Chapitre 14
Le lendemain après-midi Bill et Tom étaient en route pour le cinéma. Il était tout juste quatorze heure et les deux garçons avaient déjà le programme en mains, parcourant le bout de papier de leurs yeux curieux afin de choisir le meilleur film à voir. Ils n'avaient pas mangé ensemble le midi même, Tom prétextant une chose urgente à aller chercher chez lui, et s'étaient directement rencardés au parc devant le lycée.
- Tu veux voir quoi ? demanda Bill en se tournant vers Tom.
- C'est toi qui choisi.
- Ok alors euh... Il relut une dernière fois la liste de films et pointa son doigt sur celui qui lui parut le plus potable. Celui là !
Tom se pencha sur son épaule et grimaça en lisant le titre. Bill venait sans nul doute de choisir le film qu'il appréhendait le plus de voir, un film d'horreur bien glauque comme il les esquivait tant.
- Alors ?
- Ok c'est partit...
Ils s'avancèrent à l'entrée, donnèrent leurs places à la jeune femme et Bill insista pour acheter un énorme paquet de pop-corn. Quelques minutes plus tard ils entraient dans la salle quasiment vide et s'asseyaient au centre, au plus grand malheur de Tom qui ne pouvait pas espérer avoir meilleure vue sur l'écran.
- Tom...
- Hum ?
- Merci. Vraiment . Tom tourna la tête vers lui et lui adressa un sourire sincère. Il savait que cette sortie était importante pour lui.
Ils se fixèrent joyeusement quelques secondes puis la salle se plongea dans le noir, les forçant à détourner les yeux sur l'écran où les premières publicités commençaient à défiler.
Vingt minutes plus tard Bill était complètement plongé dans le film et grignotait pop-corn sur pop-corn, n'apercevant pas le malaise de Tom qui, recroquevillé au fond de son siège détournait les yeux de l'écran durant certaines scènes tel un enfant apeuré.
Il avait voulu dire à Bill que les films d'horreur le mettaient dans tous ses états mais n'avait pas osé, de peur de paraître idiot et pétochard.
Les yeux toujours fixés sur l'écran, Bill tapota sa main sur l'accoudoir le séparant de Tom dans l'intention d'attraper une poignée de pop-corn et fronça les sourcils lorsque ses doigts touchèrent le tissu du siège. Il tourna alors la tête pour voir où étaient passés ses précieux pop-corn et resta interdit devant la scène qui défilait sous ses yeux. Tom était complètement ratatiné dans son siège, ne laissant dépasser de la banquète que le haut de sa casquette en se cachant puérilement derrière le paquet de pop-corn qu'il tenait fermement entre ses mains.
Un torrent de tendresse s'empara instantanément de l'androgyne et il du se mordre les joues pour s'empêcher de sourire devant le comportement adorable du dreadé.
Sans que celui-ci ne s'en aperçoive, Bill se retourna doucement sur son siège, remontant un de ses genoux contre lui le plus discrètement possible. Il était maintenant face à Tom et posa sa tête sur son dossier, observant à la dérobée son ami dans l'obscurité. Il ne faisait plus du tout attention au film, et, plongé dans sa contemplation, ne remarqua pas tout de suite le regard surprit et gêné de Tom qui venait de tourner la tête dans sa direction.
- Qu'est-ce que tu fais ?
- J'te regarde.
Les joues de Tom rougirent instantanément et il se gratta maladroitement la tête, se sentant un peu idiot de s'être fait observer alors qu'il tremblait comme une feuille.
- Pourquoi tu m'as pas dit que t'aimais pas les films d'horreur ? chuchota Bill.
Tom souffla imperceptiblement, se renfrognant dans son siège.
- Tout les ados aiment les films d'horreur... râla-t-il.
- T'es con Tom .
Le dit Tom tourna vivement la tête vers son ami et se retrouva nez à nez avec un sourire doux et attendrit.
- Allez viens, on sort.
- Mais... Il se redressa dans son siège. Et toi ? T'aimes le film nan ?
Bill sourit. Tom ne comprenait pas.
- Tom, je m'en fou du film, j'aimais parce que j'étais avec toi alors viens .
Il ne laissa pas à Tom le temps de répondre et partit en direction de la sortit.
Se rendant compte qu'il était toujours assis, seul, dans le noir, et face à d'effrayante giclures de sangs, Tom bondit de son siège et couru rapidement jusqu'au brun, non sans avoir grimacé une dernière fois en jetant un dernier coup d'œil effrayé à l'écran.
(...)
- J'ai gâché notre séance cinéma j'suis désolé... s'excusa Tom une fois à l'air libre, le paquet de pop-corn toujours coincé sous le bras.
- T'as rien gâché du tout, le coupa Bill. Tom ne cessait de s'excuser depuis qu'ils avaient quitté la salle. Mais ça aurait été plus simple si tu m'avais dit dés le départ que tu supportais pas les films gore.
- T'es marrant toi, et j't'aurais dit quoi ? « Désolé Bill mais le sang et les monstres ça me fait faire des cauchemars.. » pff..
Bill se stoppa brusquement et se tourna vers son ami, les yeux ronds comme des soucoupes.
- T'avais peur que je me moque ???
Tom détourna les yeux et recommença à marcher doucement, mais Bill l'attrapa par le bras et le fit se retourner.
- Tom . Il se plaça en face de lui et le fixa de ses yeux bruns. Je ne te jugerais jamais sur quoi que ce soit, que ton film culte soit Titanic, Spiderman ou Full Monty j'm'en fou. Il était agacé par les clichés de son ami. Et arrête de croire qu'aimer tel ou tel film te rendra ridicule, tendance ou je sais pas trop quoi...
Il fit une courte pause et sa voix se fit plus douce.
- J'veux dire... c'est ça qui me plait chez toi, c'est qu'en apparence tu ressemble à tous les mecs branchés du lycée mais qu'au fond t'es complètement différent...
Tom baissa la tête vers ses chaussures.
Bien que ce que lui disait Bill le touchait profondément, il avait la gorge noué par cette conversation. Il savait très bien qu'il était très différent de ce qu'il laissait paraître, bien plus que Bill pouvait le penser.
Aussi loin qu'il puisse s'en souvenir il n'avait jamais été entièrement lui-même en présence des autres, de ses amis ou sa famille. Une peur continuelle d'être jugé sur ses manières, son humour, ses délires, ses gouts cinématographiques ou musicaux qui contrastaient totalement avec les autres jeunes de son âge.
Bien sur il avait finit avec le temps par être de plus en plus lui-même, en particulier avec son meilleur ami qu'il connaissait comme le fond de sa poche.
On ne peut qu'être naturel en présence des gens de confiance...
Il avait donc commencé peu à peu à faire ressortir sa véritable personnalité, arrêtant de faire semblant d'aimer tel ou tel film, de trouver tel ou tel chanteur de rap génial, participant de moins en moins au fête lycéennes où il ne se sentait en réalité pas à l'aise, ne riant plus à certaines blagues de ses amis, gloussant sur certaines autres... Une ribambelle de petits détails qui étonnèrent au début, puis qui bloquèrent par la suite.
La suite Tom la connaissait par cœur mais ne voulait plus y penser. Il avait cru qu'être lui-même lui ferait du bien. Il avait eu tort. Il n'aurait pas du... Il avait tout perdu.
Il releva la tête et fixa les prunelles chocolat en face de lui.
- Tu ne me jugeras jamais hein ? Il avait dit ça en riant, laissant sa voix se briser en une amertume qui fit reculer l'androgyne. On fini tous par juger Bill, et un jour ou l'autre tu le feras aussi...
La conversation devenait plus sérieuse et le sujet plus sensible. Bill observa les yeux de son ami s'humidifier et fronça les sourcils. Il lui prit rapidement la main, faisant abstraction du ton blessant qu'il avait employé quelques secondes plus tôt et l'emmena s'asseoir sur la fontaine qui se trouvait quelques mètres plus loin.
- Regarde-moi . Le ton de Bill était légèrement autoritaire mais Tom ne releva pas la tête.
- Tom regarde moi . Il lui saisit une seconde fois la main et Tom releva les yeux vers lui.
Bill allait vouloir une explication et il le savait.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé pour que tu ai si peur de toi-même ?
Tom observa le regard inquiet de son ami. Le chocolat de ses pupilles brillait au soleil, créant un petit éclat d'étoile dans le coin de son œil droit et Tom s'en voulu de ne pas avoir emmené son appareil photo avec lui. Bill devait surement être très photogénique.
- Tom ?
Tom sortit de ses pensées et détourna le regard.
- C'est compliqué . Il ferma les yeux en soufflant et ne dit rien durant quelques secondes.
- Avant de venir ici j'étais assez populaire dans mon lycée tu sais , commença-t-il. On m'appréciait pour ma sympathie, ma sociabilité, mes blagues... enfin bref, on m'aimait pour mon image quoi .
Il se revoyait encore, chahutant avec ses camarades devant son ancien lycée, les après midi de juin où tous les lycéens se regroupaient pour parler et déconner.
- J'avais beaucoup d'amis, j'étais invité à toutes les fêtes, présent à toutes les sorties... la belle vie quoi .
Il fit une courte pause et se tourna vers son ami, plissant les yeux et parlant plus doucement.
- Tu t'es jamais sentit différent ? J'veux dire... comme si tu n'étais pas réellement à ta place, comme si chacune de tes réactions n'étaient pas propre à ta personnalité ?
- J'ai toujours été différent, lui répondit-il en souriant, content que Tom se livre enfin à lui. Mais j'ai toujours su qui j'étais...
Tom scruta son ami quelques secondes puis détourna les yeux, les plongeant dans le vide en face de lui. Bill le vit se perdre dans ses songes et décida d'intervenir. Tom commençait enfin à se confier et il ne voulait pas l'arrêter en si bon chemin.
- Tom... Pourquoi t'as changé de lycée ?
Bill savait qu'il devait poser cette question pour comprendre un peu mieux le comportement du dreadé, mais un flot de culpabilité l'envahit soudainement lorsqu'il le vit fermer les yeux douloureusement.
Tout revenait à la surface et, rouvrant ses paupières, Tom sentit sa gorge se nouer et sa respiration s'accélérer.
- Il avait pas le droit d'me rejeter comme ça tu sais... Ses yeux s'emburent et sa voix commença à trembler. Ils avaient pas l'droit de m'en vouloir d'être comme j'étais. J'veux dire... j'ai jamais été véritablement comme eux. Il leva les yeux au ciel pour tenter de ravaler ses larmes, Je faisais style parce qu'on m'aimait comme ça mais...
Il renifla un peu plus fort et essuya ses yeux humides, essayant vainement de ne pas craquer devant Bill qui buvait ses paroles sans dire mot. Tom lui était d'ailleurs reconnaissant de ne pas le couper dans ses explications, bien qu'il les sache très floues pour son ami.
Seulement les images défilaient dans sa tête à une allure folle et son cœur ne pouvait s'empêcher de se serrer dans sa poitrine.
- J'ai commencé à ne plus me prendre la tête sur mon image, continua-t-il en essayant de s'expliquer sans trembler. J'en avais marre de ne me sentir moi-même qu'une fois chez moi alors... Il tourna la tête vers Bill. J'ai changé. Pas énormément tu sais, mais ça les a... j'en sais rien en fait, j'crois qu'ils ont eu peur du nouveau Tom. Je devais surement pas correspondre aux normes je sais pas...
Un rire amer sortit d'entre ses lèvres et une énorme larme dévala sa joue droite.
- En fait j'crois que je m'en foutais qu'ils me tournent le dos. C'est vrai c'étaient juste des potes avec qui je trainais un peu... Mais lui. Lui il avait pas l'droit de m'en vouloir. Il avait pas l'droit d'être étonné ou déçu, on était meilleurs amis depuis le berceau, toujours l'un avec l'autre, les premiers à rire ou a faire des conneries. Il avait juste pas l'droit d'me tourner le dos, et encore moins me parler de cette façon...
De la colère avait remplacé la tristesse dans sa voix et Bill comprit que Tom avait été déçu et trahi par une des personnes les plus chères à son cœur.
Seulement il y avait une chose qu'il ne comprenait pas entièrement.
- Mais.. Vous étiez meilleurs amis et il t'a tourné le dos pour ça ? On pouvait lire de l'incompréhension dans son regard. J't'avoue que je comprends pas. Ok, il était peut-être bloqué par ton changement de comportement mais de là à te laisser tomber...
Il vit Tom baisser les yeux et continua.
- Y avait rien d'autre ?
Tom sentit son estomac se tordre et c'est en triturant nerveusement ses doigts qu'il répondit.
- Nan. Enfin presque rien... .
Il s'attendait à de l'insistance de la part de Bill, et fut étonné de le voir ne plus rien dire.
Bill avait tourné la tête et, comme Tom précédemment, avait le regard perdu dans le vide, comme pour chercher la meilleure chose à dire au dreadé pour le soulagé. Il aurait voulu être doux et le rassuré avec ses mots mais sa spontanéité prit le dessus malgré lui.
- Ba sérieux ton pote c'est franchement un trou du cul . Lâcha-t-il simplement.
Tom tourna vivement la tête à cette réplique et devant l'air sérieux de Bill, se mit à éclater de rire. Un rire sincère et agréable qui fit sourire le brun, heureux d'avoir finalement trouvé les mots justes.
Les larmes de Tom se transformèrent petit à petit en larmes de joie et c'est en riant qu'il attrapa Bill dans ses bras, le serrant de toute ses forces.
- Tu sais que j't'adore toi ?
Il rit de plus belle et Bill répondit à son étreinte, profitant du cou de son ami pour cacher ses yeux humides. Tu sais que j't'adore aussi ?...
Bill enlaça le dreadé durant encore de longues minutes puis rapprocha ses lèvres de l'oreille de son ami.
- N'est jamais honte de ce que tu es , chuchota-t-il en entortillant une des dreadlocks autour de son doigt. Et surtout... surtout ne doute jamais de ma sincérité Tom, la confiance est une chose précieuse et je ne me permettrais jamais de jouer avec toi...
- Ma parole tu veux vraiment que je me remette à pleurer ? souffla-t-il en souriant. Dis pas de trucs comme ça malheureux, ou j'te jure que je te séquestre et j'te garde pour moi jusqu'à la fin de ta vie !
Ils rirent tous les deux de cette dernière réplique et l'atmosphère devint soudainement plus légère. Ils se séparèrent et se sourirent, conscients qu'ils étaient vraiment des cas désespérés autant l'un que l'autre.
- Aller viens, on va les finir ses pop-corn !
Bill tendit le pot au dreadé et ils se levèrent d'un même mouvement.
- Tu me passes ton portable s'il te plait ? demanda Tom en se tournant vers lui.
- Laisse moi deviner... tu dois encore envoyer un SMS à ta mère c'est ça ? Bill souriait et Tom leva les yeux au ciel.
- Mais nan ! Aller passe-le moi !
Bill trifouilla dans la poche de son large jogging et tendit son portable au dreadé, attendant de voir ce que celui-ci allait bien pouvoir en faire. Tom l'ouvrit, le trifouilla quelques secondes puis porta l'appareil à son oreille, sous le regard étonné du brun.
- Mais qu'est-ce que tu fou ? s'exclama-t-il en entendant les bips réguliers à travers le portable, signe que Tom appelait réellement quelqu'un.
Tom ne répondit pas et lui tourna le dos, faisant enrager Bill qu'il lui tournait autour afin de se remettre en face de lui.
- Allo ? Oui bonjours c'est Tom... oui. Désolé de vous déranger mais je... non non il va bien ne vous inquiétez pas ! Je voulais juste vous demander quelques chose alors... oui oui. Il rit quelques secondes devant les yeux écarquillés de Bill et continua. En fait je voulais savoir si je pouvais vous emprunter votre fils ce soir... Oui. Oh euh.. Peut-être 23h00 je sais pas... Vraiment ? Un grand sourire étira son visage et il tourna pour la énième fois le dos à Bill qui lui faisait de grands gestes incompréhensifs. Je vous remercie! ... Oui oui pas de soucis... merci...au revoir.
- T'as appelé ma mère ??!!! s'écria Bill en récupérant son portable. Pourquoi t'as fait ça ?
- Je lui ai demandé si elle était d'accord pour que tu passes la soirée chez moi.
- Oh...
Bill ne savait plus s'il devait le frapper ou le prendre dans ses bras.
- Et.. elle est d'accord ?
- Toi tu veux bien ?
Tom avait le sourire jusqu'aux oreilles. Il appréciait tellement la présence de Bill que chaque phrases, chaque gestes ou haussement de sourcils le faisait sourire comme un bienheureux.
- Ba oui.
- Ba alors let's go !
Tom lui arracha le paquet de pop-corn des mains et ils reprirent leur marche à travers la ville.
...
Finalement deux heures plus tard les deux amis étaient toujours dehors, discutant et riant de choses et d'autres sans faire attention à la nuit qui n'allait pas tarder à tomber.
Bill avait réussit sans le vouloir à redonner confiance à Tom et ce dernier lui en était reconnaissant.
Tom était heureux. Il avait parlé de ses problèmes, parlé de la raison de son départ et Bill n'avait pas trouvé ça puérile ou idiot. Certes il avait peut-être omis un ou deux petits détails mais l'essentiel était dit et Bill était toujours Bill, papotant comme une fille, si ce n'est plus, et s'accrochant à son bras en riant de son rire enfantin. Son comportement n'avait pas changé envers lui et ce détail était pour Tom la plus belle preuve de confiance qu'on lui ait jamais offerte.
Bill était foutrement formidable..
FIN CHAPITRE 14