Chapitre 7



Il y avait le soleil qui brillait de milles feux au dessus du parc, et le bruit du vent s'écrasant contre les troncs, sifflant entre les quelques dernières feuilles d'arbre encore vivantes. Il y avait cette mère de famille qui surveillait de loin ses deux fils occupés à jouer aux billes et l'odeur caractéristique de l'herbe fraîchement coupée qui flottait dans l'air.

Et puis il y avait Tom. Tom nonchalamment adossé au vieux chêne qui souriait pensivement. Tom qui ne prêtait pas la moindre attention au soleil, au vent ou à l'herbe fraîche. Tom dont l'attention était depuis maintenant de longues minutes portée sur cet adolescent aux cheveux longs, assis en tailleur à quelques mètres de lui sur l'imposante table de ping-pong en béton du parc.

Une scène bien plus passionnante aux yeux du dreadé qui s'amusait à compter le nombre de fois où le brun baissait les yeux sur sa montre en bougeant frénétiquement sa jambe gauche, trahissant son anxiété.

Ce comportement étonnait tellement Tom.. Il en riait de cette timidité si caractéristique du jeune androgyne, mais était tout de même conscient que les craintes et les appréhensions attendrissantes du brun ne devaient pas s'éterniser.
C'est donc tout doucement qu'il s'avança vers lui.

Une fois assez proche du garçon il positionna sa tête tout près de son oreille en prenant appuie sur la table et c'est d'une voix presque inaudible qu'il lui souffla:

- Je suis en retard?

Bill fit un bond de 5 mètres.

- Putain Tom! s'exclama-t-il en se retournant, une main sur le cœur. Sérieux arrêtes de me faire flipper comme ça, j'ai failli avoir une crise cardiaque!!

Tom ricana doucement et se issa sur la table pour le rejoindre. Il imita le brun en s'asseyant en tailleur et sortit ses cours de physiques de son sac avant de les étaler sur ses genoux.

- Par contre je te préviens j'ai vraiment rien compris aux exos et je suis réellement une quiche dans les matières scientifiques... le prévint-il d'un air dépité.

- Ba fallait pas choisir une première S alors.

Tom lui tira la langue et feuilleta son classeur avant d'en extirper une feuille. Il allait la tendre à Bill mais stoppa brusquement son geste.

- T'es sûre que ça te dérange pas au moins? S'inquiéta-t-il, Parce que si t'as changé d'avis c'est pas grave hein..

Pour toute réponse Bill s'empara de la feuille d'exercices et s'allongea de tout son long sur le béton frais. Rassuré, Tom fit de même et s'étala sur le ventre à ses côtés. Les bras croisés sous sa tête il regardait Bill lire le premier exercice, se demandant sûrement de quelle façon il pourrait aborder le chapitre des masses molaires ioniques et moléculaires sans effrayer le dreadé.

- T'es là depuis longtemps?

- Nan, je suis arrivé une ou deux minutes avant toi en fait.

Bill lui avait répondu sans même lever les yeux de la feuille et Tom ne pu s'empêcher de sourire en entendant ce petit mensonge. Mais il ne fit aucun commentaire.

- Bon et bien c'est partit mon kiki..

Et l'heure passa à une vitesse folle, entre les explications répétées de Bill et les froncements de sourcils fréquents de Tom. Les grandes lignes furent vite évoquer par l'un mais comprises un peu moins rapidement par l'autre. Bill s'avéra être un excellent professeur, expliquant patiemment les bases fondamentales de la chimie, et Tom un élève remarquablement attentif, absorbant chaque parole de son professeur en fixant ses yeux chocolat qui balayaient la feuille d'exercices d'un regard sérieux et concentré.


(Ellipse d'une heure environs)


Désormais allongés sur le dos, les bras croisés derrière la tête, les deux adolescents observaient le ciel dégagé d'un air détendu et satisfait. Aucune parole n'avait été échangée depuis une bonne vingtaine de minutes et pourtant les deux garçons ne s'en plaignaient pas, appréciant le silence à sa juste valeur, se contentant simplement de flâner au soleil durant les dernières minutes restantes avant leur première heure de cour.

On aurait pu les croire endormis, et en s'approchant un peu plus on pouvait même déceler ce petit air de béatitude collé sur chacun de leur visage, comme si le simple fait d'être étalé côte à côte sur cette vieille table de ping-pong écaillée par le temps rendait l'azur du ciel plus bleu encore.

- Qu'est-ce que tu veux faire plus tard? murmura Tom le plus doucement possible afin de ne pas briser la douce atmosphère qui régnait autour d'eux.

- Très bonne question, répondit Bill sans pour autant ouvrir les yeux. Je continuerais sûrement mes études dans une école d'art pour pouvoir un jour vivre de mes dessins.. Je sais pas vraiment en fait...

La conversation n'était que chuchotements, et les deux garçons fixaient pensivement le ciel en essayant de se projeter dans l'avenir.

- Moi j'aimerais passer ma vie entière derrière un appareil photo , confia Tom, le regard se perdant dans le vide.

Bill ramena ses bras le long de son corps et posa sa tête sur le béton avant de la tournée vers Tom, soudainement intéressé par cette nouvelle révélation.

- T'aimes la photographie?

- Yep ! Avant d'emménager ici je passais ma vie derrière mon appareil photo. Ma chambre est tapissée de portraits sous cadre , continua-t-il en souriant. Le mur droit pour les portraits couleur et celui de gauche pour les noirs et blancs... Tu verrais l'été, quand le soleil tape fort et que les rayons traversent ma fenêtre c'est quasiment impossible de fixer un point fixe sur mes murs, tous les cadres se mettent à briller, c'est comme une explosion aveuglante de lumière où le verre éblouis chaque recoin de la pièce..

Tom souriait pensivement en se remémorant le nombre incalculable d'heures qu'il avait passé au fond de son lit à se noyer dans cet océan de clarté.

- Continus ne t'arrêtes pas... Bill s'était légèrement relevé pour se mettre en appuie sur son coude et fixait le visage de Tom avec curiosité.

- Je te parlerais bien de photos durant des heures entières mais là on doit être en bio dans deux minutes alors..

Bill sembla quelque peu déçu et son air de gamin boudeur fit sourire le dreadé.

- Mais cet été tu viendras dans mon ancienne chambre et jte montrerais mes cadres si tu veux , proposa-t-il alors en riant.

- Ancienne chambre? Le brun fronça les sourcils. T'en as plusieurs?

- En quelque sorte oui, expliqua-t-il en rangeant ses affaires. En fait j'ai pas vraiment déménagé, ma famille est toujours dans notre ancienne maison, j'ai juste pris mes affaires et je suis venu emménager chez ma tante ici. Mais j'ai pas encore récupéré mes cadres.
Bill sembla réfléchir quelques instants et c'est d'une toute petite voix qu'il continua.

- Et c'est indiscret si jte demande pourquoi?

Tom referma la fermeture de son sac, le posa négligemment sur son épaule et se retourna vers Bill. Un sourire triste et douloureux ornait son doux visage, s'étirant en une grimace qui fit se serrer le cœur de Bill.

- C'est pas important..

Sa voix s'était voulue neutre et détachée mais son changement soudain de comportement n'échappa pas au brun qui ne fit pourtant aucun commentaire. Après tout ils n'étaient pas vraiment amis et les confidences n'étaient pas encore à envisager...
Tom rajusta sa casquette et c'est ensemble qu'ils se dirigèrent vers le lycée.



(Ellipse de l'après midi)



- Pour ceux et celles qui ne me connaissent pas encore je suis Madame Wenzel, votre professeur d'EPS...

Les yeux fixés sur ses chaussures usées par le temps, Bill n'écoutait déjà plus, jouant distraitement avec le bout de semelle en caoutchouc gris qui se décrochait du dessous de sa basket.

De toutes les choses que Bill détestait dans ce foutu lycée, le sport ce plaçait certainement dans le top 10 des plus affreuses. Il avait réussit, par on ne sait quel moyen, à échapper à tous les cours d'endurance et d'athlétisme depuis son entrée au collège, baratinant chaque année son médecin traitant qui finissait toujours par lui prescrire une dispense de sport en fronçant les sourcils. Seulement le BAC était désormais dans moins d'un an et il était conscient qu'aucune dispense ne serait tolérée le jour des épreuves.

- Je t'ai attendu à la fin du cours de BIO... entendit-il prêt de son oreille.

Il détourna les yeux de ses basquets pour tomber dans ceux de Tom qui s'était discrètement rapproché de lui, rampant entre les élèves sur le sol poussiéreux du gymnase.

- Je pensais qu'on mangerai ensemble mais t'étais déjà parti, continua-t-il avec une pointe de déception.

Bill ne su pas vraiment quoi répondre. Il avait eu l'impression d'avoir commis une erreur le matin même en observant l'air triste du dreadé après lui avoir posé sa question, et s'était carapater le plus vite possible lorsque la sonnerie du midi avait retentit.

- Désolé.. chuchota-t-il en souriant.

- C'est pas grave.

Tom lui souri affectueusement et se repositionna en tailleur avant de retourner son attention sur la vieille prof de sport debout face à eux.

- Pour aujourd'hui on se contentera donc d'un simple match de handball avec une autre classe de Première , commença-t-elle d'une voix grave et enrouée, mais dés la semaine prochaine on commence la natation à la piscine municipale du coin pour toute la durée du trimestre.


Et la Terre s'arrêta soudainement de tourner sur son axe. L'information venait de heurter les tympans de Bill avec une puissance impressionnante, s'abattant telle une bombe avant d'exploser cruellement au creux de son estomac.


- Dîtes-moi que c'est pas vrai...

Un visage qui se décompose, des yeux qui se ferment brutalement, des mains moites et un rythme cardiaque beaucoup trop rapide pour le petit cœur d'adolescent fragile qui bat au creux de la poitrine de Bill.

- Putain...

De tous les sports qu'il redoutait de devoir pratiquer, la natation était sans nul doute la pire qu'il aurait pu imaginer. Les paupières désespérément closes, Bill entendit les gloussements ridiculement niais des filles de la classe qui s'imaginaient déjà en maillot de bain deux pièces devant l'ensemble des garçons, et les acclamations puériles de ces derniers, s'excitant déjà d'anticipation.

- Regarde moi ces pétasses, chuchota Tom en pouffant devant l'air vraiment débiles qu'arboraient certaines de ses camarades. Se rendent-elles seulement compte qu'elles ont l'air de grosses salopes à s'émoustiller comme ça ?

Tom était amusé par le brouhaha incompréhensif qui régnait dans le gymnase et se tourna vers Bill.

- Bill ?

Fronçant les sourcils devant l'absence de réaction du brun, Tom se rapprocha de lui et posa sa grande main de guitariste sur son épaule tremblante.

- Bill ça va ? demanda-t-il inquiet.

- Dis-moi que c'est un cauchemar, supplia ce dernier d'un air complètement effondré. Dis-moi que je suis en plein rêve et que notre prof de sport ne vient pas réellement de nous annoncer ce qu'elle vient de nous annoncer..

Bill avait envie de pleurer. Il avait réellement envie de pleurer. La simple idée d'être obligé de se mettre en slip devant toute la classe lui donnait la nausée...

- Pourquoi tu dis ça ?

Tom était déconcerté par l'air totalement abattu de Bill qui cachait maintenant son visage entre ses fines mains manucurées en respirant bruyamment.

- J'peux pas Tom.. jpeux pas c'est pas possible...

Le cœur de Tom se sera d'une manière très étrange à la vue de la détresse soudaine du brun et c'est d'un mouvement protecteur qu'il entoura ses épaules de son bras avant de faire le tour de la salle d'un rapide regard troublé. Les autres élèves s'étaient déjà tous levés pour enfiler leurs dossards et rejoindre leur équipe, et Tom profita de l'inattention du professeur pour relever Bill et l'emmener dans les vestiaires, loin des regards curieux de ses camarades.

FIN CHAPITRE 7