Chapitre 6. AnxiéEtéE de sEéparation
La peur et l'appréhension normale exprimée par l'enfant lors qu'il est séparé de son entourage familier, de ses amis proches ou de sa famille.
(Age : huit ans)
Le docteur Engle soupira tandis que son jeune patient se renfermait. Le petit garçon se ramassa en une boule et se blottit dans un coin du divan, tout comme son plus jeune frère l'avait fait pendant sa propre séance. Le psychiatre, habituellement confiant, se passa nerveusement la main dans les cheveux. Ses mèches noisette étaient parsemées de rubans d'argent dûs à l'âge et au stress. C'était les cas comme celui-ci qui provoquaient l'apparition de ces mèches blanches, laquelle était de plus en plus fréquente. Le problème n'était pas qu'il y ait quelque chose de terriblement mal avec les jumeaux Kaulitz. Ce qui troublait le docteur Engle, c'était l'inquiétude causée par le fait que les erreurs qu'il avait faites étaient la cause de la douleur actuelle de ses patients. Il aurait dû le voir venir et aurait dû y préparer la mère avant que la crise n'éclate.
Les dix dernières minutes avaient été consacrées à la tentative d'amadouer Tom afin qu'il se remette à parler, mais il semblait qu'ils étaient bel et bien de retour à la case départ. Bien que les intentions de Simone aient été pures et nobles et que le docteur Engle ne fasse que suivre la procédure et les règles qu'il était obligé de respecter, cette intervention dans la relation des jumeaux était visiblement la cause de plus de mal que de bien. Maintenant que le docteur Engle était sûr que la situation n'avait pas trait à de l'abus, il était temps de réparer les dégâts qui avaient été faits.
“Tom, je vais aller chercher Bill maintenant, puis après je parlerai avec votre mère pendant un petit moment,” dit le docteur Engle dans un ultime effort pour tirer un mot de Tom. Le garçon continua à garder le silence, mais pour la première fois depuis les dix dernières minutes il releva la tête et montra au moins qu'il avait conscience de la présence du médecin.
Tom fut laissé seul pendant que le docteur Engle sortit vers la salle d'attente pour aller chercher le plus jeune des jumeaux. Après avoir rassuré Simone en lui expliquant qu'il n'y avait aucun danger à laisser les jumeaux seuls tous les deux pendant qu'eux discutaient entre adultes, le docteur Engle demanda à Simone d'aller l'attendre dans son bureau, où il savait qu'elle pourrait assister aux retrouvailles de ses garçons grâce au miroir sans tain qui séparait les pièces. Il conduisit Bill à la petite pièce replie de jouets et lui dit d'attendre avec Tom pendant que lui parlerait avec leur mère.
Simone regardait anxieusement par le miroir sans tain. A part durant le bref voyage en voiture pour venir chez le docteur Engle, les jumeaux ne s'étaient pas trouvés en présence l'un de l'autre depuis l'incident. Même si Simone refusait de croire que son fils soit capable de faire du mal à son propre frère, il était difficile de penser autrement. Elle l'avait vu de ses propres yeux. Elle avait trouvé Tom au dessus de Bill, le faisant taire d'une main et l'immobilisant au sol. Simone n'était pas en colère contre Tom, mais elle avait peur pour ses garçons, pour ses deux garçons, et elle essayait juste de faire ce qui était le mieux pour eux.
La porte n'était même pas encore refermée derrière lui que déjà Bill se ruait vers Tom. Le plus jeune jumeau se jeta littéralement sur son frère. Bill mourait d'envie d'être proche de son frère. Leur séparation avait été la chose la plus douloureuse que Bill ait jamais eue à endurer. C'était pire qu'aucun des harcèlements auxquels il avait eu à faire face à l'école. Etre éloigné de Tom était encore plus douloureux que les mauvais traitements qu'il avait subis des mains de son père avant que celui-ci ne finisse par partir.
“Tomi ! J'ai cru qu'elle ne me laisserait plus jamais te voir,” pleura Bill. Son soulagement était si grand qu'il ne remarqua pas que Tom ne lui retournait pas son étreinte. En fait, au moment précis où Bill l'avait touché, Tom s'était raidi et s'était dégagé, mais Bill n'avait fait que le serrer plus fort.
Bien que Tom ne repousse pas Bill, il était terrifié de le toucher. Les mots que sa mère lui avait dits en tête-à-tête s'agençaient avec ce que le docteur Engle avait dit à propos du mauvais genre de toucher, et cela avait laissé Tom dans un terrible état de confusion. En toute honnêteté il ne savait pas ce qui ferait du mal à Bill et ce qui ne lui en ferait pas. Tom était sûr que Bill aimait toutes les choses qu'ils avaient faites avant, mais sa mère et le docteur Engle en parlaient comme si ça faisait du mal à Bill. Tom ne pouvait plus faire confiance à son propre jugement.
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Le docteur Engle entra dans son bureau et vint se positionner à côté de Simone près du miroir. Elle se tordait nerveusement les mains, incertaine de savoir ce qu'elle devait retirer de la scène. Le docteur remarqua son inquiétude et lui plaça une main sur l'épaule pour la rassurer. Etant donné qu'il connaissait Simone et ses garçons depuis trois ans maintenant, il savait que le geste ne serait pas mal perçu.
“Tom n'a pas abusé de Bill. Je suis sûr que ce que vous avez vu était très choquant, et je peux comprendre pourquoi vous en êtes arrivée à cette conclusion, mais je suis absolument certain qu'il n'y a aucune trace d'abus dans la situation présente. Vous connaissez vos garçons. Je ne crois pas que Tom pourrait jamais faire intentionnellement du mal à Bill, et je ne crois pas que Bill le laisserait s'en tirer si jamais il essayait,” dit le docteur Engle, confiant.
“Mais j'ai vu...” commença à dire Simone, s'interrompant. Elle ne pouvait pas finir sa phrase. Elle ne pouvait pas le redire.
“Nous allons reparler de ce que vous avez vu dans un petit moment. Pour l'instant je veux que vous regardiez et que vous écoutiez vos garçons. Ils vous donneront plus de réponses que moi,” donna comme instruction le médecin. Il actionna un interrupteur, ce qui leur permit d'entendre tout autant qu'ils voyaient ce qui se passait dans la pièce attenante. Les jumeaux approchaient de l'âge à partir duquel le docteur Engle considérait que de telles observations à la dérobée n'étaient plus éthiques, mais dans la situation actuelle il avait le sentiment que c'était nécessaire. De toute façon, il était pratiquement certain qu'il savait ce qui allait être dit entre les jumeaux.
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Bill avait fini par remarquer que Tom ne le touchait pas en retour et ne disait même rien du tout. “Tomi ?” chuchota-t-il avec inquiétude tandis qu'il levait le regard, voyant les yeux de son frère brillants de larmes. Même s'il n'avait que huit ans, Tom ne pleurait pas très souvent. Une fois Tom était tombé dans la cours et il s'était tellement ouvert le genou que le sang s'était mis à couler à flots de sa blessure, mais il n'avait pas pleuré. Bill était toujours impressionné de voir à quel point son frère était stoïque.
Un genou ouvert n'était rien comparé à la peur et à la douleur que Tom ressentait à la pensée qu'il ait fait du mal à Bill. Les larmes finirent par s'écouler et coururent le long des joues de Tom en un torrent et il fixa les yeux qui reflétaient les siens. “Je voulais pas te faire du mal,” dit-il d'une toute petite voix étranglée.
De voir Tom pleurer fit paniquer Bill. Il était tellement fatigué qu'on lui dise qu'il avait été blessé alors que lui savait pertinemment que ce n'était pas le cas. La seule chose qui l'avait blessé avait été que Tom soit éloigné de lui. Tout cela n'avait aucun sens pour Bill. Il n'avait pas fait le lien entre ce que Tom faisait et la discussion quant au “mauvais type de toucher” qui avait eu lieu à l'école. Bill n'aurait jamais pu faire un tel rapprochement quand toucher Tom et être touché par lui était meilleur que n'importe quoi d'autre au monde.
“Tu m'as pas fait du mal !” cria Bill, frustré et apeuré. Il avait besoin que Tom le prenne dans ses bras et lui dise que tout irait bien, mais pour une fois c'était Tom qui avait l'air de ne pas être réceptif. Tandis que Tom continuait à pleurer et continuait à refuser d'enrouler ses bras autour de son jumeau, Bill réalisa que parfois ce serait à lui de prendre soin de Tom, même s'il était le petit frère.
Bill se tortilla pour aller prendre place sur les genoux de Tom, le forçant littéralement à ne plus être ramassé en boule et à ne plus se couper de lui. “Tu m'as pas fait du mal,” répéta Bill dans un murmure en se blottissant contre son frère. Il essuya les larmes de Tom, tout comme Tom le lui faisait toujours quand il pleurait. Ses petits doigts se glissèrent dans les cheveux de Tom, qui étaient maintenant plus longs que les siens, tirant gentiment sur les mèches. La proximité de Bill et les petites caresses affectueuses calmèrent Tom peu à peu et le tirèrent de son black-out.
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Décidant que Simone en avait assez entendu, le docteur Engle désactionna l'interrupteur pour que le son de la pièce d'à côté ne leur parvienne plus. Ils seraient toujours en mesure de garder un œil sur les garçons, mais ils disposeraient d'un peu plus d'intimité pour parler et se reconnecter. Le médecin savait que ce dont ils avaient besoin à ce moment précis était l'autre. Ainsi les jumeaux seraient laissés tranquilles pendant que le docteur Engle essayait d'expliquer les choses à Simone et mettait au point un plan pour gérer la situation.
La vue des jumeaux enroulés l'un autour de l'autre fut suffisant pour rappeler à Simone qui ses garçons étaient vraiment, et elle eut honte d'elle pour avoir pensé que Tom pourrait intentionnellement faire du mal à son frère. Cependant, même si ce n'était pas intentionnel et que Bill n'avait pas le sentiment d'être blessé, ça ne pouvait de toute évidence pas continuer.
Le docteur Engle désigna une chaise à Simone pour qu'elle puisse s'asseoir tandis que lui-même prenait place dans la chaise située derrière son bureau. Il attendit que Simone soit bien installée avant de commencer. “La situation n'a rien à voir avec de l'abus et je ne dispose d'aucun signe qui indiquerait que Bill ou Tom soient abusés. Mon opinion en tant que professionnel est que les jumeaux se sont juste engagés dans une exploration et une expérimentation normales. Cependant, cela ne veut pas dire que cela peut continuer. Il faut que nous découragions ce type de comportements et que nous y mettions un terme, mais d'obliger Bill et Tom à se séparer ne ferait que renforcer le ressentiment des jumeaux à votre égard et ne ferait que les rendre plus en manque l'un de l'autre. C'est une situation délicate qu'il faut gérer avec doigté, et avant de vouloir y mettre un terme il faut tout d'abord que nous la comprenions,” expliqua le docteur Engle. Simone hocha la tête, soupirant de soulagement quand elle réalisa que le médecin savait ce qu'il faisait et serait capable de gérer ça.
“Je sais que c'est inquiétant, mais il faut que vous compreniez que pour Bill et Tom, ce n'est qu'un jeu ou une façon de se montrer de l'affection. Ce n'est pas du tout rare que les enfants tentent des explorations comme celle-ci. Cela ne veut pas du tout dire qu'il y a quelque chose qui ne va pas avec eux, ou que ce soit une indication de leur orientation sexuelle. Je pense qu'il est très possible que les jumeaux soient si proches qu'ils ne voient l'autre que comme une extension d'eux-mêmes plutôt que comme un individu distinct et séparé,” conjectura le médecin.
Simone aurait pu dire ça elle-même au médecin. Jusqu'à leurs trois ans les jumeaux avaient été littéralement persuadés qu'ils n'étaient qu'une seule et même personne. Bien qu'ils se soient peu à peu individualisés de plus en plus au fur et à mesure que les années s'écoulaient, il était encore fréquent d'entendre les jumeaux parler d'eux comme d'une seule unité plutôt que comme de deux personnes distinctes. Bill et Tom avaient juste l'habitude de dire “nous” à la place de “je”, et il était évident que c'était aussi ce qu'il pensaient.
“Je ne peux pas laisser ça continuer... Je ne peux pas laisser ça arriver dans ma maison. Ca ne peut pas être bon pour eux,” dit doucement Simone. Elle était quelqu'un qui avait l'esprit ouvert, mais elle avait aussi le sens pratique. Elle savait que si cela continuait cela finirait par blesser les jumeaux. Il fallait s'occuper de ça maintenant, tant que les conséquences n'étaient pas trop importantes. “Comment je fais pour réparer ça ?” demanda-t-elle au médecin. Elle dépendait de lui pour pouvoir arranger les choses.
Le docteur Engle prit un bloc-notes et commença à prendre des notes tout en parlant. Comme les plupart des psychiatres expérimentés, le docteur Engle maîtrisait le tour de main qui consistait à écrire tout en continuant à maintenir le contact visuel et à communiquer avec la personne à laquelle il s'adressait. “La chose la plus importante dont il faut vous rappeler est que la honte et la culpabilité ne feront que causer encore plus de mal. Plutôt que de traiter le comportement des jumeaux comme le problème lui-même, nous allons le considérer comme un symptôme d'un problème plus large. Ce problème est la tendance des jumeaux à dépendre excessivement l'un de l'autre. Il faut encourager Bill et Tom à s'engager dans des activités séparées. Il faut qu'ils passent chacun plus de temps en tête-à-tête avec vous et votre mari,” commença-t-il.
Simone hocha la tête pour montrer qu'elle comprenait. Tout ce qu'il avait dit jusqu'ici était sensé, mais elle avait peur qu'il lui dise qu'il fallait que les jumeaux soient séparés de façon permanente pour briser la dépendance dont ils faisaient preuve. Elle avait pris la décision de les séparer pendant quelques jours, mais ces deux jours avaient été aussi douloureux pour elle qu'ils ne l'avaient été pour les jumeaux. Elle ne pouvait pas s'imaginer d'essayer de les séparer comme ça de nouveau. “Que faut-il que l'on fasse ?” demanda-t-elle anxieusement.
“Ce que je voudrais que vous fassiez est que vous instauriez des limites fermes entre ce qui est acceptable ou non comme caresse et qu'ensuite vous sépariez Bill et Tom doucement et petit à petit. Le but est de détruire leur dépendance sans briser leur lien ou endommager leur relation. Il est très important que cela soit fait lentement et que les jumeaux ne le perçoivent pas comme une punition pour ce qu'ils ont fait. Si vous les surprenez de nouveau à franchir les limites des caresses acceptables, ne les séparez pas. Au lieu de ça, surveillez-les de plus près. Dites-leur que l'intimité est un privilège qui dépend de la façon dont ils se plient aux règles,” expliqua le docteur Engle tout en continuant à noter les détails plus précis de son plan.
Il savait qu'il faisait ce qu'il fallait. Ce type de comportements entre des jumeaux n'était pas acceptable, c'était tabou, et au final cela ne ferait que blesser les jumeaux. Le plan qu'il était en train de constituer était exactement celui que les experts de son domaine auraient recommandé. En accord avec tous les principes de psychologie enfantine auxquels il croyait. Sa tête lui disait que c'était la bonne chose à faire, mais en regardant au travers du miroir les deux petits garçons se cramponner l'un à l'autre, son cœur lui disait qu'il était en train de commettre une terrible erreur.
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“Ils comprennent pas. Ils ont pas d'importance,” chuchota Bill. C'était toujours Tom qui avait prononcé ces mots auparavant, et ces mots avaient une signification profonde pour les deux jumeaux. Ces mots étaient si puissants qu'ils avaient presque acquis une dimension mystique. Tom prononçait ces mots et une fois que Bill les avait répétés cela voulait dire que la personne dont ils parlaient était officiellement exclue. Une fois que quelqu'un était exclu du l'univers des jumeaux, il aurait tout aussi bien pu ne pas exister du tout.
“Non, Bill. Maman a de l'importance. Elle ne comprend pas, mais elle a de l'importance,” chuchota Tom en réponse, finissant enfin par enrouler ses bras autour de son jumeau. Quand il était plus jeune Tom croyait qu'il pouvait purement et simplement évincer quiconque leur faisait du mal, mais cela lui avait appris une leçon importante. Il y avait des gens qui avaient le pouvoir de les séparer s'ils le voulaient. Simone avait de l'importance parce qu'elle avait le pouvoir de lui ôter Bill. Il n'était tout simplement pas possible de l'exclure.
“Je comprends pas pourquoi elle pense que tu m'as fait du mal,” murmura Bill contre la gorge de Tom tout en se blottissant plus près.
“Moi non plus… T'inquiète pas. On finira par trouver. Je la laisserai plus t'éloigner,” promit Tom.
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“Non !” Le cri perçant retourna pour ainsi dire la baraque, et Simone s'inquiéta : si Bill ne se calmait pas, les voisins appelleraient sans doute la police.
“Bill, s'il te plaît calme-toi. C'est juste de l'autre côté du couloir. Tu vas avoir ton propre espace. On peut même peindre les murs de la couleur que tu veux. Tu vas t'y habituer, mon chéri,” dit Simone avec un sourire forcé. Elle essayait d'exposer les choses sous un jour positif, mais de tout évidence cela ne servait à rien.
“Non j'irai pas ! J'irai pas !” beugla Bill. Gordon était déjà en train de démonter son lit pour pouvoir le déménager dans la chambre supplémentaire, actuellement vide, qui se trouvait de l'autre côté du couloir. Bill saisit l'un des montants du lit et s'y accrocha dans une vaine tentative d'empêcher son beau-père de l'emporter dans l'autre chambre.
Tom était assis sur son propre lit, regardant sans pouvoir rien y faire ses parents essayer de porter le montant du lit à eux deux. Cela faisait deux semaines qu'ils s'étaient faits prendre, et Bill commençait tout juste à penser que les choses redevenaient normales. Tom n'était pas si naïf. Il était extrêmement conscient des tentatives de leurs parents pour gentiment les séparer. Malheureusement, Tom ne voyait aucun moyen d'arrêter ça autrement qu'en se pliant aux règles et qu'en leur prouvant que lui et Bill pouvaient être laissés seuls tous les deux. Tom se moquait de ne pas pouvoir jouer aux jeux auxquels ils jouaient avant tant que lui et Bill pouvaient rester proches. Il avait essayé d'expliquer ça à Bill, mais le plus jeune des jumeaux avait eu du mal à voir la différence entre l'affection que les adultes approuvaient et l'affection qui les ferait être séparés.
Après quatre jours pendant lesquels Simone et Gordon les avaient surveillés d'un œil de faucon et les avaient orientés vers d'autres activités dès qu'ils devenaient trop proches, Tom avait pris la décision que lui et Bill ne se toucheraient tout simplement plus en présence de leurs parents. Même le plus innocent des touchers, tel se prendre la main, était réservé pour les rares moments où les jumeaux savaient qu'ils étaient seuls, mais même d'agir ainsi n'avait pas suffi. Tom avait tout essayé, il s'était pressé le cerveau pour trouver comment les convaincre qu'ils ne faisaient rien qui soit “hors limites”, mais malgré tout ils essayaient toujours de lui enlever Bill.
Tom regarda sa mère essayer de décrocher son frère hurlant du lit. Les cris de son frère n'aidaient en rien. Tom pouvait bien voir les regards anxieux et furieux qu'échangeaient sa mère et son beau-père. Bill leur prouvait qu'ils étaient trop dépendants l'un de l'autre. Tom avait entendu ce mot être prononcé de nombreuses fois quand les adultes chuchotaient à leur propos. Il avait fini par conclure que ça voulait dire qu'ils avaient trop besoin l'un de l'autre, et maintenant Bill leur prouvait qu'ils avaient raison.
“Je veux pas ma propre chambre !” mugit Bill de toute la puissance de ses poumons. Il ne comprenait pas que ses cris n'aidaient en rien. Tom ne pouvait pas en supporter plus. Il se glissa hors de sur son lit et vint placer sa main sur le bras de Bill. Bill se tourna vers son frère et arrêta instantanément de pleurer. Il relâcha sa prise sur le lit et se saisit de la main de Tom à la place. Ils n'avaient pas besoin de parler de ce qu'ils allaient faire. Les yeux de Tom lui avaient déjà dit tout ce qu'il avait besoin de savoir.
Avant que Simone n'ait pu les arrêter Bill et Tom avaient détalé hors de la chambre. “Les garçons ! Revenez ici !” cria-t-elle. Le bruit rapide de leurs pas résonnait tandis qu'ils dévalaient les escaliers. Simone était sur le point de leur courir après quand Gordon lui saisit la main.
“Laisse-les aller, Simone. Bill a besoin de se calmer. Je pense qu'on a voulu aller un petit peu trop vite. Finissons de déménager les meubles et après j'irai les chercher. Ils sont sans doute retournés dans le parc,” dit calmement Gordon. De toutes façons, il valait mieux finir de déménager ce qu'il fallait pendant que les jumeaux n'étaient pas à la maison.
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Tom et Bill s'écroulèrent sur l'herbe douce, haletant tous les deux et hors d'haleine à cause de leur course. Leurs cœurs battaient vite et ils avaient les visages rouges, les joues de Bill encore striées de larmes et ses yeux rougis. Ils savaient qu'ils auraient des ennuis quand ils rentreraient à la maison, mais ils ne pouvaient plus supporter d'y être. Ils ne pouvaient plus supporter la façon dont tout le monde les regardait maintenant.
“Tu as promis,” dit Bill, hors d'haleine. Il s'assit et baissa le regard vers son frère, ses yeux exprimant sa douleur et sa colère. Comment Tom avait-il pu juste rester assis là sans rien dire pendant qu'ils essayaient de les séparer ? “Tu as promis que tu ne les laisserais pas m'éloigner !” dit-il d'un ton accusateur qui fit se serrer le cœur de Tom.
“Je les laisserai pas. Personne ne t'éloignera de moi,” dit Tom, répétant la promesse qu'il ne savait pas vraiment comment il allait pouvoir tenir. Il s'assit, attirant Bill dans ses bars, ce qui était interdit. Techniquement les câlins n'étaient pas hors limites, mais n'importe quelle sorte de toucher engendrait ces regards désagréables et scrutateurs de la part des adultes.
“Je peux pas dormir tout seul,” gémit le jumeau aux yeux remplis de larmes tout en fondant dans les bras de son frère. Il voulait croire à la promesse de Tom, mais il avait vu l'incertitude dans ses yeux.
“Dès que Maman ira au lit tu pourras revenir dans ma chambre. Ca sera notre secret. Il faut qu'on fasse semblant, Bill. Il faut qu'on leur fasse croire qu'on a pas besoin l'un de l'autre. Il faut qu'on leur fasse croire qu'on ne s'aime pas comme on s'aime,” conclut Tom après avoir analysé leur situation.
“Juste faire semblant ?” demanda Bill nerveusement.
“Juste faire semblant,” lui assura Tom.
Tandis que Simone et Gordon s'attelaient à instaurer de la distance entre Bill et Tom, les jumeaux échafaudèrent un plan pour rester ensemble qui était au moins aussi élaboré que celui qui visait à les séparer. Quand Gordon vint récupérer les jumeaux il les trouva assis sous un arbre, se parlant, mais ne se touchant pas. Ils l'avaient entendu venir et avaient échangé un dernier baiser douloureusement bref avant de se détacher pour lancer leur supercherie.
Cette nuit-là Simone alla se coucher avec un profond sentiment de satisfaction. La mise au lit des jumeaux pour la première fois dans des chambres séparées avait été moins douloureuse que ce à quoi elle s'était attendue. Il y avait eu des larmes et des supplications pour la faire changer d'avis, mais au final les garçons étaient allés chacun dans leur chambre et s'étaient couchés. Simone et Gordon n'entendirent jamais les petits bruits de pas de Bill marchant sur la pointe des pieds quand celui-ci alla se glisser dans le lit de son frère.
FIN CHAPITRE 6