Chapitre 15
- Quand est-ce que j'aurais enfin le droit de savoir c'que tu me réserves ? se lamenta une fois de plus l'androgyne, la tête négligemment posée dans la paume de sa main.
Bill et Tom étaient allongés côte à côte sur le matelas africain, bavardant de choses et d'autres depuis maintenant de longues minutes. Ils étaient finalement rentrés de leur balade nocturne vers 21h00, en partie dû à la décrépitude des pop-corn qui devenaient de plus en plus mous au fil de la promenade et s'étaient directement rendus dans la chambre du blond, un peu euphoriques de disposer d'autant de temps pour parler et rire ensemble.
- Tu le sauras en temps voulu...
Bill souffla une énième fois d'exaspération et se laissa mollement retomber sur le matelas, se renfrognant devant l'obstination frustrante de Tom à ne pas vouloir lui révéler l'enjeu de son gage. Cela faisait plus d'une demie heure qu'il s'évertuait à essayer de deviner ce que le dreadé lui réservait et celui-ci ne répondait toujours qu'évasivement, esquivant sans cesse ses questions au point d'en faire angoisser l'androgyne.
Il était maintenant 21h45 et Tom savait qu'il ne devait plus tarder s'il voulait emmener Bill à l'endroit qu'il s'était fixé. Seulement plus le temps passait, plus il se demandait si c'était finalement une bonne idée de lui forcer autant la main. L'idée de départ était partit d'une bonne intention mais le caractère de son ami lui inspirait plus un rejet catégorique qu'autre chose.
- D'ailleurs c'est l'heure ! Prends ta veste on y va !
En se sentant hésiter Tom s'était vivement levé afin de ne pas changer d'avis, s'envoyant lui-même un coup de pression pour ne pas finir par baisser les bras. Bill se leva à son tour en souriant et ils descendirent les escaliers, prirent leur vestes et sortirent de la maison.
- Où est-ce qu'on va ? demanda Bill pour la troisième fois en s'accrochant au bras du dreadé, se sentant à la fois anxieux et impatient.
Tom sourit en sentant le bras de son ami s'infiltrer sous le sien mais ne répondit rien, continuant de marcher rapidement sur l'asphalte maintenant noir qui brillait sous l'éclat lunaire. Il était 22h00 et quelques étoiles commençaient à montrer le bout de leur nez, au plus grand bonheur de l'androgyne qui ne cessait de trébucher en scrutant le ciel pailleté au dessus de leur tête.
Son cœur battait silencieusement au creux sa poitrine et il tourna doucement la tête vers son ami, observant à la dérobé son visage concentré qui fixait maintenant le macadam sombre. Le dreadé semblait en pleine polémique avec son esprit et les lèvres du brun s'étirèrent en un sourire tendre face à son froncement de sourcils. Il était heureux et comblé de pouvoir encore profiter de la compagnie de Tom et cette petite balade nocturne semblait le rendre saoul de bonheur. L'air lui caressait agréablement le visage et la chaleur de son bras enchevêtré dans celui de Tom ne cessait de faire couler en lui cette sensation d'enivrement et d'euphorie qui l'empêchait tout simplement de penser à autre chose qu'à eux deux sur ce trottoir sombre.
De son côté Tom ne faisait aucunement attention aux étoiles où à la noirceur troublante du ciel. Il sentait juste monter en lui cette appréhension désagréable qui l'empêchait d'apprécier ce moment à sa juste valeur, et plus les minutes défilaient, plus il craignait le moment où Bill s'apercevrait de son plan.
Il tentait donc de détourner son attention en parlant de la pluie et du beau temps, essayant par tous les moyens inimaginables de retarder sa colère qui –il le savait- serait inévitable. Puis, détournant ses prunelles du ciel étoilé, Bill se rendit enfin compte qu'il connaissait la rue dans laquelle il marchait. Il allait d'ailleurs en faire la réflexion à Tom lorsqu'il se stoppa brusquement, lâchant d'un geste vif le bras du dreadé dont la respiration se coupa instantanément. Il venait de comprendre.
- Tu te fou de ma gueule ? Chuchota-t-il d'une voix sourde.
- Bill tu m'as promis...
Le sourire précédemment resplendissant de l'androgyne s'était complètement évaporé en une fraction de seconde et une expression entre la colère et l'incompréhension ornait désormais son visage diaphane.
- Tu sais parfaitement que j'suis incapable d'entrer là-dedans alors pourquoi tu m'as emmené ici ?
Tom se plaça en face de lui, essayant de ne pas s'en vouloir en apercevant le regard noir de son ami.
- Je voulais que tu viennes avec moi mais je savais pertinemment que tu refuserais s'il y avait du monde, expliqua-t-il doucement. Alors... Il sortit une petite clé de sa poche. J'ai fait en sorte qu'on puisse s'y rendre sans que tu sois gêné par le regard des autres... Il n'y aura que toi et moi promit .
Tom venait de tirer sa dernière carte et observa l'androgyne se saisir doucement de la clé.
- T'as volé la clé d'la piscine municipale ? Son regard était planté dans celui du blond et Tom se sentit soudainement minuscule.
- Ba... disons que je l'ai emprunté...
Bill avait l'estomac retourné. Il n'en revenait pas de ce que Tom lui demandait de faire. Il pensait pourtant lui avoir fait comprendre que sa pudeur ne lui permettait pas ce genre de choses. Il avait même pleuré dans ses bras en lui avouant avoir la phobie de se déshabiller en public... Alors pourquoi lui faisait-il ce coup là ? Ses yeux s'assombrirent d'un voile de déception et de regret.
- C'est d'accord , s'entendit-il à peine chuchoter. Un pari est un pa ri. Puis il s'avança lentement vers lui et planta ses yeux blessés dans les siens. Tom venait de gâcher ce moment si précieux à ses yeux et sa voix se fit basse et éraillée. Mais après ça ne t'avises plus jamais de me réconforter en me promettant je ne sais quoi Tom... Pas pour ensuite me demander un truc pareil. Tu m'avais dit que tu comprenais...
Sa voix avait été tellement froide que Tom avait sentit son cœur se glacer sous sa poitrine.
Mais où avait-il eu la tête pour croire un seul instant qu'il était capable de l'aider à sortir de sa coquille ? Bill lui en voulait. Il lui en voulait parce qu'il se sentait trahi. Et maintenant Tom l'observait tristement se diriger vers la piscine, les jambes tremblantes.
Bien sur il aurait voulu le rattraper et lui implorer de le pardonner, lui courir après et lui dire qu'il n'était finalement pas obligé de venir avec lui, qu'ils pouvaient simplement retourner chez lui passer la soirée devant la télé... Mais à la place il inspira une grande bouffée d'air et le suivit jusqu'à l'entrée avant d'insérer la clé dans la serrure.
Il ne devait pas se laisser avoir par les paroles blessantes de Bill. Il faisait ça pour lui...
[...]
Quelques minutes plus tard Bill fixait le bassin d'un air perdu. Tom n'avait pas allumé les lumières par peur d'être repérer et seul l'éclat de la lune éclairait l'eau à travers les baies vitrées.
La pièce, plongée dans un silence intime n'était plus qu'ombres et miroitements.
Bill observa les légères ondulations de l'eau et fronça les sourcils. Il avait changé d'avis. Il ne voulait plus assumer ce stupide pari. Tom, voyant qu'il s'apprêtait à faire demi-tour s'approcha doucement de lui.
- Il n'y a que moi. Personne d'autre. Je te demande simplement de venir dans l'eau avec moi...
Bill observa Tom durant quelques secondes.
- Je dois simplement venir avec toi dans l'eau ?
Tom sourit et acquiesça silencieusement.
Seulement Bill avait trouvé dans cette phrase son échappatoire. L'eau ne lui faisait pas peur, c'était de se mettre à nu qui l'angoissait. Alors c'est sans que Tom ne le voit venir qu'il s'élança dans le vide et piqua une tête dans la piscine, sans même s'être dévêtu du moindre vêtement.
Tom était resté bouche bée sur le bord du bassin, sidéré que le brun ai osé se jeter à l'eau tout habillé. Ce dernier réapparu quelques secondes plus tard, remontant à la surface avec la grâce d'une créature marine et planta son regard dans celui de Tom.
Un regard triste et amer.
Tom l'observa battre des jambes au milieu du bassin tel un enfant effrayé et son cœur se serra dans sa poitrine en se rendant compte que son ami s'était totalement reclus dans sa peur du regard d'autrui. Bill avait-il si souffert du jugement des autres ? Il scruta le regard apeuré du brun à la surface de l'eau durant quelques secondes puis ôta peu à peu ses vêtements. Il ne comptait pas baisser les bras. Il ne comptait pas baisser les bras et ne s'était pas donné autant de mal pour que la peur et la panique de Bill viennent finalement tout gâcher. Il comptait bien aller le chercher et le sortir de l'eau afin qu'il puisse se mettre dans la tenue adéquate à cette petite séance de natation. Il allait forcer Bill à se déshabiller, quelque soit le temps qu'il devrait y mettre.
Bill observa Tom retirer lentement ses affaires et un petit pincement se fit ressentir au niveau de son cœur. Ca paraissait si facile... Alors pourquoi lui n'y arrivait-il pas ? Tom se laissa lentement glisser dans le bassin et il s'approcha doucement de lui, frissonnant au contact de l'eau froide glissant sur son corps.
Les deux garçons furent vite face à face et le blond s'approcha encore un peu plus de l'androgyne, ne laissant entre leurs deux visages à moitié immergés qu'une dizaines de centimètres à peine.
- C'est tellement simple Bill... chuchota-t-il en souriant tristement.
Leurs lèvres disparaissaient quelques fois sous l'eau, s'humidifiant tour à tour alors que leurs jambes, invisibles et mouvantes, s'efforçaient de maintenir une cadence régulière afin de les faire rester statique.
- J'ai tenue ma promesse Tom. Je suis avec toi dans l'eau.
- Tu sais que c'était pas ce que j'voulais dire...
- Mais c'est ce que tu m'as demandé .
Ils se défiaient du regard en silence et jamais les rétines de Tom n'avait autant déstabilisé l'androgyne. Ce dernier pouvait y lire toute sa détermination et le brun se sentit trembler en devinant la ténacité admirable de son ami. Tom était si foutrement obstiné... Bill aurait voulu le frapper, lui hurler d'aller se faire foutre et lui crier que son regard ne le ferait en rien changer d'avis. Il lui en voulait de le mettre dans une telle situation, il avait tout gâché et souhaitait juste retrouver la chaleur réconfortante de son lit. Seulement la fatigue s'emparait peu à peu de son corps et ses vêtements trempés semblaient plus lourd à chaque secondes. Tom s'aperçu que Bill semblait avoir de plus en plus de mal à rester à la surface et chuchota encore plus calmement.
- Sort et déshabille-toi...
- Nan.
Il se rapprocha alors de lui, collant sa joue à la sienne et lui souffla à l'oreille.
- S'il te plaît...
Bill ferma les yeux. Tom venait de gagné.
Ils restèrent comme cela durant quelques secondes encore puis Bill s'écarta du dreadé, résigné. Ils nagèrent ensemble jusqu'au bord de la piscine et sortirent sur le côté. Ils se mirent face à face et Bill baissa honteusement la tête. Ses cheveux dégoulinaient sur ses frêles épaules et quelques mèches noires collaient à son visage. De ses yeux charbonneux s'écoulait de longues trainées sombres, noircissant ses joues rougies, et les manches de son pull collaient à sa peau, tout comme son large jean informe et ses basquets imbibées d'eau.
Tom observa son ami et se demanda si Bill était réellement inconscient de la sensualité candide qui se dégageait de tout son être.
Une larme dévala la joue de l'androgyne et Tom s'empressa de l'essuyer, ne supportant pas de voir son ami pleurer par sa faute.
- Ce n'est que moi Bill...
Bien sur que ce n'était que lui, mais Bill ne pouvait pas faire le moindre geste. Il avait ce blocage depuis tant d'années qu'il n'arrivait même pas se baisser pour enlever ses chaussures. Il se sentait humilié. Honteux d'avoir si peur de se dévêtir devant quelqu'un. C'était tellement stupide...
Voyant que Bill ne ferait rien de lui-même, Tom se rapprocha encore un peu et c'est avec une douceur insoupçonnée qu'il commença à le déshabiller. Chaque effleurement devenait contact, et chaque contact devenait caresse. Jamais Tom n'avait paru aussi concentré sur quelque chose. Jamais Tom n'avait été aussi appliqué à quelque chose. Et ce quelque chose s'avérait être son ami. Son meilleur ami. Le garçon qui à ce moment même prenait la plus grande place dans son cœur d'adolescent.
Il lui ôta lentement son tee-shirt trempé, ne s'attardant pas sur le torse frêle et laiteux qui s'offrait à lui et s'agenouilla à ses pieds. Bill était comme absent et c'est le plus délicatement possible que Tom déboutonna son jean, avant d'ouvrir sa braguette. Bill avait relevé le visage afin de ne pas croiser le regard de son ami en face de son bas ventre et un violent frisson traversa sa colonne vertébrale lorsque son jean glissa le long de ses cuisses.
Il était maintenant en boxer. Il était en boxer face à quelqu'un et se sentait affreusement nu devant celui qu'il appréciait tant. Son corps reflétait le garçon frêle, banal et insignifiant qu'il était et il n'aimait pas ça. Il aurait voulu que Tom ne le voie jamais dévêtu...
Le dit Tom remonta tout doucement face à lui dans l'intention de le rassurer et de lui faire part de son point de vue face à sa pudeur qu'il considérait réellement injustifiée mais un dernier élément attira son attention. Il attrapa alors délicatement la main du brun et ôta son bracelet de tissus. Celui-ci tomba au sol et le cœur de Tom manqua un battement.
Bill ferma les yeux et un sanglot incontrôlé s'échappa de sa gorge lorsqu'il sentit le pouce de Tom caresser timidement son poignet.
Plus rien n'existait. Plus rien n'existait, ils n'y avaient qu'eux dans cette piscine sombre et silencieuse. Seulement eux et les rayons de la lune qui miroitaient sur l'eau. Ils se prirent dans les bras l'un de l'autre et des larmes de soulagement coulèrent sur le visage de Bill.
- Je suis désolé... chuchota Tom en caressant plus franchement les cicatrices.
Il n'aurait jamais pensé, jamais imaginé que Bill se sentait mal au point d'en arriver là.
- T'y est pour rien...
Bill se sentait cotonneux, les doigts de son ami sur sa peau semblaient lui faire oublier qu'il était encore bel et bien dans cette piscine sombre. Il en avait même oublié sa quasi-nudité.
- De quand date la dernière... ?
Tom n'avait pas pu s'empêcher. Il avait murmuré ça tellement bas que Bill avait d'abord cru l'imaginer. Il voulait savoir. Il voulait savoir si son ami se faisait du mal alors que lui ne voyait rien.
- Elle date d'avant la rentrée... répondit-il doucement.
Un petit sourire timide prit possession de ses lèvres humides et il continua.
- Il n'y en a plus eu après toi .
Un sourire resplendissant s'étira sur le visage du dreadé et il prit joyeusement le visage du brun entre ses deux mains pour lui embrasser la joue en un claquement mouillé. Cela eu pour effet de faire rire l'androgyne et les deux amis se serrèrent câlinement l'un contre l'autre. L'heure était à la tendresse et Tom fit glisser ses mains le long du dos mouillé de son ami.
- T'es très beau au fait...
Le sourire de Bill s'agrandit encore un peu plus et de petites étoiles brillèrent au fond de ses yeux. De petites étoiles joyeuses et scintillantes qui lui firent prendre conscience de l'absurdité de sa peur. Ce n'était finalement rien... Peut-être aussi parce que Tom était finalement tout...
- Maintenant viens dans l'eau avec moi...
- Nan .
Tom releva vivement la tête.
- Pourquoi ?!
Il sentit les bras de l'androgyne se resserrer autour de sa taille et une tête se nicher dans son cou.
- J'suis bien là... répondit-il en fermant les yeux.
Tom gloussa et attrapa fermement les hanches de son ami.
- Ba c'est bien dommage parce que j'peux te dire que tu vas pas y échapper cette fois !
Et c'est fermement cramponné aux hanches de Bill que Tom sauta dans la piscine, entrainant dans sa chute le corps pâle et hilare au fond du bassin.
Sous l'eau les deux garçons durent se détacher sous la pression mais ils restèrent face à face, et Tom pu enfin observer le corps filiforme de son ami bouger lentement dans l'eau. Ils se scrutaient, se souriant muettement, contemplant les cheveux de l'autre se mouvoir gracieusement alors que les centaines de bulles d'air du à leur plongeon remontaient lentement à la surface. Le temps s'était comme arrêté et seuls les rayons de la lune réussissaient à percer la douce et sombre enveloppe qui semblait s'être emparé des deux garçons. De fines éclaircies de lumières s'infiltraient dans la profondeur du bassin et l'atmosphère lunaire ne fut troublée que par des battements de cœur irréguliers. Bill se rapprocha de Tom et c'est en souriant qu'il entoura sa nuque de ses bras, nichant son visage au creux de son cou.
Tom avait réussit.
FIN CHAPITRE 15