait parler à voix haute, même en privé.
“Ensemble ?” répéta David.
“A faire des trucs sexuels,” finit par expliciter Albert.
“Des trucs sexuels...” David semblait incapable de faire autre chose que répéter les mots d'Albert.
“Avant le concert, dans la loge. Je suis entré pour voir si tout allait bien et m'assurer que Bill ne s'était pas de nouveau enfui, et je les ai surpris ensemble.”
“Ensemble...”
“Oui, ensemble !” Albert avait presque hurlé.
“A faire...”
“Des trucs sexuels,” compléta Albert.
David avait l'air sur le point d'être malade.
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Les sanglots finirent par s'espacer une fois que Bill se fut épuisé. Les jumeaux étaient tous deux assis par terre, le dos de Tom pressé contre le mur et Bill enroulé tout contre son torse. Tom fit doucement glisser ses doigts dans les cheveux de Bill, trouvant tout autant de réconfort dans ce simple geste que Bill. A part un hoquet ou un reniflement de Bill de temps à autres, ils restèrent silencieux pendant un long moment.
Bill finit par soulever la tête, levant les yeux vers Tom, ses joues striées par les larmes. Ils ne pouvaient pas se taire et faire semblant d'ignorer ce problème. Faire semblant et continuer comme si de rien n'était ne marcherait pas cette fois-ci. Bill savait que son frère serait peut-être incapable de parler, mais il fallait au moins qu'ils essaient.
“Tomi, est-ce que ça va ?” demanda doucement Bill. C'était lui qui avait sangloté, mais le silence de Tom était bien plus effrayant.
Tom secoua la tête et tint Bill un peu plus serré contre lui. C'était plus l'intensité de sa souffrance qu'une désorientation douloureuse qui l'empêchait d'ouvrir la bouche cette fois-ci, mais il parvint malgré tout à communiquer son message à Bill. Tom ne pouvait pas être le plus fort pour le moment.
Bill se redressa et saisit la main de Tom dans la sienne tandis qu'il fixait les yeux pleins de larmes de son frère. Les larmes de Bill s'étaient asséchées, mais les yeux de Tom brillaient encore des larmes qu'il refusait de laisser couler. “Tomi, s'il te plaît. J'ai besoin de toi. Reste avec moi,” supplia Bill. Le corps de Tom était présent, mais il avait tout autant besoin de son esprit et de son âme. Bill ne pouvait pas être fort pour eux deux. Il arrivait à peine à ne pas s'effondrer lui-même de nouveau.
Tom laissa sa tête retomber vers l'avant, reposant son front contre celui de Bill. Quelques larmes solitaires finirent enfin par s'échapper et coururent le long de ses joues, mais il ne se laissait toujours pas aller à vraiment pleurer. Bill enroula ses bras très fort autour de Tom et le tint fermement dans son étreinte. La proximité des jumeaux donna de la force à Tom, et bien que cela le terrifie, il se battit pour repousser le brouillard et ouvrit la bouche pour parler. “Je suis désolé, Bill. J'aurais dû...” commença-t-il, balbutiant ses excuses.
“Ne le sois pas,” insista Bill, posant son index contre la bouche de Tom, “Je veux que tu parles, mais ne t'excuse pas. S'il te plaît. Ce n'est pas de ta faute.” Bill fit glisse son doigts depuis la bouche de Tom pour aller essuyer les larmes sur ses joues. Il déposa un doux baiser sur les lèvres de Tom avant de reprendre sa place tout contre lui, reposant sa tête sur son épaule.
“Qu'est-ce qu'on va faire ?” murmura Tom, se penchant en avant pour enfouir son visage dans les cheveux de Bill. L'odeur de son jumeau lui donnait un ancrage dans la réalité, lui donnait de la stabilité. Elle l'empêchait de se sentir de nouveau tout engourdi.
“Je ne sais pas... Je ne sais pas comment réparer ça. Juste, s'il te plaît, ne t'en va pas, Tomi. S'il te plaît, ne t'en va pas encore.”
“Je reste avec toi. J'essaie vraiment, Bill.”
“Je sais. Je peux de nouveau te sentir. Je n'y arrivais pas quand on était sur scène. Ca m'a fait tellement peur. J'ai cru que j'allais me mettre à pleurer à tout moment.”
“Georg et Gustav doivent être énervés. C'était le pire des concerts qu'on ait jamais donnés. J'arrive même pas à me rappeler de la moitié.”
“Ca va sans doute être le dernier, pourtant. C'est vraiment trop horrible que ça se finisse comme ça...”
“Ne dis pas ça ! Ce n'est pas fini. On va trouver quelque chose.”
“Et quoi, Tomi ? Comment on pourrait arranger ça ? Il nous a vus. Il m'a vu… il m'a vu te faire ça. Ce n'est pas comme avant, Tomi. Ce n'est pas comme quand Maman nous a surpris. Nous ne sommes plus de petits enfants. Avant ils pouvaient se dire qu'on ne savait pas ce qu'on faisait. Maman pouvait se dire que ce n'était que de petites expériences de gamins. Là, tout est foutu. La tournée… notre contrat… Tokio Hotel est mort. Tom, et si jamais ils essayent de nous séparer ?”
“Ils pourront pas nous séparer. Je les laisserai pas.”
“Promis ?”
“Promis.”
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“Je suis sûr que vous avez dû vous méprendre. Bill peut se montrer très affectueux. Les jumeaux ont toujours été très proches,” dit David, secouant la tête d'incrédulité.
“C'était plus que de l'affection fraternelle,” insista Albert.
“Je suis sûr que ce devait juste être un câlin. Vous vous faites juste des idées, vous y prêtez des intentions qui n'y sont pas. Que les jumeaux se touchent et se câlinent beaucoup en privé ne veut pas dire qu'il y ait là quoi que ce soit d'inconvenant,” dit David sur un ton défensif.
“Est-ce qu'en temps normal les jumeaux se font des câlins alors qu'ils sont nus ? Alors que Bill est à genoux ?” demanda Albert, dégoûté et furieux que David refuse de l'écouter.
“Arrêtez-vous tout de suite !” exigea David, retenant sa main. Il ne voulait pas en entendre plus. Il était évident qu'Albert essayait de se venger d'une petite rancune personnelle qu'il avait contre les jumeaux. Il était peut-être encore fâché que son job soit en position précaire après qu'il ait perdu la trace de Bill, mais il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même, et de venir déblatérer tout ça n'allait définitivement pas améliorer sa situation.
“Ecoutez, Jost, je vous rends service là. Vous méritez de savoir ce qu'il se passe avant que ces deux monstres tordus se fassent surprendre par quelqu'un qui ne fasse pas partie de l'équipe et que tout le monde se retrouve dans la merde.”
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La douleur de leurs membres repliés par leur position sur le sol inconfortable finit par devenir trop forte et les jumeaux furent obligés de bouger. Ils se détachèrent l'un de l'autre avec réticence et allèrent s'installer sur le lit. Parler ne les avait pas beaucoup fait avancer. La communication leur avait toujours été présentée comme la solution à tous leurs problèmes, mais dans le cas présent elle ne leur était d'aucune utilité. D'avoir parlé n'avait rien changé au fait que leur plus grande peur s'était réalisée. Cela n'avait en rien atténué l'humiliation d'avoir été surpris en pleine action. Cela n'avait pas soulagé leurs peurs de voir tout ce qui leur était cher leur être arraché.
Les jumeaux essayaient d'apprendre de leurs erreurs. Ils essayaient de parler, et d'écouter, mais là ce n'était pas le type de problème que l'on pouvait résoudre en parlant. Ils auraient pu passer toute la nuit à parler, et le matin venu ils se seraient encore trouvés dans l'état de désespoir qui était le leur actuellement. Aucun d'entre eux n'était dans l'état d'esprit nécessaire pour mettre un plan en place ainsi qu'ils l'avaient fait quand ils étaient enfants et avaient à faire à des situations difficiles. Il semblait qu'il n'y ait en fait strictement aucun moyen de se sortir de cette situation. Sans rien d'autre à quoi se raccrocher, les jumeaux retombèrent dans leurs vieilles habitudes et se tournèrent l'un vers l'autre pour trouver du réconfort, sachant alors que ce pourrait fort bien être la dernière fois.
Les mots n'étaient pas nécessaires. Les jumeaux savaient ce que l'autre pensait. Ils avaient besoin du réconfort et de la sécurité du corps de l'autre. Ils avaient besoin de la bouffée d'endorphines qui accompagnait la libération et repoussait la douleur pour un petit temps. Ils avaient besoin de se sentir l'un l'autre une dernière fois, juste au cas où. Ils avaient besoin de se dire au revoir, parce qu'ils savaient qu'au petit matin, ils seraient peut-être séparés, et pour toujours cette fois. Leurs promesses de trouver un moyen de s'en sortir et de rester toujours ensemble n'étaient que des mots vides destinés à se réconforter, et tous deux le savaient.
Ils ôtèrent leurs vêtements, qu'ils jetèrent sans soin au sol, en tas. Ils défirent les draps du lit et les repoussèrent sur le côté, de façon à pouvoir les reprendre pour s'en couvrir quand ils ne seraient plus autant consumés par leur propre chaleur. Leurs corps nus se trouvèrent l'un l'autre du milieu du lit. Leurs membres se mêlèrent. Leurs lèvres se rencontrèrent. La chaleur et le besoin entrèrent en collision. Le plaisir domina chacun de leurs sens, et les larmes coulèrent malgré tout.
Tom effaça de doux baisers les larmes qui coulaient sur les joues de son frère tandis qu'il le serrait fort dans ses bras. Sa propre gorge le brûlait des larmes qu'il retenait, et sa poitrine était douloureuse des sanglots qu'il ne pouvait laisser éclater. Il aurait aimé être aussi désinhibé que son jumeau ; pouvoir comme lui pleurer, sangloter et ainsi laisser sortir la douleur.
Bill s'accrocha à son frère, se rassasient de la force et de la sécurité de ses bras forts. Il aurait aimé avoir autant de contrôle sur lui-même que son jumeau ; pouvoir comme lui résister au moment le plus douloureux de leur vie sans verser une larme.
Quand les larmes furent effacées par les baisers, leurs lèvres se rencontrèrent de nouveau et se connectèrent en un baiser passionné. Tom attira Bill sur lui pour une étreinte encore plus intime. Les jambes de Bill s'enroulèrent autour de la taille de Tom tandis qu'ils se tenaient fort l'un l'autre, la chaleur montant entre eux. Ils rompirent le baiser, et les lèvres de Tom se retrouvèrent à la place sur la gorge de Bill. La respiration de Bill était chaude contre son oreille, mais aucun mot ne lui fut murmuré.
Tom se déplaça, faisant descendre Bill de sur lui et l'allongeant sur le matelas. Il grimpa sur son jumeau, le couvrant de son corps, trouvant de nouveau ses lèvres. Tom essayait désespérément de l''embrasser pour se faire sentir mieux', comme il le faisait quand il n'était qu'un petit garçon, mais la blessure était trop profonde et les baisers ne soulageaient pas la douleur.
Bill leva des yeux suppliants vers son frère, le priant silencieusement de faire quelque chose pour le soulager de la douleur. Tom se pencha pour lui voler un autre baiser et laissa leurs corps glisser l'un contre l'autre. Ils poussèrent contre l'autre, se glissèrent contre l'autre, et cherchèrent dans les lèvres de l'autre du réconfort, en un étrange parallèle avec le moment où ils avaient pris en premier lieu le chemin qui les avait amenés jusqu'ici.
La tension et la chaleur s'intensifièrent entre eux tandis qu'ils cherchaient le salut dans le corps de l'autre. Quand cela devint trop à supporter, ils se séparèrent brièvement pour que Tom puisse chercher le petit tube de lubrifiant qu'ils avaient toujours sous la main. Un autre risque qu'ils avaient pris, mais au final ce n'était pas ce qui avait entraîné leur destruction. Ils avaient pris tellement de risques, mais au final cela avait été leur jalousie et leur manque de communication qui les avaient mené à une unique erreur de négligence. Que quelqu'un trouve le petit tube de lubrifiant qui les avait tant inquiété aurait été minuscule et négligeable en comparaison.
Se faire surprendre était la dernière chose qu'ils avaient en tête lorsque Tom effectua les mouvements familiers qui les prépareraient, lui et son frère, à être unis. Les lèvres trouvèrent de nouveau celles de l'autre, étouffant leurs cris de plaisir tandis que Tom s'enfonçait en Bill. Tout au fond de leur esprit, ils savaient que ce pourrait être la dernière fois, et de savoir cela rendait douce-amère chaque vague de plaisir. Leurs ébats furent brefs et n'aidèrent en rien à apaiser la douleur en leurs cœurs. Les mots “Je t'aime,” étaient sur leurs lèvres lorsqu'ils atteignirent le soulagement, mais tout ce qui sortit avec leur respiration furent des gémissements désespérés. Lorsque les vagues de plaisir s'apaisèrent, ils restèrent dans les bras l'un de l'autre durant un long moment silencieux, restant unis et connectés aussi longtemps qu'ils le pouvaient. Au matin ils seraient peut-être séparés pour la dernière fois, mais en cet instant, ils étaient un.
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“Sortez !” cria Jost. Il ne pouvait en entendre plus. Au moment où Albert avait essayé de commencer à lui donner des détails sur ce qu'il prétendait avoir vu, Jost avait cessé d'écouter. Il connaissait Bill et Tom depuis qu'ils avaient treize ans, et après toutes ces années consacrées à les protéger de tout ce qu'il pouvait, Jost ne pouvait pas supporter d'écouter des accusations aussi vicieuses et aussi dégoûtantes.
“J'essaye juste d-”
“SORTEZ !”
David tremblait de colère lorsqu'Albert fit enfin preuve d'un peu de bon sens et se retira de la chambre d'hôtel. Un horrible mal de crâne submergea David, mais il était impossible qu'il puisse trouver le sommeil désormais, pas avec ces images dans la tête. Il fouilla dans ses poches, cherchant son portable avec frénésie bien qu'il ne soit pas encore sûr de savoir qui il allait appeler en premier.
“ Est-ce qu'il y a un problème ? ” Dans un style typiquement Saki-esque, le garde du corps ne prit pas la peine de le saluer.
“Je veux qu'Albert quitte l'équipe,” répondit David, le désarroi s'entendant dans sa voix.
“ A-t-il fait quelque chose dont je devrais être au courant ? ”
“Il... il ne prend pas l'intérêt des garçons à cœur. Je ne lui fais pas confiance. Je veux qu'il quitte l'équipe.”
“ N'en dites pas plus. Après le dernier incident, je me suis douté que ce ne serait qu'une question de temps. ”
“Merci, Saki.”
“ N'hésitez pas à me recontacter s'il y a quoi que ce soit d'autre. ”
“Bonne nuit, Saki.”
“ Bonne nuit, David. ”
David soupira et laissa retomber sa tête contre le dossier de son fauteuil matelassé, tandis qu'il refermait son téléphone. C'était un cauchemar. Il n'avait aucune idée de quoi penser ou croire. Il refusait de croire que ce qu'Albert lui avait dit était vrai, mais quelle raison Albert aurait-il de lui mentir ? Il ne lui avait pas fait de chantage. Il n'avait fait aucune menace et il n'avait de toutes façons aucune preuve à utiliser pour le faire chanter. La parole d'un seul homme ne faisait pas le poids contre la capacité de David à pirouetter, et Albert le savait très certainement.
Sans une motivation évidente sous-tendant le mensonge d'Albert, David ne voyait pas du tout comment donner un sens à ce qui venait de se produire. Il refusait de s'imaginer les jumeaux de cette façon, mais l'avertissement d'Albert quant au fait que quelqu'un d'autre pourrait surprendre les jumeaux dans une situation délicate ne quittait pas les pensées de David. C'était plus que ce que le manager pouvait supporter seul, mais à qui pourrait-il faire confiance ? Il nageait dans un monde de requins, et lâcher un mot à la mauvaise personne pourrait signifier la fin de Tokio Hotel, même si ces accusations étaient totalement fausses.
David ouvrit de nouveau son portable, faisant défiler les noms encore et encore tandis qu'il cherchait quelqu'un en qui il pourrait avoir confiance. C'était une histoire trop grosse et trop risquée pour qu'il ne fasse rien, mais il ne pouvait tout simplement pas faire face aux jumeaux lui-même. C'était au-delà de ce qu'il pouvait supporter. Finalement, un nom se détacha des autres.
“ Jost ? Mais bordel de Dieu pourquoi tu m'appelles si tard ? ”
“Désolé, c'est urgent. Il me faut un numéro de téléphone.”
“ T'as déjà entendu parlé de l'annuaire, ou alors peut-être d'internet ? ”
“Il est sur liste rouge, mais je sais que tu l'as.”
**
La brillance aveuglante du soleil qui se levait ruissela par un interstice entre les épais rideaux de la chambre d'hôtel. Tandis que le soleil s'élevait sur la ville, le rai de lumière se déplaça jusqu'à reposer en travers du visage des jumeaux, les tirant de leur sommeil agité. Bill s'éveilla le premier et se trouva enroulé si fort dans l'étreinte de son frère qu'il ne pouvait pas bouger. Il s'étira avec un petit bâillement et se tortilla dans les bras de Tom. Le souvenir du jour précédent et de la réalité effrayante à laquelle ils devaient faire face n'avait pas encore atteint la surface des pensées de Bill. Engourdi par le sommeil, il lui semblait que tout cela n'avait été qu'un mauvais rêve. Tom n'avait pas encore ouvert les yeux, mais était juste assez réveillé pour soulever la main et la faire courir dans les cheveux de son frère. La réalité n'avait pas encore rattrapé le plus âgé des jumeaux non plus. Ils restèrent allongés ensemble, profitant de la sécurité et de la chaleur de la présence de l'autre tandis qu'ils essayaient de repousser la réalité juste un peu plus longtemps. Peut-être que s'ils restaient simplement allongés là en silence, la réalité ne pourrait pas les trouver.
Bill dut se tortiller juste un petit peu trop, ou alors peut-être que Tom bâilla un petit peu trop fort, parce que la réalité décida assez soudainement de leur retomber dessus. Juste à quelques dizaines de centimètres, sur la table de chevet, les petits haut-parleurs du portable de Bill se mirent à hurler l'introduction de “Schrei”, à savoir la sonnerie que Bill avait dit choisir pour Jost parce qu'il trouvait que cela collait bien.
Tu te lèves et on te dit où tu dois aller.
“Bill, téléphone,” marmonna Tom tandis qu'il desserrait sa prise sur son jumeau.
Quand tu y arrives on te dicte même ce que tu dois penser.
“Veux pas,” geignit Bill, tirant les draps par-dessus sa tête.
Merci bien, c'était encore une de ces journées d'enfer.
“Il faut que tu répondes. Si c'est moi qui décroche il saura que je suis dans ta chambre.”
Tu ne dis rien, et personne ne te demande : dis donc, c'est vraiment ça ce que tu veux ?
“Putain de merde,” murmura Bill tandis qu'il se détachait des bras de Tom et saisissait le téléphone. Il n'était pas prêt pour ça.
Nein-
“Allô ?”
“ Bill, habille-toi et sois dans ma chambre dans trente minutes. Il faut qu'on parle. Réveille ton frère et amène-le, lui aussi. Il ne répond pas à son portable ,” dit David, la voix semblant calme, au point que ç'en était effrayant. Bill s'était attendu à des cris.
“Oh. Il ne doit sans doute pas l'entendre. Il est resté debout tard avec une gr-”
“ Arrête ,” l'interrompit David, sa voix soudainement beaucoup moins calme. “ Plus de mensonges. Je ne veux pas les entendre. Ma chambre. Trente minutes. ”
FIN CHAPITRE 22