Chapitre 12
Ce matin là Bill était partit de chez lui le sourire aux lèvres. Tom lui avait envoyé un texto la veille au soir et depuis le moment où il avait lu le SMS Bill ne cessait de sourire. A vrai dire il était, pour la première fois depuis des années, pressé d'arriver au lycée.
Pressé d'arriver au lycée car quelqu'un l'y attendait...
Il marchait donc sereinement, son sac à dos sur l'épaule, ses mains vernies dans les poches de son survêtement gris et la tête remplie d'une excitation nouvelle. Il était pressé de voir Tom. Ses yeux légèrement noircis se plissèrent pour mieux apercevoir le bâtiment et ses iris d'enfant cherchèrent le dreadé dans la foule.
Il ne prêtait bizarrement aucune attention aux autres, se contentant simplement de scruter les lycéens pour trouver son nouvel ami. Une première pour l'androgyne qui, d'ordinaire, ne pouvait pas traverser un troupeau d'ados sans être crispé et mal à l'aise.
Seulement plus il approchait du lycée, plus les lycéens se faisaient nombreux. Il en dépassa donc quelques-uns dans l'espoir de trouver Tom mais son sourire se fana brusquement.
Il les avait entendus ricaner. Il les avait entendus rire dans son dos et son cœur se serra dans sa poitrine quand lorsqu'il se retourna légèrement, il les vit glousser en évitant son regard. Ses points se serrèrent dans ses poches et ses ongles s'enfoncèrent dans la paume fragile. Pourquoi ses conards se foutait-il encore de lui ?
Sa démarche se fit tout de suite moins sereine et le malaise remplaça l'excitation dans sa tête. Ses yeux fixèrent rapidement le bout de ses chaussures et il se maudit d'être aussi idiot. Chaque regard, chaque messe basse, chaque rire lui brisait le cœur. Quelles conneries d'avoir cru qu'un jour il serait assez mure pour ne plus être touché par le regard des autres... Rien ne lui passait au dessus. Au contraire, chaque petit détail, aussi infime soit-il le blessait profondément. Peut-être devenait-il fou, il ne savait plus... Ce n'était pas si fréquent qu'on se moque de lui, plutôt rare à vrai dire, la plupart du temps les gens ne le voyaient tout simplement pas... Alors peut-être réagissait-il exagérément ? Peut-être ne devait-il pas faire toute une histoire d'une simple plaisanterie à son égard...
Seulement lorsque les seules paroles que l'on vous adresse sont des moqueries ou des ricanements on ne peut tout simplement pas rester indifférent. Et Bill avait continuellement l'impression qu'on riait de lui on qu'on le regardait de travers. Chose en partie vraie...
Le sentiment de solitude conduit souvent à un état de dépression pouvant faire penser à celui qui en souffre que personne n'apprécie sa compagnie, qu'il ne sera jamais compris et encore moins aimé. Bill avait finit par s'enfermé dans ses états d'âme tant il manquait de confiance en lui et de ce fait, les autres ados le ressentaient comme réservé et se détournaient de lui.
Bill marchait donc maintenant la tête baissé, les yeux fixés sur ses baskets, cherchant désespérément la raison de ces moqueries silencieuses.
Bill Trümper, le garçon étrange qui ne parle à personne et que personne ne voit jamais...
- Putain il est trop zarb ce mec, c'est chaud !
Ou du moins presque jamais.
Il ne lui en fallut pas plus pour se sentir encore plus ridicule qu'il ne l'était et il accéléra jusqu'à la porte du lycée, ne relevant la tête pas même une seule fois.
A quelques mètres de là Tom regardait la fine silhouette de Bill s'enfoncer dans l'enceinte. Ces idiots venaient une fois de plus de fragiliser sa confiance en lui par de simples chuchotements et Tom serra les points sur les bretelles de son sac... Quelle bande de cons, pensa-t-il.
Ces mecs n'étaient pourtant pas méchants, ils manquaient juste grandement de neurones, ne se rendant même pas compte à quel point Bill était blessé par chacune de leurs petites remarques.
Tom n'attendit pas une minute de plus et entra dans le lycée dans l'intention de rejoindre son ami. Ce fut seulement une fois en classe qu'il le retrouva, assis comme à son habitude au fond de la salle, le regard perdu à travers la vitre.
- Coucou toi.
Bill se retourna vivement à l'entente de la voix de Tom et son visage s'illumina d'un immense sourire.
- Coucou ! Tu t'assois ?
Tom ne se fit pas prier et se plaça joyeusement à côté du brun. Tous les élèves n'étaient pas encore entrés et Tom se tourna complètement vers Bill, agrippant le dossier de sa chaise avec son bras.
- Hier je t'ai envoyé un texto.
- Ouais je sais je l'ai lu ce matin désolé, je devais surement déjà pioncer alors... Il lui sourit timidement et sortit sa trousse de son sac. T'arrivais pas à dormir ?
- Aby a ramené une fille... encore... Son air dépité fit rire le brun et il continua sur sa lancée.
- Nan mais c'est pas drôle ! La meuf beuglait comme une vache j'ai cru que j'allais descendre lui mettre mon pied au cul !
Bill riait maintenant franchement devant l'air littéralement dégouté de Tom. Ce dernier se revoyait encore dans le parc derrière chez lui, à se peler le cul pour laisser à sa « tantinounette » le temps de finir ses p'tites affaires.
- Putain elle est grave quand même... souffla-t-il en grattant distraitement le bois de la table.
- Ba qu'est-ce que t'as fait alors ? Bill s'efforçait de ne pas pouffer en imaginant Tom frapper le sol de sa chambre pour faire taire sa folle de tante qui s'envoyait en l'air un étage en dessous.
- Ba j'ai voulu me changer les idées en appelant mon pote mais ce con dormait déjà alors...
Bill lui pinça le bras.
- Je me suis déjà excusé ! s'exclama-t-il devant le dreadé qui se frottait l'avant bras en souriant.
Ils rirent encore ensemble quelques minutes puis se retournèrent vers le prof lorsque celui-ci commença son cours.
Bill souriait niaisement en jetant de discrets coups d'œil à son voisin. « Mon pote »... Tom n'avait pas dit « un pote » mais « mon pote» et ce détail n'était pas tombé dans l'oreille d'un sourd.
Un détail certes insignifiant pour beaucoup mais au combien précieux pour l'androgyne qui trouva le cours d'espagnole bizarrement plus intéressant que d'ordinaire...
(...)
Quelques heures plus tard Bill et Tom sortaient du lycée en riant, se dirigeant d'un pas traînant et paresseux vers le parking. La journée avait été éreintante et tous deux avaient hâte de rentrer chez eux pour piquer un roupillon.
Une fois arrivés au parking Bill s'adossa à la barrière en face de la petite mobylette et sortit son paquet de cigarette de la poche de son blouson.
- T'en veux une ? Il avait déjà la clope au bec et tendait son paquet au dreadé qui fronça les sourcils en l'apercevant.
- Nan merci je fume pas , répondit-il en écartant la cigarette de lui. J'ai pas envie que cette saloperie me crame les poumons.
Tom s'adossa lui aussi à la barrière noire puis tourna la tête vers Bill qui s'apprêtait à allumer sa cigarette. Il le fixa quelques secondes en réfléchissant puis plissa les yeux...
- Et d'ailleurs toi non plus tu fumes pas , intervint-il en attrapant la cigarette de la bouche de l'androgyne avant de la ranger dans le paquet.
Bill écarquilla les yeux.
- Bien sur que si je fume ! s'exclama-t-il en essayant de rattraper son paquet.
- Et bien plus maintenant ! Ou du moins pas en ma présence , continua Tom en essayant d'écarter les mains de Bill qui cherchait désespérément à reprendre sa cigarette.
Bill criait et sautait afin de rattraper son paquet et Tom s'amusait à l'éloigner encore plus en tendant les bras au dessus de sa tête, attirant les regards blasés de certains lycéens qui passaient devant eux d'un air dédaigneux. Ils se chamaillèrent comme cela durant encore une bonne minute puis Bill abandonna la partie, se renfrognant et croisant les bras sur son torse en soufflant d'exaspération.
- T'es chiant...
- Tu me remercieras dans quelques années , sourit Tom en se plaçant devant lui, le paquet de cigarette coincé à l'abri dans la poche arrière de son baggy.
Il avait toujours considéré la cigarette comme un poison et s'il pouvait empêcher Bill de fumer, ne serait-ce que quelques clopes par jours, il n'allait certainement pas s'en priver.
- Allez, fais pas la boude...
Bill avait les sourcils froncés et les bras toujours croisés sur son torse, bien décidé à faire comprendre à Tom qu'il lui en voulait.
- Bill... gronda Tom en souriant malgré lui devant la tête de mule.
Mais la dite tête de mule ne répondit rien, continuant son « boudage intensif » en fixant le dreadé de ses yeux tueurs.
- Tu tiendras pas longtemps de toute façon... chuchota ce dernier en se rapprochant de lui, l'emprisonnant entre la barrière et son propre corps.
Tom était vraiment amusé par le caractère de cochon de son ami mais était bien décidé à le faire sourire. Il s'avança alors un peu plus, jusqu'à n'être qu'à quelques centimètres de son visage puis étira ses lèvres en un sublime sourire, certain qu'il ne résisterait pas.
De son côté Bill luttait intérieurement, se mordant les joues pour ne pas céder au sourire contagieux qui le narguait à quelques centimètres de ses propres lèvres.
Seulement il ne pu s'empêcher de le rejoindre lorsque, tout doucement, l'index de Tom vint taquiner sa lèvre inferieur, la tirant vers lui et la relâchant en un « ploc » discret mais tout de même audible.
Tom explosa alors de rire, suivit de près par Bill qui le poussa en arrière avant de l'assener d'un « espèce d'idiot » et d'une tape derrière la tête. Tom avait encore une fois gagné. Il attrapa Bill par le poignet et c'est toujours en riant qu'il le prit dans ses bras, lui administrant une brève caresse dans les cheveux avant de lui embrasser la joue.
- Allez bourrique, monte j'te ramène , rit-il en enjambant sa moto.
Bill, qui s'était paralysé sur place en sentant les lèvres de Tom sur sa joue s'empressa donc de le rejoindre à l'arrière de la moto, espérant ainsi cacher la rougeur de ses pommettes.
Tom démarra quelques secondes plus tard et le brun l'entoura timidement de ses bras, non sans avoir précédemment caressé sa joue en souriant comme un enfant...
( ...)
Ils arrivèrent devant chez lui seulement quelques minutes plus tard et Tom s'autorisa à penser que ça avait été vraiment trop court. Il laissa pourtant Bill descendre de la moto et coupa le moteur.
- Tu fais quoi ce week-end ?
- Oh. Euh... ba j'en sais rien. Pourquoi ?
- Nan comme ça.
Tom ne voulait pas laisser Bill et repartir chez lui, il aurait voulu ne pas être en week-end et pouvoir éviter ces deux longs jours qu'il passerait surement à réfléchir et à ruminer...
Contrairement à Bill qui s'y était habitué, Tom appréhendait la solitude, car une fois seul avec ses pensées il ne pouvait tout simplement pas s'empêcher de penser à des choses désagréables comme les raisons de son départ.
- Bon et bien je vais y aller... chuchota-t-il.
Et même s'il était déçu il ne laissa rien paraître.
- Ok mais révise bien pour le contrôle de physique hein ... Bill parlait tout en essayant de recoiffer ses cheveux qui s'étaient emmêlés avec le vent. Je t'ai expliqué le plus chiant mais je veux que tu bosse ce week-end ok ? Aie ! Putain...
Tom pouffa devant la tête de Bill qui grimaçait en tirant sur ses mèches noires, la tête légèrement penchée sur le côté et il acquiesça en souriant. Réussir le contrôle ? Pff... quelle idée.
- Ok je ferais de mon mieux .
Il redémarra donc la bécane et Bill arrêta instantanément de triturer ses cheveux.
- Attends ! T'as oublié quelque chose ...
Tom se retourna alors vers lui et son regard tomba dans celui de Bill, timide et gêné. Il l'interrogea du regard et ce dernier baissa la tête, se sentant un peu idiot. Il la releva tout de même quelques secondes plus tard en souriant, surement conscient de la puérilité de sa demande mais également bien déterminé à rester naturel et honnête avec Tom.
- Ba... mon bisou...
Tom le rendait vraiment idiot et il ne comprenait pas lui-même la raison de cet étrange désir de proximité, aussi inhabituelle qu'inattendu venant de sa part.
- Oh...
- Enfin... si ça te dérange pas...
Comment décrire la soudaine expression sur le visage du dreadé, complètement attendri devant l'attitude de son ami ?... Il était complètement, inconditionnellement et définitivement gaga...
- Bien sure , chuchota-t-il. Viens là...
Son sourire sincère rassura Bill et c'est tout doucement qu'ils se rapprochèrent l'un de l'autre pour se prendre dans les bras. Bill enfouit sa tête dans le cou de son ami et y respira son odeur apaisante. Il avait besoin de cet enlacement, et, certain que ce ne serait surement pas la dernière fois qu'il aurait l'envie soudaine d'une telle étreinte, pria le ciel que cela ne contrarierait pas son nouvel ami...
De toute façon c'était fichu pour Tom, il avait fait connaître à Bill la douceur de ses câlins et celui-ci était tout bonnement devenu accros. Ils restèrent donc comme cela durant une longue minute puis Bill se détacha à regret, restant tout de même près de lui en attente de son bisou.
Tom rit doucement devant la bouille de l'androgyne et se rapprocha de lui pour lui administrer un énorme et bruyant bisou sur sa joue droite qui fit rire le brun.
- Content ?
- Content.
Tom passa son casque et après un dernier au revoir de la main, s'éloigna de l'androgyne.
Bill resta immobile sur le trottoir, et même lorsque la silhouette de Tom fut disparue il ne bougea pas d'un pouce. Il était simplement là, les mains le long du corps, le regard perdu à l'horizon, la tête remplie de nouvelles sensations, les yeux humides et le cœur léger.
Alors c'était réellement ça d'avoir un ami...
Il inspira un grand coup pour empêcher ses yeux de s'humidifier et tourna le dos au soleil, rentrant chez lui le sourire aux lèvres.
Bill et Tom étaient finalement faits pour se rencontrer.
L'affection qu'ils se portaient n'était qu'un besoin vital de contact humain, une façon attendrissante de se rassurer l'un l'autre. Lequel des deux en avaient le plus besoin ? Allez savoir...
Bill trouvait en Tom le grand frère attentionné, gentil et protecteur qu'il n'avait jamais eu, et il en était de même pour Tom qui trouvait en Bill un petit frère sensible et fragile qu'il appréciait prendre dans ses bras pour rassurer. Rien d'autre. Ils étaient simplement en train de devenir amis, se découvrant lentement. Le genre d'amitié sincère et tendre qui ne s'arrête pas aux accolades traditionnelles.
Bill et Tom n'étaient pas des ados machos et ne se formalisèrent pas de leur nouvelle façon de se dire bonjours ou au revoir. Ils étaient heureux comme ça. Alors pourquoi aller chercher plus loin...
Ils étaient des garçons de cœur, des garçons sensibles, des garçons bourrés d'amour et de joie de vivre...
Ils étaient réellement faits pour se rencontrer...
FIN CHAPITRE 12